Libreville
(AFP)
Quatre
mois après sa découverte, le "kevazingogate", important trafic de
bois précieux au Gabon qui a provoqué un scandale politique et le blocage des
exportations de bois, a durement affecté les entreprises forestières de ce
petit pays d'Afrique centrale.
Au
port d'Owendo, situé dans l'estuaire de Libreville, les planches d'Okoumé et
autres essences de bois tropical s'empilent dans les entrepôts et débordent.
Sur
les six premiers mois de l'année, les exportations de bois au Port d'Owendo,
principale porte de sortie du Gabon, ont été bloquées la moitié du temps.
En
cause, la découverte fin février dans deux entrepôts appartenant à des sociétés
chinoises de plusieurs milliers de m3 de kevazingo, un bois précieux interdit
d'abattage, dur et dense, très prisé en Asie. Puis la disparition un mois plus
tard de centaines de ces containers saisis par la justice, mettant à jour la
complicité de plusieurs hauts responsables politiques dont le vice-président du
pays.
Le
"kevazingogate" a "très fortement affecté les acteurs de la
filière bois au Gabon, sans faire de distinction entre ceux qui trichent et
ceux qui respectent les règles", se désole Philippe Fievez, le directeur
général de la société française forestière Rougier au Gabon. Présente dans le
pays depuis 1952, elle produit environ 300.000 m3 de grumes de toutes essences
par an.
"Sur
les six premier mois de cette année, nous n'avons exporté du bois que trois
mois", ajoute-t-il déplorant avoir dû mettre au plus fort de la crise
jusqu'à 400 personnes au chômage technique sur les 1.400 salariés que compte
son entreprise. "Il va nous falloir entre six à neuf mois pour retrouver
une situation normale."
Accusée
de complicité dans ce trafic de bois, chiffré à plusieurs millions d'euros, la
brigade des Eaux et Forêt au port, chargée de vérifier la conformité des
cargaisons prêtes à être chargées sur les navires, avait été mise à l'arrêt par
la justice fin février. Durant tout le mois de mars, les exportations ont alors
considérablement ralenti.
"Un
mois plus tard, la brigade avait été remplacée, permettant aux exportations de
reprendre", explique l'exploitant forestier. Mais fin avril, nouveau coup
de théâtre au port: 353 des conteneurs, saisis par la justice, se sont
mystérieusement volatilisés.
Une
enquête ouverte fait alors état de l'implication de plusieurs responsables
politiques et de l'administration dans ce trafic, menant notamment au limogeage
du ministre des Eaux et Forêts et du vice-président du Gabon.
Plusieurs
haut cadres de l'administration gabonaise sont aussi suspendus, ce qui provoque
un nouveau blocage des exportations.
"Depuis
début mai, nos entreprises ne peuvent plus exporter, notre manque à gagner est
considérable", indique Françoise Van de Ven, secrétaire générale du
syndicat de l'Union des forestiers industriels du Gabon et Aménagistes (Ufiga).
-
Image du bois gabonais ternie -
Avec
la nomination mi-juin d'un nouveau ministre des Eaux et Forêt, le défenseur de
l'environnement Lee White "qui s'est saisi immédiatement du dossier",
les exportations "viennent juste de reprendre", poursuit Mme Van de
Ven.
"Mais
aujourd'hui il va falloir se surpasser pour remonter la pente et surtout
redorer l'image du bois gabonais qui a été considérablement abîmée",
ajoute-t-elle.
Car
à la même période, la publication d'un rapport explosif d'une ONG britannique
sur l'exploitation forestière illégale au Gabon fait grand bruit.
L'Environnemental
Investigation Agency (EIA) dénonce les pratiques illégales d'un groupe chinois
à l'origine d'un vaste trafic d'exploitation de bois au Gabon et au Congo,
montrant la facilité avec laquelle les agents de l'administration et du
ministère concernés acceptent des pots-de-vin pour cacher les activités
frauduleuses de certains exploitants forestiers.
"Aujourd'hui,
les acheteurs ont l'impression qu'ils risquent d'acheter du bois illégal en se
fournissant au Gabon", se lamente Benamin Feng, directeur général adjoint
de l'entreprise forestière chinoise KHLL Forestry, installée depuis cinq ans au
Gabon.
"Nous
avons à peu près 1.500 m3 d'Azobe (bois équatorial) prêts à partir pour
l'Europe mais mon acheteur hollandais hésite, il me dit: qu'est ce qui prouve
que votre bois est légal?" Et d'ajouter: "Pourtant je peux le prouver
j'ai tous les papiers mais l'image a été ternie."
Représentant
60% du PIB (hors hydrocarbures), le secteur forestier est l'un des piliers
historiques de l'économie du Gabon, recouvert à près de 80% par la forêt et
plongé dans une crise économique depuis la chute des cours du pétrole en 2014.
Rougier,
comme KHLL et d'autres, espèrent cependant "que le scandale aura au moins
eu le mérite de pointer du doigt les mauvaises pratiques de certains
forestiers, pour que tous jouent selon les même règles".
Source: AFP (2019)
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