Energie: Quel est l’impact des éoliennes sur l’environnement ? Le vrai, le faux
Énergie renouvelable, l’éolien a, comme toute énergie, un
impact sur l’environnement. Mortalité des oiseaux et des chauves-souris, besoin
en matières premières, infrasons, bruit,... Reporterre fait le point sur ce qui
pose problème ou pas.
Les éoliennes sont-elles mauvaises pour la planète ?
C’est un point de désaccord fondamental entre les partisans et les opposants au
développement de cette énergie. Le nœud de la discussion ? L’éolien,
industrie moderne et récente, s’accompagne d’un cortège d’impacts environnementaux,
sur les paysages, le bruit, l’impact pour les oiseaux, etc. Résultat : on
n’a jamais aussi bien su quels étaient les impacts d’une source d’énergie,
alors qu’il est impossible de quantifier les nuisances des centrales à charbon
sur les chauves-souris ou celles de l’industrie nucléaire sur les populations
d’oiseaux. Les éoliennes ont cet avantage que la chaîne de causalité entre la
machine et ses effets est simple à établir. Revue de détail des questions
essentielles.
Biodiversité : oiseaux et chauves-souris
C’est un des domaines où les effets des éoliennes ne font plus
aucun doute. Oui, les éoliennes ont un impact sur la mortalité des oiseaux et
des chauves-souris. Mais attention aux effets de loupe : là où cet impact
commence à être bien mesuré, il reste inférieur à d’autres causes de mortalité,
qui sont moins facilement quantifiables. Pour la mortalité des oiseaux,
l’éolien vient ainsi loin derrière les prédateurs naturels ; les
collisions avec les immeubles, les fenêtres des constructions et des voitures ;
les travaux agricoles et les lignes haute tension… Cependant, comme pour tout
ce qui touche les questions de biodiversité, l’effet est cumulatif et peut se
révéler réellement néfaste.
Si l’Espagne s’est rapidement fait remarquer pour sa mauvaise
prise en compte des impacts sur les oiseaux, la France a été plus
précautionneuse et a rapidement intégré des études d’impact sur l’avifaune dans
les dossiers éoliens.
Depuis novembre 2015, un protocole spécifique rend
obligatoire la fourniture des données de suivi aux Directions régionales de
l’environnement (Dreal). Comme pour tous les rapports de ce genre, les éléments
sont fournis par des bureaux d’études payés par l’entreprise et transmis par
l’exploitant à la Dreal. En dehors de la période d’enquête publique, les
données de suivi ne sont pas disponibles au grand public. Des chercheurs du
Muséum national d’histoire naturelle déploraient en février dernier le manque
d’accessibilité de ces données.
D’où l’importance de la parution cet été d’une étude de la
Ligue de protection des oiseaux (LPO), la
première à agréger les données normalement inaccessibles aux citoyens.
« On s’est rendu compte que rien n’avait été fait en
France sur le sujet », explique Geoffroy
Marx, chargé du programme Éolien et biodiversité à la LPO et auteur
de cette étude. Agrégeant les suivis environnementaux fournis par les
exploitants aux Dreal ainsi que les éléments à disposition de chercheurs, c’est
le premier panorama complet sur le sujet.
Premier constat : malgré le protocole de 2015, « il
reste encore compliqué d’avoir accès aux données ». En outre, les
suivis réalisés sont « très hétérogènes », avec en
moyenne une collecte des cadavres d’oiseaux une fois par semaine pendant au
moins 26 semaines et dans un rayon de 50 mètres autour des mâts. Au total, sur
35.000 prospections réalisées sur 142 parcs éoliens étudiés, 800 cadavres ont
été retrouvés, soit une mortalité relativement faible.
On note également des
effets plus importants dans certaines zones, en particulier les couloirs
migratoires et les zones de protection spéciale (Natura 2000). Les espèces les
plus concernées sont en effet celles qui sont en vol stationnaire à proximité
des pales avec des passages réguliers à proximité. Selon Geoffroy Marx, en
l’absence de résultats probants à ce jour concernant les dispositifs
d’effarouchement que certains constructeurs utilisent sur leurs machines, le
plus efficace serait tout simplement « d’éloigner les futures
éoliennes des ZPS [zones de protection spéciale] et des
zones à enjeux, notamment les lieux de nidification des rapaces ».
Pour les chauves-souris, on ne dispose pas de données aussi
complètes. De fait, d’abord
victimes des pesticides et de la pollution lumineuse ou des chats,
c’est le mammifère le plus directement affecté par les éoliennes, à la fois par
la collision directe avec la machine mais aussi, comme on l’a découvert
récemment, par un effet de changement brutal de pression de l’air à proximité
des lames de l’éolienne. L’effet est comparable à un plongeur qui remonte trop
vite à la surface sans faire de palier : la surpression. Selon les données de la Société française
pour l’étude et la protection des mammifères (Sfepm), la mortalité est
estimée entre 0 et 69 (fourchette large) chauves-souris par an et par éolienne.
Mais, contrairement aux oiseaux, les chauves-souris ont une activité de chasse
et de vol plus concentrée et réduite dans la journée et dans l’année.
De ce
fait, de plus en plus d’entreprises équipent leurs éoliennes avec des
dispositifs de détection, d’effarouchement, qui arrêtent automatiquement
l’éolienne en période de forte activité ou de migration. Selon leurs
développeurs, ces systèmes diminueraient de 50 à 70 % la mortalité des
chiroptères en réduisant la production seulement 0,5 % du temps. Pour
l’heure aucune étude globale ne permet de mesurer leur fiabilité.
Terres rares et autres matières premières : un coût « caché » ?
Autre élément souvent pointé par les détracteurs de l’éolien,
cette industrie reproduirait le schéma extractiviste. Sous-entendu : elle
ne vaut pas mieux que les voitures électriques avec leur pile au lithium et
toutes les prétendues nouvelles technologies qui se veulent vertes mais qui
reproduisent la même logique prédatrice. Une critique portée notamment par
l’ingénieur Philippe Bihouix qui prône l’abandon des hautes technologies, y
compris renouvelables, pour entrer dans l’âge
des « low-tech ».
De fait, reconnaît Stéphane Chatelin, directeur de
l’association Négawatt : « L’éolien n’est et ne sera jamais
une solution parfaitement propre. Comme tout moyen de production d’énergie, il
y a un impact. » Si, pour fonctionner, une éolienne n’émet pas de
gaz à effet de serre, elle utilise des matières premières et de l’énergie dans
sa phase de construction et de mise en place physique, ce que les chercheurs
appellent « l’énergie grise ».
Ainsi, chaque machine nécessite en premier lieu un socle de
béton, environ 1.500 tonnes par mât. « Ça peut paraitre énorme de
dire que l’ensemble de l’éolien consomme 1 million de tonnes par an, dit
Stéphane Chatelin. Mais dans notre scénario de transition, on parie sur
une diminution en parallèle de 40 millions de tonnes de béton dans l’ensemble
des secteurs, notamment le bâtiment. »
Ensuite, le mât requiert de 25 à 40 tonnes d’acier selon les
modèles. Les pales sont formées de composites, un mélange de résines et de
fibres de verre (donc du sable), qu’on peine à recycler pour l’instant.
L’électronique utilise également quelques composants précieux, comme le
silicium, l’aluminium ou des plastiques polypropylènes (pétrole). La plupart de
ces éléments sont recyclables - il reste à organiser ce recyclage.
Mais il y a la question des « terres rares ».
Derrière cette appellation commune se cachent 17 métaux (néodyme, dysprosium,
praséodyme…), « essentiellement des sous-produits de l’industrie
minière, rares parce qu’ils sont plus difficiles à extraire, pas nécessairement
parce que le volume total existant sur la planète est faible », explique
Bernard Multon, chargé de mission développement durable pour l’ENS de
Rennes.
Le principal problème concerne un type particulier d’éoliennes, celles
qui utilisent des génératrices à aimant permanent, une technologie qui allège
la partie centrale et réduit le coût global de production. « Mais
cela n’est valable que dans le marché actuel, avertit Bernard
Multon, où il est plus intéressant d‘utiliser de nouvelles terres rares
que de développer les technologies nécessaires pour les recycler. » Pour
autant, l’exploitation de ces ressources, utilisées aussi dans les téléphones
portables, les écrans d’ordinateur ou les véhicules militaires, pose de
véritables problèmes environnementaux et sociaux, notamment
en Chine.
Autre matière critique : le
cuivre, qui sert dans les bobines de la génératrice, 600 kg environ pour
une petite éolienne. Si la ressource est abondante dans le monde, c’est
peut-être le seul matériau qui, largement utilisé dans tout le secteur de
l’énergie, pourrait trouver à s’épuiser à moyen terme. Mais on maitrise les
technologies pour recycler le cuivre, tout l’enjeu est donc de construire les
filières, et là encore tout est sujet à la bonne volonté des investissements
industriels.
