Par Perrine
Larsimont
Publié le 6 mai 2019
L’Afrique est le
continent le plus vulnérable aux changements climatiques. Alors qu’elle fait
face à d’importants défis économiques et démographiques, quels sont les enjeux
liés à sa transition énergétique ? Anthony Okon Nyong,Directeur du
changement climatique et de la croissance verte au Groupe de la Banque
africaine de Développement explique comment son unité agit pour un futur faible
en carbone sur le continent.
La Banque africaine de
développement (BDA), c’est 80 pays membres à travers le monde, dont 54 se
trouvent en région africaine. Avec le Fonds africain de développement (FAD) et
le Fonds spécial du Nigéria (FSN), l’institution mobilise des ressources pour
donner vie à des projets de développement économique et social au sein de ses
pays membres régionaux. Recruté par la triade en 2008, le géographe nigérian
Anthony Nyong a été l’un de ses premiers spécialistes du changement climatique.
Il est promu à la tête du département consacré moins de 10 ans plus tard, en
2017.
À l’évocation des
enjeux de « décarbonisation » de l’Afrique, l’expert s’oblige à une
mise au point : “Le terme « décarbonisation » sous-entend qu’il
y a déjà une économie intensive en carbone. Or, nous contribuons pour moins de
4% aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L’Afrique est donc un
continent pauvre en émissions et le défi est de s’assurer qu’il le reste. Nous
ferons croître l’économie d’une façon qui ne contribue pas significativement
aux GES, dans l’idée d’une transition vers une croissance verte ».
Cette réalité de petit
émetteur en cache une autre. Si l’Afrique contribue le moins à l’émission
globale des GES, elle est aussi la région la plus vulnérable aux
effets négatifs des changements climatiques, selon un rapport du
bureau de consultance en calcul du risque, Verisk Maplecroft.
Cette contradiction
met en avant deux éléments importants, selon le Nigérien : d’une part, la
responsabilité et le devoir de contribution à la croissance verte africaine des
gros émetteurs mondiaux. De l’autre, la nécessité pour l’Afrique de concentrer
sa stratégie sur les mesures d’adaptation et de résilience face aux changements
climatiques, plus que sur la réduction des GES. « Or, en 2016, moins de 16
% des ressources de la BDA ont été consacrées au financement climatique. Et sur
cette somme, moins de 30 % concernaient les mesures d’adaptation et de
résilience », explique-t-il.
Une des premières
actions d’Anthony Nyong en tant que Directeur du département a donc été de
plaider -avec succès- en faveur d’une redistribution de ce financement, à
égalité avec les mesures de réduction des GES.
Des objectifs ciblés
Autre point fort de
son mandat : le spécialiste a coordonné l'élaboration du deuxième Plan d'action sur le
changement climatique (2016-2020) de la BAD. Une stratégie qui a
notamment mené la Banque à investir l’intégralité de son budget énergétique
pour 2017 dans des projets d’énergie renouvelable : « Le continent a un
potentiel énorme. Les changements climatiques forcent la transition vers les
énergies renouvelables. Dans ce sens, il est judicieux que l’Afrique vise un
développement pauvre en carbone », explique-t-il.
Dans cet objectif,
tous les secteurs « émetteurs » de GES sont pris en compte dans les
stratégies climatiques de la Banque, soutient le géographe. Le secteur de
l’agriculture est le premier ciblé, à l’aide d’un programme de lutte contre la
déforestation et la dégradation des sols. Un programme de frein à la
désertification des pays du Sahel ainsi qu’un programme d’aide au développement
des villes touchées par les changements climatiques figurent aussi dans la
liste des initiatives soutenues par l’institution.
La voie numérique
« Si les
changements climatiques en Afrique sont une source de problèmes, ils
représentent aussi des opportunités », insiste Anthony Nyong. La BAD
s’appuie notamment sur la popularité des paiements mobiles en soutenant les
ménages qui se fournissent en électricité en dehors du réseau de
distribution : « Grâce à leur cellulaire, les gens payent au fur et à
mesure pour utiliser l’électricité qu’ils ont chargée à travers un système
solaire domestique indépendant. En plus de faciliter la commission, ce système
rend l'investissement dans l'énergie hors réseau plus rapide en Afrique que
partout ailleurs. », explique l’expert.
Le boom du paiement mobile
Selon une étude
publiée en 2018 par la Société Financière Internationale, l'Afrique compte près de la moitié
des 700 millions d'utilisateurs des solutions de paiement mobile.
Celles-ci consistent en des transactions et services financiers qui peuvent
être effectués à l'aide d'un appareil mobile (cellulaire ou tablette). Comme
ces services ne nécessitent pas d’être reliés à un compte bancaire, ils permettent
à un grand nombre de personnes de bénéficier de services financiers de base
auxquels elles n’auraient pas accès autrement.
Autre
secteur d’investissement : les technologies du Web. Notamment de
l’Internet des objets, inhérent à la gestion des installations urbaines.
« Prenez par exemple les feux de circulation fonctionnant avec
l'intelligence artificielle. Cette technologie permet de réduire le temps de
marche au ralenti des voitures et, par conséquent, leur quantité d'émissions de
gaz à effet de serre », explique le directeur.
Dans le même temps,
Anthony Nyong plaide pour prévenir la fracture numérique pouvant accompagner le
développement de l’Internet, tandis que l’Afrique est le continent connaissant
la croissance démographique la plus rapide : « Les villes ont besoin
d’être connectées. Certaines régions attendent la 5G, qui est déjà prise en
considération dans le design de nos villes. Pour en profiter
et s’assurer que la population ne soit pas laissée pour compte, la BAD a mis en
place plusieurs initiatives en matière de compétences, d'innovation et de
technologie à travers le continent », explique-t-il.
Bombe à retardement
S’il faut veiller à ce
que l’Afrique n’augmente pas son taux d’émission de GES, c’est aussi parce
qu’elle pourrait facilement le dépasser, semble dire le spécialiste en
concluant sur la découverte fin 2017 de la plus grande tourbière du monde,
à l’ouest du Congo. Ce puits de carbone à ciel ouvert serait capable de stocker
près de 30 milliards de tonnes de CO2, soit trois ans d’émissions mondiales
liées aux énergies fossiles.
Anthony Nyong rappelle
la nécessité d’investir pour la protection de tels sites dont la destruction
pourrait avoir un effet catastrophique sur le climat. “Si nous ne sommes pas
capables de résoudre la problématique des changements climatiques en Afrique,
nous ne serons pas capables de la résoudre au niveau mondial »,
estime-t-il.
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