Menaces sur le Nil, source de vie pour des millions de riverains
Par
un matin brumeux au Caire, des bénévoles embarquent sur des kayaks pour
repêcher canettes et autres déchets en plastique flottant sur le Nil, témoin
d'une histoire millénaire et aujourd'hui menacé comme jamais.
Sur
le fleuve mis en péril par la pollution, la démographie galopante, le
changement climatique et les tensions entre pays riverains, la brigade de
quelque 300 bénévoles a ramassé, ces trois dernières années en Egypte, 37
tonnes de canettes, bouteilles ou détritus en plastique.
"Les
gens doivent comprendre que le Nil est aussi important, si ce n'est plus, que
les pyramides", affirme Mostafa Habib, 29 ans, co-fondateur de
l'association VeryNile qui tente de nettoyer ses eaux.
"Les générations à venir en dépendront."
Long
de plus de 6.600 km, le bassin du Nil couvre plus de trois millions de
kilomètres carrés, soit 10% de la superficie du continent africain, et s'étend
sur onze pays: Burundi, République démocratique du Congo, Egypte, Ethiopie,
Erythrée, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud, Soudan et Tanzanie.
Ses
eaux constituent une ressource importante pour quelque 500 millions d'habitants
du Nord-est africain. Or, en raison de l'explosion démographique et du
changement climatique, le Nil, célébré comme un dieu du temps des Pharaons,
devrait faire face à une pénurie d'eau douce d'ici à 2025, selon l'ONU.
- Pollutions multiples
"Le
Nil est la principale source d'eau potable. Nous n'avons pas d'autre fleuve
majeur" dans le pays, souligne un des bénévoles, Walied Mohamed, 21 ans.
De
nombreuses études ont montré que la pollution, en particulier dans la partie
nord du Nil, avait augmenté ces dernières décennies.
Les
causes sont multiples: les eaux usées et déchets versés directement dans le
fleuve, le ruissellement agricole et les rejets d'hydrocarbures et produits
chimiques du secteur industriel.
Tous
ces rejets induisent une présence élevée de métaux lourds (fer, manganèse,
cuivre, nickel, cadmium, plomb), avec des conséquences dramatiques, selon les
experts, sur l'état de la biodiversité.
Ses
riverains en pâtissent pour la pêche, dont beaucoup en vivent de manière
informelle, et leur santé car l'eau polluée du Nil, si elle est traitée pour la
consommation courante, entraîne des maladies comme la bilharziose ou encore la
fièvre typhoïde.
En
Egypte, environ 150 millions de tonnes de déchets industriels finissent dans le
Nil chaque année, selon un rapport de l'agence publique environnementale de
2018.
Le
besoin en eau est d'autant plus crucial que si la croissance démographique se
poursuit au même rythme, le pays devrait compter 120 millions d'habitants en
2030. Déjà environ 7% des Egyptiens n'ont pas accès à l'eau potable et plus de
huit millions à des installations sanitaires correctes.
- Réchauffement climatique
Dans
le même temps, dans tout le bassin du Nil, le réchauffement climatique entraîne
une hausse sensible des saisons chaudes et sèches et aussi, épisodiquement, de
plus fortes pluies.
"La
fréquence des années chaudes et sèches devrait au moins doubler d'ici au milieu
du siècle", estime pour l'AFP Justin S. Mankin, professeur de géographie
au Dartmouth Collège et spécialiste du climat qui a participé à une étude sur
le bassin supérieur du Nil.
En
conséquence, d'après lui, vers 2050, "jusqu'à 45% de la population du
bassin supérieur du Nil devrait se trouver en manque d'eau". Toujours
selon ce chercheur, les conséquences notées en amont du fleuve devraient se
répercuter sur l'aval.
Un
autre défi vient compléter ce tableau : la montée des eaux de la Méditerranée
liée au réchauffement fait pénétrer les eaux salées dans le Delta du Nil,
menaçant la principale région agricole du pays, cultivée depuis des temps
immémoriaux.
Le
coton est l’une des plantes les plus répandues le long du Nil et elle nécessite
beaucoup d’eau. Mais au total, le secteur agricole pourrait diminuer de près de
moitié d'ici à 2060, selon les spécialistes du climat.
Dans
ce contexte, les experts s’inquiètent et appellent l'Egypte à diversifier ses
sources d'eau propre.
"L'Egypte
doit investir dans des sources d'alimentation en eau autres que le Nil",
indique à l'AFP Jeannie Sowers, professeur de Sciences politiques à
l'université du New Hampshire, auteur d'un livre sur les politiques
environnementales de l'Egypte.
"Cela
veut dire donner la priorité aux usines de désalinisation sur les côtes (...)
et améliorer l'irrigation et les réseaux de drainage", estime-t-elle. De
tels projets ont été entamés par le passé mais n'ont pas été suffisamment
développés notamment en raison de la bureaucratie et des troubles économiques
liés à la révolution de 2011 et aux changements qui ont suivi à la tête du
pays.
- Tensions exacerbées
Parallèlement,
les tensions entre les pays riverains pour l'accès à l'eau se sont exacerbées
ces dernières années autour de la construction lancée en 2011 du grand barrage
de la Renaissance que l'Ethiopie construit sur le Nil Bleu - qui rejoint au
Soudan le Nil Blanc pour former le Nil.
L'ouvrage
gigantesque de quatre milliards de dollars (environ 3,6 mds d'euros) doit
devenir le plus grand barrage hydroélectrique d'Afrique.
Pour
l'Ethiopie, qui connait une des croissances les plus rapides du continent mais
dont la moitié des quelque 110 millions d'habitants sont privés d'électricité,
la réalisation d'un tel ouvrage est une question de prestige source de fierté
nationale.
Mais
l'Égypte craint une réduction drastique du débit du Nil en cas de remplissage
trop rapide du réservoir. Le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi a rappelé
devant les Nations unies en 2019 que le Nil était"une question d'existence
pour l'Egypte".
De
son côté, le Soudan, avec ses 41 millions d'habitants, voit le barrage d'un bon
oeil car celui-ci lui fournirait de l'électricité, régulerait les crues et
contribuerait à améliorer l'irrigation.
Les
négociations entre les trois pays concernés par le barrage se sont récemment
intensifiées, sous la houlette des Etats-Unis, afin de trouver une issue à la
crise. Mais après plusieurs années de pourparlers, elles sont toujours au point
mort.
Addis
Abeba termine son méga-barrage et nourrit des ambitions de développement. Le
Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la Paix en 2019
pour la réconciliation avec l'Erythrée, a bien fait comprendre que son pays
était prêt à défendre son barrage par la force si nécessaire.
©
2020 AFP
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire