Transition agroécologique, l’autre indépendance du Sénégal ?
Pour le journaliste Dominique Lang, l’agroécologie est le
choix d’un modèle de vie sociale et économique qui pourrait permettre au
Sénégal d’être davantage autonome.
« C’est la première fois qu’une consultation du monde agricole
d’une telle ampleur est menée au Sénégal ». Avec une fierté légitime, Raphaël
Belmin, chercheur au centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (Cirad), rend compte de cette aventure à
laquelle il a participé ces mois avec de nombreux autres partenaires locaux.
Issue de différents acteurs de terrain qui ont appris à se
mettre d’accord pour aboutir, au final, à un projet qui se veut être
co-construit avec l’État : cette dynamique est effectivement, à bien des
égards, une première dans le pays.
La vingtaine d’experts qui ont rédigé le rapport final remis
au gouvernement le 1er février dernier, ont pris le temps de consulter plus
d’un millier d’acteurs locaux, visitant à travers le pays une trentaine de
sites différents. Ils ont aussi mis en lumière vingt-six initiatives agroécologiques
en cours dans le pays, (association de culture d’arbres fruitiers et de
maraîchage, lutte biologique contre les insectes ravageurs de cultures, gestion
collective des forêts, etc.).
Un vibrant plaidoyer
L’étude a posé un diagnostic des enjeux majeurs en matière
d’agriculture pour les six zones géographiques du pays. On y parle élevage,
développement rural, sécurité alimentaire, sans oublier la protection des
ressources naturelles et de la biodiversité, restauration des terres,
résilience face aux changements climatiques et développement d’emplois
attractifs dans ces projets.
IL s’agit donc d’un vibrant plaidoyer pour une nécessaire
transition agroécologique, que le président Macky Sall lui-même semble appeler de ses
vœux. Le pays avait d’ailleurs été choisi comme pilote pour le développement de
l’agroécologie par la FAO en 2015. Et en 2017, une alliance pour l’agroécologie
en Afrique de l’Ouest (3AO) a été lancée par de nombreux acteurs de la zone
sahélienne.
Pour autant, au Sénégal comme en France, on continue d’espérer
pouvoir inventer une « agriculture performante » qui passe « par une
cohabitation entre exploitations familiales compétitives et des exploitations
privées dynamiques ». C’est ainsi que s’exprimait Pape Abdoulaye Seck, l’ancien
ministre de l’agriculture et de l’équipement rural du pays, remplacé l’année
dernière par un mathématicien renommé.
De fait, cette « cohabitation » espérée témoigne surtout d’un
malentendu que révèle la libéralisation grandissante de fait des marchés et des
pratiques agricoles dans ces pays, loin des belles promesses de l’agroécologie,
plus attentive aux paysans et aux réseaux humains locaux (2).
Davantage d’engrais chimiques ?
D’ailleurs, une révision récente de la loi nationale sur la
biosécurité, sous couvert d’harmonisation continentale, indique l’intérêt
grandissant des politiques sénégalais pour le développement des OGM, notamment
pour développer massivement la production de riz et de coton, après avoir
soutenu depuis des années des programmes massifs de productions irriguées
(maïs, etc.).
Une « stratégie nationale de biosécurité » est aussi en cours
d’évaluation qui doit permettre à l’agriculture sénégalaise de recourir à ces
biotechnologies modernes d'ici à 2030. Hasard du calendrier ?
Alors que le Sénégal fête ces jours-ci le soixantième
anniversaire de son indépendance nationale, l’IFDC, un important acteur privé
en Afrique du monde des engrais et des pesticides a lancé récemment un appel
aux 15 pays de l’Afrique de l’Ouest pour qu’ils libéralisent davantage encore
la circulation des engrais chimiques (mais aussi des pesticides, des semences
commerciales etc.) pour répondre à un « contexte sanitaire agricole et sanitaire
précaire » pour la saison à venir.
Un modèle de vie sociale, économique et écosystémique
Pourtant, l’usage des engrais chimiques est déjà massif, comme
en témoigne un rapport (3) des organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest
: depuis quinze ans, c’est bien l’approvisionnement en intrants de ce genre qui
absorbe l’essentiel des financements, au détriment des autres nécessités du
monde rural. Faut-il alors s’étonner que si la pauvreté recule dans le pays,
elle recule moins dans le monde rural où la moitié des familles sont encore
pauvres ?
On l’aura compris : le choix de l’agroécologie n’est ainsi pas
celui d’un modèle technique contre un autre. Il s’agit du choix d’un modèle de
vie sociale, économique et écosystémique qui renonce pour de bon à la seule lecture
financière, court-termiste et hors-sol du monde. Et cette indépendance-là aussi
n’a pas de prix.
(1) DyTAES, à télécharger sur le site de l’araa.org
(2) Comme en témoigne l’augmentation de la production
céréalière (pour l’exportation), et la diminution de celle de riz.
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