Arrivé à ce stade, on retrouve le même problème que pour la
biodiversité. Oui, l’éolien a des impacts notoires sur les ressources
naturelles, mais il est difficile de faire des comparaisons avec d’autres
ressources où les impacts sont moins précisément évalués. Alors, comment savoir
si une énergie est plus propre qu’une autre ? Deux méthodes permettent de
répondre à cette question.
La première est le
taux de retour énergétique (Eroi en anglais). Il s’agit d’un ratio entre
l’énergie totale fournie par la machine durant toute son existence et l’énergie
qui est nécessaire pour la construire et la démanteler. Selon les études,
l’Eroi de l’éolien se situe entre 21 et 46 pour 1. Une proportion inférieure à
celle du charbon (environ 50 pour 1) mais supérieure à celui du pétrole (entre
10 et 20 pour 1). Selon certains, comme Cédric
Philibert, de l’Agence internationale de l’énergie, ce mode de calcul ne
serait déjà plus d’actualité car il ne prend pas en compte suffisamment la
spécificité intermittente des énergies renouvelables solaires et éoliennes et
surtout, les progrès technique rapides dans ces énergies en développement.
Une bonne manière de sortir de ce débat est de prendre le
problème dans son ensemble et de réaliser ce qui se fait déjà pour de nombreux
objets du quotidien : une analyse du cycle de vie (ACV). Celle-ci prend en
compte les impacts écologiques de l’extraction des matières premières de
l’utilisation au recyclage et au retraitement en les rapportant à un coût en
équivalent CO2 par kilowattheure produit (g CO2 eq/kWh).
Selon une étude de l’Ademe de 2015, le taux d’émission pour une éolienne
terrestre est de 12,7 g CO2 eq/kWh, ce qui place l’éolien
en troisième position derrière l’hydraulique (6 g) et le nucléaire, mais
largement devant le fioul, le gaz et le charbon.
Mais là encore, les chiffres sont trompeurs puisqu’on n’inclut
pas la dangerosité spécifique du nucléaire, ni celle associée au traitement
des déchets par combustion.
Éoliennes vs radars
Impossible de passer en revue les problèmes que pose l’éolien
sans évoquer la grande question qui occupe les développeurs en cette fin
d’année 2017. En effet, les éoliennes, par le mouvement de rotation des pales,
ont un impact sur la propagation des ondes émise par ailleurs. Les plus touchés
sont les instruments de mesure de Météo France, mais surtout les radars de
l’Aviation civile et de l’armée. L’armée entretient jalousement ses
prérogatives de « sécurité intérieure » sur une
partie importante des espaces aériens du pays. Voici qu’on apprenait début
novembre qu’un projet de décret porterait les zones d’exclusion de l’espace
aérien des radars militaires de 30 à 70 km.
De quoi faire bondir Jean-Yves Grandidier, PDG de
Valorem et auteur de l’ouvrage Le vent nous portera, qui
dénonce « un faire-part de décès de la politique climatique
française ». Là où 50 % du territoire est déjà exclu
aujourd’hui, « presque
90 % du territoire serait pris par les militaires ».
Contactée, la Direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAE)
n’a pas pu donner d’interview directe mais a répondu par courriel aux questions
de Reporterre. Pour elle, la limite des 30 km actuelle est loin
d’être un dogme d’exclusion absolue. En 2017, la quasi-totalité des projets
éoliens présentés à la DSAE (94 %) aurait reçu un avis
favorable. En 2016 c’était 95 %.
Pour la DSAE, « ce nouveau décret est rendu
nécessaire par l’accroissement significatif de la hauteur moyenne des
éoliennes, passant de 120 mètres il y a dix ans à parfois plus de 200 mètres
actuellement ». Au passage, c’est pour ces seules raisons de sécurité
aérienne que l’Aviation civile impose les feux clignotants jour et nuit sur les
nacelles et des feux supplémentaires sur les mâts si l’éolienne dépasse 150
mètres - ce qui est source de pollution lumineuse...
Ces questions sont à l’ordre du jour de la table ronde qui
s‘est ouverte cet automne sous l’égide du ministère de la Transition écologique
avec les acteurs de la filière et les associations environnementales spécialisées
(mais pas les opposants, comme la Fédération environnement durable).
En attendant les résultats mi-décembre, le Syndicat des
énergies renouvelables a justement demandé ce 29 novembre « l’adaptation
des contraintes aéronautiques et radars aux enjeux de développement de
l’énergie éolienne », l’un des cinq mesures pour « libérer
l’éolien ».
De l’objectivité des perceptions humaines
On rentre ici dans un domaine où les études scientifiques
restent parcellaires et appellent généralement à intégrer des effets
psychologiques des éoliennes, et non plus seulement physiques.
Prenons par exemple le problème dit des « infrasons ».
Comme l’expliquait Michel Frangeul, de l’association Courants alternatifs,
dans une
tribune il y a quelques semaines, les éoliennes émettent bien des ondes à
basse fréquence qui traversent les murs, mais l’environnement naturel lui aussi
émet de telles ondes, et dans de plus fortes proportions. Celles-ci ne sont pas
audibles mais affectent néanmoins notre corps, pouvant générer des sensations
désagréables ou des troubles du sommeil. Rien ne permet à l’heure actuelle de
conclure scientifiquement à un effet spécifique des infrasons éoliens sur la
santé humaine.
Autre problème : « l’effet stroboscopique ».
Il s’agit de l’effet produit par l’ombre des pales d’éoliennes à chaque passage
régulier devant le soleil. Un effet d’alternance rapide de lumière et d’ombre
qui selon certains entrainerait un effet « épileptique, des
nausées ou des malaises ».
Là encore, les cas concernent des personnes
souffrant déjà de sensibilité à l’épilepsie, l’éolienne ne venant que renforcer
une sensibilité déjà présente. Pour autant, les développeurs imaginent déjà des
solutions. Ainsi Kevin de la Torre, technicien de maintenance chez Enercon,
soutient que dans les endroits où le problème a été signalé, « on
a déjà pu ralentir les machines en fonction d’un certain degré d’élévation du
soleil dans le ciel par rapport à des habitations ». Mais il
ajoute : « pour cela, il faut que les gens signalent le
problème à l’exploitant du parc ».
De fait, comme le remarque l’Académie de médecine dans un
rapport paru en mai dernier, le « syndrome des éoliennes » constitue
avant tout un ensemble de « facteurs psychologiques » qui
peuvent, assemblés, générer un réel mal-être chez les personnes. Parmi les
éléments invoqués : outre les sensibilités individuelles, les facteurs
sociaux et financiers « contribuent fortement à susciter des
sentiments de contrariété, d’insatisfaction voire de révolte ».
Le bruit et la fureur
Reste donc le problème du bruit. Une éolienne, comme toute
machine, est effectivement bruyante. À la fois au niveau de la nacelle, quand
la machine fonctionne, mais surtout, avec le bruit que génèrent le bout des
pales lorsqu’elles fendant l’air en tournant. Un bruit qui diminue avec la
distance mais néanmoins plus ou moins audible, même à 500 mètres du mât, la
distance légale avec la première habitation.
La loi limite ce bruit en se fondant sur le concept
d’émergence. Il ne s’agit pas de mesurer le bruit que fait l’éolienne en tant
que telle, mais de voir dans quelle mesure elle modifie le bruit de
l’environnement. Car, même dans un espace parfaitement silencieux, le volume
sonore n’est pas égal à 0 décibel (dB), mais plutôt autour de 20 dB. Si vous
êtes en forêt un jour de vent, le volume sonore s’élève facilement au-delà de
40 dB.
Or, selon le code de la Santé
publique, l’émergence d’une installation industrielle ne doit pas dépasser +
5 dB le jour et + 3 dB la nuit. Cela peut paraitre peu, mais le bruit
ne fonctionne pas par simple addition mathématique, comme l’explique Jérémy
Schild, expert acoustique pour le bureau d’études Venathec. « Quand,
dans une conversation, deux personnes parlent en même temps plutôt qu’une
seule, on ne double pas le nombre de décibels et pourtant cela s’entend
nettement. »
Les éoliennes, elles, s’entendent d’autant plus
facilement que l’environnement est calme, avec un faible vent ou quand celui-ci
est dirigé en direction des habitations. Mais ce n’est pas tout, ajoute l’expert : « Le
bruit, c’est comme la température, on a chacun une tolérance différente. Et
vous allez d’autant plus entendre un bruit si vous êtes contrariés ou focalisés
sur lui. »
Or, les problèmes de « bruit » des
éoliennes se posent souvent dans les zones rurales, des espaces où malgré
l’abandon par les services publics et les réseaux de transports en commun, on
jouit encore d’une richesse rare : le silence, ou plutôt, l’absence de
bruit artificiel. Et si l’on s’accommode bien du passage occasionnel d’une voiture
au loin, il est difficile d’accepter la présence permanente et régulière du
bruit, même faible, d’un objet industriel à moins d’un kilomètre de chez soi.
La question change dès lors de nature, elle cesse d’être une simple nuisance
réductible à des perceptions individuelles, et devient une véritable question
politique.
AGM
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