Congo : le pillage n’a jamais cessé!
Alain Huart |
Alain Huart et les défis du Congo : pillage des ressources, environnement,
décentralisation, explosion artistique
Vivant à Kinshasa, Alain Huart, agronome, écrivain, auteur du
mook « Beauté Congo », (éditions Weyrich) est peut-être l’un des seuls
Européens à visiter régulièrement le Congo de l’intérieur, à découvrir ses
beautés cachées comme les menaces existentielles qui pèsent sur la forêt
tropicale.
Quelles sont les principaux défis que rencontre le Congo aujourd’hui ?
Le premier enjeu c’est la démographie galopante. Le second, c’est le fait que le processus de décentralisation patine car les élections locales n’ayant pas eu lieu, on n’a pas donné la main aux entités locales décentralisées ; or la seule solution pour cet immense pays enclavé, c’est de donner plus de pouvoir aux provinces, aux secteurs. Certes, la société civile progresse mais elle se heurte à ce blocage politique. Avec pour résultat que les Congolais, n’étant pas encadrés mais toujours aussi pauvres, détruisent la forêt en continuant à pratiquer l’agriculture sur brûlis. Les 5 ou 6 millions de petits agriculteurs qui luttent pour leur survie sont en train de détruire la forêt tropicale bien plus que les entreprises forestières elles-mêmes.Le grand potentiel, c’est une jeunesse émergente. Une course de vitesse est engagée entre cette population éduquée, citadine, dont la conscience civique se développe et le défi que pose la destruction de l’environnement. Cela nécessite à l’intérieur du pays des actions de grande envergure, des stratégies agricoles bien pensées, tandis que le pouvoir politique ne répond pas aux enjeux. …
Depuis le 19e siècle, le pillage du Congo a-t-il jamais cessé ?
Jamais. De nos jours, le pillage découle plutôt du laissez
faire… Les grands politiciens côtoient les « miniers » et ils essaient de
grignoter quelque chose, les administrations, dotées de salaires de misère,
tolèrent le trafic du charbon de bois, de la viande de brousse et tous les
autres pillages…Pour moi, il est clair que le pillage mené au cours des
dernières décennies été plus intense, plus destructeur pour la nature que ce
que l’on a pu voir du temps de Léopold II ! Le processus s’emballe et les taux
de déforestation de la forêt montent en flèche.
Les tourbières qui se trouvent dans la forêt tropicale ont mis
des millénaires à se constituer et aujourd’hui le bassin du Congo abrite la
plus grande zone de tourbières du monde, un puits de carbone qui équivaut à 30
ans des émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis…Comme l’Amazonie, la
forêt congolaise représente un équilibre majeur pour la planète. Que les deux
grands foyers de déforestation se trouvent en Amazonie et au Congo est très
inquiétant, car c’est là que se joue l’avenir de la planète. Cet enjeu concerne
les pays du Nord comme les pays africains voisins du Congo, (Kenya, Tanzanie,
Zimbabwe) car leur pluviométrie dépend du bassin du fleuve Congo.
Les scénarios du GIEC (groupe d’études sur le climat) qui
portent sur 50 ans évoquent l’affaiblissement de la forêt congolaise et
démontrent que le climat et la pluviométrie de l’Afrique toute entière
pourraient s’en trouver déséquilibrés… L’Afrique est le continent le plus
sensible au réchauffement climatique et le moins préparé.
Cela pourrait il accentuer de nouveaux flux migratoires, vers
le Congo ou depuis le Congo ?
Pour le moment, ces flux migratoires proviennent des pays
limitrophes, Rwanda, Ouganda, Sud Soudan…On découvre des Peuls bororos venus du
Soudan qui envahissent les espaces voisins de l’Uele pour faire paître leurs
troupeaux… Faute de cadre décentralisé, le Congo n’a pas les moyens de faire
face à ces populations en quête de champs et de pâtures. Aujourd’hui déjà, les
espaces à la périphérie du Congo sont en détresse, la surpopulation du Rwanda
et du Burundi provoque l’instabilité de l’Est…Je crains qu’un jour, les
populations du Congo seront-elles mêmes obligées de migrer…
Quand, depuis le Congo où je vis, je constate qu’en Belgique on se mobilise autour des statues datant de l’époque coloniale, je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agît là de combats qui ont quarante ou cinquante ans de retard mais n’ont pas d’impact. Pour moi, c’est une distraction… L’essentiel, c’est le fait que les multinationales qui veulent exploiter les minerais du Congo ou le pétrole, ont toujours le champ libre. Le pillage continue, le modèle économique n’a pas changé depuis le 19 eme siècle, il s’est même intensifié…Le seul secteur qui équilibre la balance des paiements c’est le secteur minier. La Monusco a surtout sécurisé des zones minières où les multinationales hésitaient à travailler à cause des risques. Pour le Congo, depuis Léopold II le seul modèle de développement, c’est d’exporter des matières premières brutes, sans les transformer sur place.
A qui le reprocher ?
Mais à tout le monde ! Aux élites congolaises, aux
multinationales qui préfèrent traiter à Kinshasa avec un pouvoir faible, aux
voisins du Congo tels que le Rwanda et l’Ouganda. Quant Félix Tshisekedi est
devenu président, la plupart des sociétés minières et autres étaient
satisfaites de trouver en face d’elles un homme jugé faible ; elles ont espéré
qu’avec lui, il serait plus facile de négocier des contrats, des réductions
d’impôts…Dans ce système planétaire, tout est fait pour affaiblir les
dirigeants congolais, cela convient à tout le monde…L’élite congolaise existe
mais elle doit sortir d’un système politique qui bloque tout car il est inféodé
à deux hommes, Kabila et Tshisekedi…
Les besoins de la reconstruction sont tels qu’il faudra
pouvoir compter sur une société civile assez large, renforcer les pouvoirs
locaux via des élections dans les secteurs, les territoires…Tshisekedi doit
donner confiance à des gens qui veulent rentrer au pays pour changer les
choses, et la décentralisation peut multiplier les possibilités.
La qualité humaine est réelle, mais comment la faire émerger ?
A Kinshasa existe, sur le modèle français une école nationale
d’administration publique, qui forme des élites. J’ai été le premier à suggérer
qu’on envoie ces jeunes diplômés dans les entités décentralisées, dans les 26
provinces, plutôt que les laisser moisir dans des ministères déjà sclérosés. Il
faut que les jeunes élites, et aussi les membres de la diaspora, aient d’autres
débouchés que la politique, qu’ils puissent monter des projets, offrir des
opportunités…Il faut revaloriser le monde rural, qui ne doit plus être vu comme
un mouroir. Au Congo central les gens sont fiers de leur terroir, ils ont
multiplié la production agricole, approvisionnent la capitale. Cet exemple pourrait
être reproduit ailleurs s’il y avait des plans ambitieux. Avec une vraie
stratégie politique, il apparaîtrait que toutes les provinces ont des atouts.
Qu’est-ce qu’un pays comme la Belgique peut encore faire au Congo ?
Sortir des vieux clivages… Certes, il y a une diaspora congolaise frustrée, qui exprime sa déception et l’extériorise sans se soucier des vrais problèmes du pays, parmi lesquels une agriculture de pauvreté. Et cela alors qu’il existe des mécanismes d’aide internationale liés au climat qui pourraient représenter des solutions. Toutes les universités belges ont des rapports avec des institutions congolaises, mais coopèrent elles entre elles ? Y a-t-il un échange de savoirs au niveau belge, entre les Belges et la diaspora ? Il n’y a pas de vision d’ensemble, pas de véritables réseaux. L’expertise chinoise n’est pas celle qui va sauver le Congo, va-t-elle développer une conscience pour le Congo ? En Belgique, nous pourrions mettre au service du pays cette « conscience congolaise » que nous avons encore, donner une signification au « green deal européen » en spécialisant notre agence de coopération Enabel dans les matières environnementales au lieu de pratiquer le saupoudrage. On pourrait aussi y associer les entreprises belges…
On pourrait aussi se rappeler du fait que le creuset créatif
se trouve en RDC ; les grands artistes congolais retournent deux fois par an à
Kinshasa pour se ressourcer. C’est peut-être dans le domaine artistique que le
Congo va développer son rayonnement sur le monde. Les artistes congolais ont un
potentiel énorme, Kinshasa est l’une des dix grandes capitales culturelles à
venir, elle accueillera un jour des artistes du monde entier…
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