Certains pesticides interdits en Europe sont vendus en Afrique
Dans une enquête publiée le 10 septembre 2020, Public
Eye, anciennement appelée Déclaration de Berne, indique qu’en 2018,
quelques 81 615 tonnes de pesticides interdits d’utilisation en Europe, y sont
pourtant fabriqués, puis exportés hors de l’Union européenne (UE).
Ladite investigation précise que 7 500 tonnes de 25 substances différentes
jugées trop dangereuses pour l’Europe, ont ainsi été exportées vers le
continent africain.
« En 2018, notre enquête a montré qu’une vingtaine de pays africains figuraient
parmi les principales destinations de ces exportations de pesticides interdits
mais fabriqués en Europe. Le Maroc et l’Afrique du Sud recevaient les plus gros
volumes sur le continent, suivis par l’Egypte, le Soudan et le Sénégal »,
indique Laurent Gaberell, expert en économie agricole chez Public Eye.
Notre enquête a montré qu’une vingtaine de pays africains figuraient parmi les principales destinations de ces exportations de pesticides interdits mais fabriqués en Europe
Laurent Gaberell, Public Eye
Cette organisation qui enquête sur les violations des droits
de l’homme imputables aux acteurs suisses a recensé les principaux exportateurs
européens de pesticides dangereux. Il s’agit du Royaume-Uni, suivi de l’Italie,
de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France, de l’Espagne et de la Belgique.
L’enquête réalisée en collaboration avec Unearthed, une entité de
Greenpeace, alerte sur un scandale qui permet à l’industrie agrochimique de 11
pays européens, de fournir à 85 pays non européens des substances nuisibles
pour l’environnement et
pour la santé des
humains.
Parmi les 41 pesticides interdits au sein de l’UE et ainsi déversés sur les
autres continents, l’enquête cite l’Atrazine, le paraquat, le dichloropropène,
le cyanamide… Les auteurs de cette enquête dénoncent alors « l’hypocrisie
d’un système législatif qui permet aux sociétés agrochimiques » européennes,
de s’adonner à un tel commerce.
Les substances mises en cause ont d’abord été utilisées en Europe où leur
toxicité a motivé leur interdiction, pour des raisons de santé ou de protection
de l’environnement.
Ces exportations vers l’Afrique « paraissent complètement en contradiction avec
l’Agenda de l’UE pour soutenir une transformation
durable de l’agriculture africaine,
notamment à travers la promotion de l’agroécologie »,
souligne Laurent Gaberell dans un entretien avec SciDev.Net.
Pourtant, malgré une interdiction formelle et documentée de ces substances, les
avis des spécialistes semblent encore diverger.
Maladies
CropLife est l'organisation
qui représente les fabricants de ces pesticides. Selon l’agronome Nonon Diarra,
son représentant au Mali,
«les pesticides relèvent des mêmes familles chimiques que les produits de la
pharmacie humaine. Les médias « diabolisent » les pesticides souvent sans aucun
fondement… »
Il ajoute que « la dangerosité dépend de l’exposition de l’homme ou de la
nature à ces produits, au même titre que les produits de la pharmacie
humaine ». L’observance des consignes devant, selon lui, permettre d’en
«éviter les effets néfastes».
Mais le biologiste Arnaud Apoteker, ancien conseiller au Parlement européen et
actuel délégué général de Justice Pesticides (une association qui regroupe des
personnalités qui ont été à divers titres confrontés aux conséquences des
pesticides sur la santé et les ressources naturelles), rappelle que « les
pesticides, quels qu’ils soient, sont des substances destinées à tuer des
organismes vivants considérés comme nuisibles : mauvaises herbes, insectes,
champignons, etc. Ils sont donc tous des poisons, disséminés en quantités
importantes sur des surfaces considérables ».
Il alerte alors sur la nocivité des pesticides interdits au sein de l’UE en
raison de la palette des dangers encourus, avec par exemple l’herbicide
atrazine qu’il a qualifié de perturbateur endocrinien « très
puissant » qui altère le développement chez les enfants.
« Des études montrent que le chlorpyrifos cause des
dommages au cerveau, en particulier pour les jeunes ou des fœtus. De très
nombreuses maladies telles
que le Parkinson, la stérilité, la leucémie et différents types de cancers sont
causés par les pesticides », précise Arnaud Apoteker.
Et, c’est selon lui, sans compter « l’effet cocktail » qui résulterait de
l’exposition cumulée à plusieurs de ces substances.
Renforcer la législation
Face à ces enjeux, une trentaine d’experts des Nations Unies
ont appelé en juillet 2020, à mettre fin à ce commerce qu’ils ont qualifié de
« déplorable ». Mais, les acteurs de la filière se défendent de
respecter les obligations légales et déclaratives.
En effet, l’industrie agro-chimique se conforme à la règlementation en matière
de consentement préalable informé (PIC) vis-à-vis des pays importateurs. Ces
derniers sont donc, expressément informés du niveau de nocuité des produits.
D’ailleurs, les exportateurs européens rappellent le principe de souveraineté
des états importateurs à décider du choix des pesticides autorisés sur leurs
sols.
Cette pratique constitue selon Arnaud Apoteker « un véritable scandale ». Pour
lui, « il est nécessaire de renforcer la législation internationale afin que ce
double standard ne puisse plus exister ».
Si la France s’est récemment démarquée des autres pays en se dotant d’une loi
(n° 2018-938 du 30 octobre 2018) qui interdit aux acteurs français d’exporter
des pesticides interdits, celle-ci n’entrera en vigueur qu’en 2022.
En attendant, les consommateurs européens ne sont pas à l’abri d’un effet
boomerang puisque l’Europe importe des fruits et légumes en provenance de pays
consommateurs de ces pesticides toxiques.
Ainsi, le Brésil, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Colombie, l’Inde ou le
Mexique, qui importent de l’Europe des pesticides toxiques, fournissent en
retour à l’UE, avocat, mangue, tomate, raisin, banane ou pomme…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire