Tanzanie : Olduvai, l'autre berceau de l'humanité
C’est un site magnifique. Et aussi l’un des gisements
de fossiles préhistoriques les plus importants d’Afrique, où les paléontologues
progressent sur la connaissance de nos plus lointains ancêtres.
A perte de vue, un sable rocailleux ponctué d’étoiles
vert amande aux pointes acérées : des touffes de sisal. En maa, la langue des
Masai, on nomme cette plante, dont on tire une fibre très résistante, ol
tupai. Et c’est d’elle que vient le nom de ce site aride, donné par le
naturaliste allemand Hans Reck, qui le «découvrit» en 1911 : les gorges
d’Olduvai. Là, à quatre-vingt-dix mètres en contrebas du plateau, serpente une
vallée creusée par l’érosion à laquelle de rares pitons rocheux donnent un air
de canyon du Far
West. Leurs couleurs marquent le passage du temps : cinq couches
superposées ocre et de marron, âgées de 600 000 ans à 2,5 millions d’années.
Une mine de secrets.
Des animaux sauvages, des tribus masai menant
leurs troupeaux et des touristes en 4x4 empruntent régulièrement ce passage
encaissé de cinquante kilomètres de long. Il est situé dans la vallée du Grand
Rift, qui traverse la Tanzanie. L’une des zones les plus riches en fossiles au
monde : à l’autre bout du pays, une nouvelle espèce de titanosaure y a même été
mise au jour en 2002. Et à quarante-cinq kilomètres au sud d’Olduvai, à
Laetoli, on peut voir, bien conservées dans du tuf, de la cendre volcanique
cimentée, les empreintes datant de 3,7 millions d’années de trois hominiens,
sous-tribu qui regroupe le genre humain (Homo) et les genres éteints qui
lui sont apparentés (australopithèques et
paranthropes). Mais les gorges d’Olduvai sont le joyau paléontologique de la
Tanzanie, et l’un des sites les plus intéressants au niveau mondial. Pendant
les mois de juillet, d’août, de décembre et de janvier, on trouve sur place
jusqu’à une centaine de chercheurs pour trier des fossiles.
Parmi ceux-ci, certains correspondant aux cinq stades de l’évolution de
l’humanité – Paranthropus boisei, Homo habilis, Homo erectus, Homo
sapiens et Homo sapiens sapiens – ont été découverts.
Marcher dans les gorges d’Olduvai est une expérience
Sous chaque pas crissent des brisures d’os d’animaux
fossilisés. Tous les cent mètres, le guide s’arrête pour identifier une pièce.
Non loin de la piste principale, un tibia de girafe et
une dent d’éléphant préhistoriques ont été posés par des promeneurs sur une
borne en pierre. Celle-ci marque le lieu précis où, en 1959, Mary et Louis
Leakey, un couple de paléontologues anglo-kenyan, ont excavé le crâne d’une
espèce jusqu’alors inconnue, Paranthropus boisei. Age : 1,75
million d’années. Une découverte majeure à une époque où l’homme de Java
(excavé en 1891) et l’homme de Pékin (1929), deux représentants de l’espèce Homo
erectus, orientaient l’origine de l’homme en Asie. «Cela a confirmé
l’hypothèse darwinienne selon laquelle l’Afrique est le berceau de l’humanité,
explique le paléoanthropologue tanzanien Jackson Njau, qui étudie le site
depuis vingt-deux ans. Cette trouvaille a ouvert la voie à la recherche dans la
vallée du Rift. En Ethiopie notamment,
où l’australopithèque Lucy a été mise au jour en 1974.» Autre découverte
fondamentale à Olduvai : l’excavation, par les Leakey, en 1960, du premier
fossile de l’espèce Homo habilis (entre 1,5 et 2,3 millions
d’années), qui savait fabriquer des outils primitifs en pierre.
Pourtant, de OH1 (pour Olduvai Hominid 1), squelette
fossilisé d’Homo
sapiens datant d’environ 16 000 ans déterré ici en 1931, à OH86,
une phalange d’un ancêtre vivant il y a 1,8 million d’années trouvée dans les
années 2010, moins d’une centaine de fossiles d’hominiens ont été découverts à
Olduvai. Une bagatelle comparée aux 60 000 du lac Turkana,
à cheval sur le Kenya et l’Ethiopie. «Si vous cherchez vos ancêtres, ne venez
pas ici», plaisante Jackson Njau. Pour lui, il existe une explication à ce
faible nombre de reliques : nos ancêtres n’étaient pas établis à Olduvai même,
mais dans les montagnes alentour, à l’abri des prédateurs.
Pour les archéologues, l’intérêt du site réside
ailleurs : il permet d’étudier certains aspects du mode de vie de ces premiers
hommes. Une équipe de l’université Alcalá de Madrid est en train de scruter des
milliers d’outils et de fossiles d’animaux situés dans la même couche
sédimentaire que le Paranthropus boisei. A la façon dont les
squelettes du gibier ont été disloqués et dépouillés de leur chair, ils
cherchent à déterminer si ces ancêtres étaient des chasseurs ou se
nourrissaient de carcasses. Jackson Njau, quant à lui, tente de vérifier
l’hypothèse selon laquelle un changement climatique, survenu il y a entre 1,2
et 1,8 million d’années, aurait forcé les hominiens à davantage se défendre des
prédateurs, ce qui aurait provoqué le développement de leur cerveau. Hypothèse
qui alimenterait la théorie, partagée par de nombreux paléontologues,
dont Yves Coppens, selon laquelle le climat aurait été le principal moteur de
l’évolution humaine. A méditer pour l’avenir.
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