Economie: Comment renforcer la croissance économique et la résilience dans les régions frontalières de la Corne de l’Afrique
Alors que
les habitants des zones frontalières de la Corne de l’Afrique ont longtemps été
négligés, un nouveau rapport de la Banque mondiale préconise des axes d’action
porteurs de progrès socio-économique pour ces populations.
Sous le
titre De
l’isolement à l’intégration, le rapport constate que si les pays de la
Corne de l’Afrique — Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Soudan, Soudan
du Sud, Somalie et Ouganda — comptent certaines des économies les plus
dynamiques de la région, on ne peut pas en dire autant des zones situées aux
carrefours de ces pays. Des régions frontalières marquées historiquement par la
marginalisation, les dégradations de l’environnement, les déplacements forcés,
la pauvreté extrême et des enjeux importants de développement. Elles sont aussi
confrontées aujourd’hui à la menace du coronavirus, mais possèdent également
selon le rapport un réel potentiel économique.
« Aujourd'hui,
plus d’une centaine de conflits frontaliers sont en cours sur le continent
africain, qui trouvent leur origine dans les politiques identitaires, les
rivalités pour l’accès aux ressources naturelles, la croissance démographique
et les déplacements de population ou encore les tensions environnementales »,
explique Workneh Gebeyehu, secrétaire exécutif de l’Autorité
intergouvernementale pour le développement (IGAD). « La pandémie de
COVID-19 a encore aggravé la vulnérabilité des communautés marginalisées face
aux situations d’urgence, en particulier le long des frontières de la Somalie,
du Kenya, de l’Éthiopie et de Djibouti. En liaison avec les États membres de
l’IGAD, nous avons concentré nos efforts sur la protection des populations
vulnérables contre l’infection et la propagation du coronavirus, tout en
veillant à en atténuer les impacts sur l’économie informelle dont dépendent les
moyens de subsistance des communautés frontalières. »
Le
rapport de la Banque mondiale rappelle que la compréhension du contexte et de
l’histoire est essentielle pour élaborer des politiques mieux ciblées pour ces
régions et porteuses de progrès socio-économique pour leurs habitants. Il se
penche notamment sur la situation de deux zones frontalières : celle de
Karamoja (sud-est du Soudan, sud-ouest de l’Éthiopie, nord-ouest du Kenya et
nord-est de l’Ouganda) et le triangle de Mandera, anciennement connu sous le
nom de région somalienne (nord-est du Kenya, sud-est de l’Éthiopie et sud de la
Somalie).
Le
handicap principal de ces régions est la rudesse du climat et du terrain :
les sols sont semi-arides et le manque d’eau est chronique. Y vivent
principalement des populations agropastorales pratiquant l’élevage nomade et
une agriculture de subsistance. La mobilité est fondamentale pour ces
activités, puisqu’il faut souvent traverser les frontières pour se rendre sur
les marchés et pour trouver des pâturages et de l’eau. Des ressources rares qui
constituent des sources fréquentes de conflit pour ces populations nomades.
La région
est en outre le théâtre de violences extrémistes, et notamment des attaques du
groupe des shebabs. Plusieurs pays ont réagi à l’insécurité en renforçant les
contrôles aux frontières, ce qui a eu pour corollaire l’interdiction des
déplacements des petits commerçants frontaliers et la suppression de leur
source de revenus. Par conséquent, certaines familles ont été poussées à
adopter des pratiques moins durables, comme le brûlage d’arbres pour préparer
du charbon de bois, et à se tourner vers des activités de contrebande et de
banditisme. Le manque de perspectives dans un contexte d’épuisement des
ressources naturelles, d’obstacles aux frontières et de poussée démographique a
également incité les jeunes à partir vers les centres urbains, privant ces
régions de leurs talents et de leur énergie.
Le
rapport relève toutefois plusieurs évolutions encourageantes en faveur de la
légalisation du commerce transfrontalier informel. L’Éthiopie, par exemple, a
conclu un accord bilatéral avec le Soudan, qui permet aux commerçants
d’effectuer 48 voyages par an avec des marchandises d’une valeur maximale
de 117 dollars par voyage. Des accords identiques existent avec Djibouti,
le Kenya et la Somalie.
« Les
facteurs de fragilité dans la Corne de l’Afrique sont multiples : niveaux
élevés de pauvreté, dégradation de l’environnement, faiblesse des institutions
formelles et informelles, conflits et déplacements forcés. Il est donc urgent
d’investir dans la résilience systémique de la région, et en particulier dans
ses zones frontalières, afin de renforcer leurs capacités à se préparer et à
répondre aux chocs et aux tensions, et de réaliser les objectifs de
développement », explique Varalakshmi Vemuru, spécialiste principale en
développement social à la Banque mondiale et auteure principale du rapport.
Le
rapport propose quatre pistes d’action pour assurer un développement durable
dans les régions frontalières de la Corne de l’Afrique :
- Collaboration régionale au niveau des
politiques et des institutions : il convient
d’intensifier les démarches collaboratives pour faciliter les flux
transfrontaliers de capitaux, de main-d’œuvre, de biens et de
services ;
- Investissement dans les infrastructures et
les services sociaux de base : des
équipements et des services sociaux élémentaires doivent être mis en place
pour ouvrir les zones frontalières et améliorer la qualité de vie des
populations. Il s’agit notamment des routes, de l’énergie, de l’éducation,
de la santé, de l’eau, des TIC et de l’accès aux financements ;
- Renforcement des institutions communautaires
locales : étant donné que ces régions souffrent
d’une mauvaise gouvernance et de tensions fréquentes, les investissements
risquent de ne pas être maintenus dans le temps. Il est donc nécessaire de
renforcer les institutions locales afin d’améliorer la gestion
collaborative des frontières et la capacité de médiation des
conflits ;
- Renforcement du capital humain : dans
le cadre d’interventions ciblées, les populations locales devraient être
dotées de compétences nouvelles grâce à la formation, à l’éducation
participative et à l’accès au microfinancement. Des moyens devraient
également être donnés aux femmes pour permettre aux ménages d’améliorer
leur qualité de vie et de se constituer un capital.
La découverte récente de ressources stratégiques — eau, pétrole, gaz, or, potasse et aquifères — fait en outre des régions frontalières de la Corne de l’Afrique des pôles économiques émergents. Le rapport souligne à cet égard qu’une exploitation de ces ressources garante de l’inclusion des communautés marginalisées pourrait accélérer l’amélioration de leur situation. Avec une croissance démographique de 3 % par an, qui devrait entraîner un doublement de la population en 23 ans, le rapport montre comment les décideurs politiques ont aujourd’hui la possibilité d’accélérer la croissance économique en priorisant les zones frontalières et leurs habitants et en pensant autrement les liens entre conflit, développement et construction de la nation.
AGM
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