COP25 : La RDC peine à protéger sa forêt tropicale, vitale pour le climat
La
République démocratique du Congo (RDC) abrite la plus grande partie de la forêt
humide équatoriale en Afrique, dont la préservation est vitale dans la lutte
contre le réchauffement climatique. Mais l’Etat est trop faible pour la
protéger efficacement. Les trafics du bois par les officiels eux-mêmes sont
dénoncés à voix haute à Kisangani, chef-lieu de la province forestière de la
Tshopo (nord-est).
« Il
y a les députés et les militaires qui font le bois », affirme le président
des exploitants artisanaux, Félicien Liofo. « Ils ne paient pas de taxes.
C’est de la concurrence déloyale ».
Sur
la route RN4 à l’entrée de la ville, un poste de contrôle vérifie les documents
des exploitants forestiers, ainsi que le volume et l’origine des grumes qu’ils
transportent.
« Des
soldats en uniforme ouvrent parfois eux-mêmes la barrière avec les armes. Ils
vous menacent de tirer », déplore l’officier de police judiciaire (OPJ) de
service, qui dénonce les « trafics d’influence » des militaires, des
députés et des ministres provinciaux.
« On
ne peut pas les attaquer. Ils font de l’exploitation à travers des personnes
interposées », soupire le coordonnateur provincial de l’environnement et
du développement durable, Félicien Malu.
En
théorie, sa « coordination provinciale » dispose de 1.200 agents pour
toute la province (200.000 km2, près de sept fois la Belgique), afin de faire
respecter les dispositions du code forestier de 2002.
Mais
« les agents ne sont pas payés », affirme le coordonnateur, qui a
remplacé en septembre son prédécesseur, suspendu pour « coulage des
recettes » (détournement de fonds).
Manquent
aussi les moyens matériels (bateau, motos, pick-up). « On ne peut pas
organiser des missions de contrôle. Il y a beaucoup de rivières à traverser et
de voies routières non réhabilitées ».
En
forêt, c’est parfois la loi de la jungle. A 40 km de Kisangani, une entreprise
agro-industrielle congolaise, la Scipec, a coupé 850 hectares pour planter des
palmiers à huile. « En 2020, nous allons faire une extension de 650
ha », se félicite son gérant, avec le bruit d’une tronçonneuse en fond
sonore.
Un
exploitant forestier industriel, la CFT, affirme, carte à l’appui, que la palmeraie
s’est installée sur sa propre concession, obtenue en toute légalité auprès des
autorités congolaises.
Début
2019, après enquête, l’ONG Global Witness a accusé un haut-gradé de l’armée
congolaise, le général Gabriel Amisi Kumba, dit « Tango Four »,
d’avoir « contourné la loi en acquérant puis en revendant les permis
forestiers ». Soit une « violation du moratoire » en vigueur
depuis 2002 sur l’octroi des nouvelles concessions, selon l’ONG.
Avec
ce moratoire et le code forestier de 2002 également, la RDC est
pourtant sur le papier bien armée pour protéger sa forêt, qui couvre plus de la
moitié de son territoire (1,5 million de km2 au total).
Sa
préservation est vitale : le bassin du Congo est un « puits à
carbone » qui stocke « six ans d’émission mondiale de CO2 »,
d’après l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi, partenariat de
pays occidentaux avec la RDC, le Congo-Brazzaville, le Gabon, le Cameroun,
la Centrafrique et la Guinée-Equatoriale).
Selon
les chiffres officiels, à peine 8% de la surface forestière
en RDC est exploitée (120.000 km2), à travers une soixantaine de
concessions à des industriels et quelques communautés locales.
En
contrepartie, les industriels doivent payer toute une série de taxes (abattage
de déboisement, exportation…).
Ils
doivent respecter un « plan d’aménagement » qui divise leur
concession en « assiettes annuelles de coupe ». A l’intérieur de ces
périmètres annuels d’abattage, ils n’ont le droit de couper qu’un certain
nombre d’arbres (de l’ordre d’un à l’hectare par exemple pour la CFT près de
Kisangani).
Le
cahier des charges prévoit enfin des oeuvres sociales pour les villages qui se
trouvent dans les concessions : respect des forêts « sacrées » (le
cimetière des ancêtres), construction de routes, d’écoles, de centres de santé.
L’initiative
pour la forêt d’Afrique centrale (Cafi, avec la Norvège et la France en tête)
indique aussi qu’elle « finance actuellement des programmes dont le but
est de prévenir l’émission de 40 millions de tonnes de CO2 » en RDC.
Le
Cafi s’est engagé à verser 200 millions de dollars jusqu’en 2020 à
la RDC à travers un « fonds national pour la réduction des
émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts ».
Les
autorités congolaises plaident de leur côté pour une levée du moratoire de 2002
sur les nouvelles concessions. Cette demande « fait flipper les ONG
occidentales », reconnaît Tosi Mpanu Mpanu, consultant, ambassadeur, et
représentant de la RDC aux conférences climat.
Directement
visée, Greenpeace s’oppose en effet à toute activité industrielle (bois,
pétrole…) dans 445.000 km2 de tourbières à cheval sur les deux Congo.
En
2018, la forêt primaire tropicale a reculé en RDC comme nulle part
ailleurs au monde à part au Brésil (481.248 hectares, soit 4.812 km2), d’après le
rapport annuel de Global Forest Watch.
A.G.M
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