Les pesticides, principale cause de la disparition des oiseaux en France
En
trente ans, l’Europe a perdu plus de 421 millions d’oiseaux. Une situation
alarmante due en grande partie au dérèglement climatique mais surtout aux
pesticides.
Comment
expliquer l'alarmante disparition de millions d'oiseaux ces dernières années ?
Le dérèglement climatique désoriente les oiseaux migrateurs, mais le premier
coupable est une molécule chimique : l'imidaclopride, qui agit sur eux comme un
poison à mort lente lorsqu'ils picorent par exemple des graines enrobées de
pesticides semées dans les champs.
Quels oiseaux sont en déclin ?
Le
chardonneret élégant, le coucou, le milan royal, le pigeon ramier, la perdrix
grise, l’alouette : la situation est alarmante. Non seulement ces oiseaux
disparaissent, mais cette disparition s’est accélérée ces dernières années :
"Depuis 1989, on a perdu en France à peu près un tiers des oiseaux des
milieux agricoles, constate Frédéric Jiguet, ornithologue et professeur au
Centre d'écologie et des sciences de la conservation du Muséum d’histoire
naturelle. Les alouettes, les tourterelles des bois, les perdrix, sont des
espèces en déclin et dont on perd chaque année 1 % à 2 % des effectifs. On a
perdu à peu près un quart des coucous en France, l’une des espèces en déclin
marqué."
En
tout, près de 275 espèces sont touchées, dont 32 % d’oiseaux nicheurs.
Certaines, comme le moineau friquet, ont presque disparu dans toute l’Europe de
l’Ouest. D’autres plus gros, comme les merles, les pies ou les corneilles, qui
mangent tout y compris des oisillons, survivent mais se réfugient en ville.
Le
phénomène n’est pas qu’européen. En cinquante ans, près de trois milliards
d’oiseaux ont aussi disparu en Amérique du Nord.
Comment sait-on qu’ils disparaissent ?
Des
comptages sont effectués chaque printemps par des centaines d’ornithologues et
d’amateurs. Ils écoutent et enregistrent les bruits des oiseaux à des points
précis et identiques d’une année sur l’autre, et notent toutes leurs
observations. En les compilant, ils arrivent au constat que partout en France,
ces espèces déclinent.
Quand
une espèce perd 25 % de ses effectifs en dix ans, comme c’est le cas pour le
chardonneret élégant par exemple, il est ajouté à la liste rouge des espèces
menacées en France. Cette liste, éditée par l’Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN), ne cesse de s’étoffer.
Qui est responsable de la disparition de ces oiseaux ?
Les
conséquences des activités humaines sur l'environnement sont, on le sait, une
des principales raisons du déclin des espèces animales. Mais comment cela se
traduit-il pour les oiseaux ?
Les effets du changement climatique
De
nombreux oiseaux qui migrent au printemps et en automne sont perturbés par les
effets du dérèglement climatique. Le coucou en fait partie :
La
femelle a la particularité de ne pas élever son propre poussin et de pondre un
œuf dans le nid d'une autre espèce, comme le rouge-gorge, explique Frédéric
Jiguet. Avec le changement climatique, les printemps sont de plus en plus
précoces en Europe. Quand les coucous arrivent de migration, les rouges-gorges
ont déjà pondu leurs œufs, il est donc trop tard pour que les femelles coucous
puissent pondre dans un nid de rouges-gorges.
Les effets indirects des pesticides
Pour
protéger les récoltes des insectes et animaux dits nuisibles, les agriculteurs
utilisent depuis longtemps toutes sortes de pesticides, insecticides qui sont
autant de poisons. En France, l’agriculture répand chaque année plus de 65 000
tonnes de pesticides pour traiter les céréales, la betterave ou encore les
vignes. La plupart de ces produits ont des effets directs sur le déclin des
oiseaux, qui se nourrissent de graines, d’insectes ou de petits rongeurs. Parmi
eux :
La
bromadiolone, pesticide répandu depuis les années 70 pour lutter contre les
campagnols, tue aussi par ricochet les rapaces, notamment les milans, victimes
collatérales de ce raticide. Cet anticoagulant est indirectement ingéré par ces
oiseaux, qui s’empoisonnent en se nourrissant de rongeurs.
Les
vermifuges sont utilisés sur les animaux (chevaux, vaches, moutons) pour
éliminer les insectes parasites. Certaines espèces d’oiseaux comme la
bergeronnette, le tarier, ou l’étourneau, se délectent de ces insectes, et sont
à leur tour empoisonnés par ces produits vétérinaires.
Les
néonicotinoïdes, insecticides les plus virulents, sont responsables du déclin
des abeilles et de trois quarts des insectes. Commercialisés depuis les années
80, ils sont interdits en France depuis septembre 2018. En Allemagne, on estime
qu’à cause d’eux, la biomasse des insectes a diminué de 80 %. Faute d’insectes,
les oiseaux ne peuvent plus nourrir correctement leurs oisillons.
Ce
constat explique que les oiseaux des champs, directement en contact avec les
pesticides, soient plus affectés que ceux des forêts.
Comment les pesticides agissent-ils sur les oiseaux ?
Qu’ils
soient insecticides, désherbants, ou fongicides, les pesticides ont tous des
effets sur la santé des oiseaux. "Ils vont agir sur plusieurs organes,
notamment le foie et l’encéphale, détaille Norin Chaï, vétérinaire à la
ménagerie du Jardin des plantes à Paris. Ils vont entraîner des lésions au niveau
reproducteur, affiner et fragiliser la coquille des œufs. Les pesticides
peuvent aussi entraîner des lésions nerveuses, causer des retards de
croissance, une baisse de la fertilité, des pertes de repère dans l'espace,
etc."
Les
pesticides dérèglent également les hormones thyroïdiennes, indispensables au
vol et à la migration des oiseaux, comme le coucou et l’hirondelle. "Les
hormones thyroïdiennes sont essentielles pour la prise de poids et les
changements des muscles, précise Barbara Demeinex, biologiste et
endocrinologue, et autrice du livre Cocktail toxique : comment les
perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau (Odile Jacob, 2017).
Elles sont indispensables pour la navigation. À cause de l’interférence des
pesticides, les oiseaux vont littéralement perdre le Nord."
Plus
de 287 produits suspects ont été recensés. Des produits qui ne sont pas
seulement cancérogènes mais aussi mutagènes et reprotoxiques, c’est-à-dire
qu’ils affectent aussi les mécanismes de la reproduction.
Pourquoi on parle d’effets sublétaux
Les
pesticides causent une mort lente chez les oiseaux. Chez la perdrix grise, le
pigeon biset ou chez le ramier, les effets, dans un premier temps, ne sont pas
visibles. "La majorité des pesticides ont des effets sublétaux, c'est-à-dire
des effets insidieux, liés à des expositions plus longues où répétées à ces
produits", analyse Olivier Cardoso, écotoxicologue à l’ONCFS, l'Office
national de la chasse et de la faune sauvage. Avec pour conséquence "des
troubles neurologiques, des troubles de l'immunité, des perturbations
endocriniennes, qui vont mettre en jeu la santé de l'animal, mais pas forcément
de manière foudroyante, violente, et qui vont même avoir parfois des effets
transgénérationnels et des effets sur la population globale de ces animaux,
avec un affaiblissement général de ces populations."
Pesticides et mortalité des oiseaux : causalité démontrée
En
février 2018, l’ONCFS a publié un rapport qui prouve pour la première fois que
les oiseaux sont bien exposés aux pesticides, et en particulier
l’imidaclopride. Cette molécule appartient à la famille des néonicotinoïdes
utilisés dans les champs pendant plus de vingt ans.
Ce
rapport précise que "sur 3 000 cas suspects d'oiseaux empoisonnés sur 20
ans, 239 carcasses ont été récupérées près de champs fraîchement semés dans les
zones de culture céréalière intensive du Nord et du Centre de la France. Plus
de cent cas ont été associés à une réelle exposition à l'usage agricole de la
molécule insecticide imidaclopride. Dans les deux tiers des cas, les oiseaux
avaient mangé des semences traitées. La mortalité par empoisonnement a donc été
déclarée probable dans 70 % des cas."
Dans le sillage de ces conclusions, le Museum d’histoire naturelle compte saisir l’Office français de la biodiversité, afin de comparer la carte des achats de pesticides en France avec celle des observations d’oiseaux dans les départements, afin de voir quels produits chimiques peuvent être précisément incriminés dans la diminution des oiseaux.
• Crédits : SAGIR / ONCFS |
Dans le sillage de ces conclusions, le Museum d’histoire naturelle compte saisir l’Office français de la biodiversité, afin de comparer la carte des achats de pesticides en France avec celle des observations d’oiseaux dans les départements, afin de voir quels produits chimiques peuvent être précisément incriminés dans la diminution des oiseaux.
Comment font les oiseaux pour s’empoisonner avec l’imidaclopride ?
L’imidaclopride
est particulièrement facile à repérer et picorer car elle enrobe la semence
d’une couleur rose. Les graines ainsi traitées ne sont pas toutes enfouies lors
du processus d’ensemencement. Entre 10 et 70 graines par mètre carré restent en
surface, ce qui en fait nourriture abondante pour les oiseaux. Or quelques
dizaines de ces graines suffisent à déclencher chez eux des effets
neurologiques ayant des conséquences sur leur vigilance et leur motricité.
Semences certifiées de maïs semblables aux semences enrobées d'imidaclopride. |
Pourquoi interdire ne signifie pas la fin des
problèmes
Malgré sa récente interdiction, les effets de cet insecticide perdurent.
"L’imidaclopride et les molécules de cette famille peuvent rester
plusieurs années dans les sols où elles peuvent s'accumuler, affirme
Stéphane Foucart, auteur de Et le monde devint silencieux - Comment l'agrochimie a détruit les insectes (Seuil,
2019). On trouve dans le pollen et le nectar des fleurs sauvages,
butinées par les papillons et les abeilles en marge des champs, des traces non
négligeables et parfois même létales de produits."
Par ailleurs, on détecte encore, cinquante ans après, du DDT,
insecticide interdit en France depuis le début des années 70, dans le
liquide amniotique des femmes enceintes.
Après les oiseaux, les hommes ?
"Quand des scientifiques vous alertent sur la dangerosité d'un
produit, la moindre des choses, c'est de prendre son temps, de réfléchir et
d'adapter la production en fonction de ce que l'on vient d'apprendre,
estime l’écologiste Fabrice Nicolino, journaliste et auteur du livre Le crime est presque parfait (Les
Liens qui libèrent, 2019). Or là, on fait exactement le contraire.
Autrefois, les canaris permettaient d’alerter sur l’imminence d’un coup de
grisou dans les mines. Eh bien c'est le même message que nous adressent les
oiseaux quand ils disparaissent par centaines de milliers. Il faut il faut
sonner le tocsin, c'est évident."
Le risque à terme, selon les ornithologues : c’est de se retrouver
avec un petit nombre d’espèces qui prendraient la place de toutes les autres,
avec d’un côté certaines adaptées à la pollution et au changement climatique,
et de l'autre des oiseaux d'élevages – poules et autres canards – qui seraient,
elles destinés à la consommation. Ce serait donc la fin de la
biodiversité telle qu’on l’a connue jusqu’à présent.
A.G.M
Source
A.G.M
Source
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire