Financer la transition vers l'agroforesterie
Bamba
Ibrahim, 35 ans, cultive le cacao à Agboville en Côte d'Ivoire. Il a
grandi dans une famille de producteurs de cacao, et a toujours
travaillé dans l'exploitation tout en allant à l'école pour aider sa
famille. À ses 15 ans, il s'est entièrement consacré à cette
activité. Aujourd'hui, ses fèves de cacao valent moins qu'il y a quelques
années, car le prix du cacao a baissé. "Bien sûr, j'aimerais avoir
davantage de terres pour pouvoir planter plus de cacao et gagner plus
d'argent", dit-il.
Bamba Ibrahim, producteur de cacao |
L'échec des modèles actuels de production de cacao
L'industrie
du chocolat est l'une des plus importantes au monde. En 2015, le marché
mondial du cacao s'élevait à environ 100 milliards de dollars américains.
L'Afrique de l'Ouest représente 70 % de la production mondiale de cacao,
assurée par de petits exploitants comme Ibrahim. La Côte d'Ivoire et
le Ghana sont les plus gros producteurs. En Côte d'Ivoire, la production et le
commerce du cacao représentent 40 % des recettes d'exportation et emploient 8
millions de personnes, soit presque un tiers de la population du pays.
L'un
des graves problèmes engendrés par la production de cacao en Afrique de
l'Ouest est la baisse systématique de la qualité et de la quantité des
rendements du cacao. Au fil des ans, les pratiques culturales extensives ont
entraîné une expansion sans cesse croissante des zones cacaoyères, une détérioration
de la qualité des sols et une baisse des rendements agricoles. Il en a résulté
une déforestation à grande échelle et une détérioration de la qualité des sols
en Côte d'Ivoire. Plus de 80 % des forêts du pays ont disparu depuis 1960. La
Côte d'Ivoire était autrefois un haut lieu de biodiversité mondiale d'une
grande richesse biologique et d'une grande diversité d'espèces, mais la déforestation
l'a mis en péril car les animaux perdent rapidement leur dernier habitat,
notamment les éléphants, les hippopotames pygmées, les écureuils volants, les
pangolins, les léopards et les crocodiles.
Le besoin de financement pour produire du chocolat plus vert
Du
point de vue des petits exploitants agricoles, des gouvernements d'Afrique de
l'Ouest et de l'industrie cacaoyère, l'augmentation de la production devra
provenir de l'intensification de la production. Il existe de nombreuses options
qui pourraient assurer la durabilité et la résistance au changement climatique
tout en augmentant les rendements, à savoir une agriculture intelligente du
point de vue climatique, des pratiques de conservation des sols, la promotion
de l'agroforesterie à grande échelle pour assurer la production de cacao à
l'ombre et la réhabilitation des sols. La rationalisation de ces solutions est
intimement liée à la diffusion des connaissances et à la disponibilité des
financements.
Les défis financiers des petits exploitants agricoles
Selon
un rapport de la Banque mondiale, les producteurs ivoiriens ne reçoivent
qu'une faible part du prix à l'exportation sur les marchés internationaux et la
plupart gagnent moins d'un dollar par jour, selon une étude de l'université Yale (en anglais).
La situation s'est encore aggravée pour les petits exploitants
agricoles au cours de l'année dernière. De juillet 2016 à mars 2017, les
cours mondiaux du cacao ont chuté de plus d'un tiers. La plupart des petits
producteurs de cacao de Côte d'Ivoire sont piégés dans la pauvreté, hantés
par l'insécurité alimentaire et sans accès au financement ou aux connaissances
nécessaires pour assurer des gains de productivité.
"Le
Programme des Nations Unies pour l'environnement contribue à la mise en place
d'une production cacaoyère durable en impliquant le secteur privé et les
partenaires techniques, et en encourageant les agriculteurs à utiliser des
plants de qualité et les bonnes techniques agroforestières pour prendre soin de
leurs plantations. Mais les semis et les plantations coûtent de l'argent et les
petits agriculteurs n'ont pas les moyens, alors nous avons besoin de l'aide du
secteur privé et de l'industrie du chocolat pour les aider à accéder aux fonds.
Le Programme des Nations Unies pour l'environnement nous a aidés à réunir les
différents partenaires pour mettre en place des mécanismes qui permettront aux
petits agriculteurs d'accéder au financement", explique le colonel Kouamé
Ahoulou Ernest, coordinateur du secrétariat national REDD+.
Des solutions de financement durable pour le cacao sans déforestation
Jean Paul Aka sur une plantation de cacao |
"Nous
avons introduit l'agroforesterie dans certains projets pilotes",affirme
Jean Paul Aka, spécialiste national du financement de l'utilisation durable des
terres et expert REDD+, "mais si nous voulons passer à l'échelle
supérieure, nous devons aider les agriculteurs qui travaillent en dehors des coopératives
à accéder au financement, afin qu'ils puissent se convertir à
l'agro-foresterie, acheter des semences et combler le déficit de revenus en
attendant que les nouvelles plantes donnent des fruits du cacao. C'est ce sur
quoi nous travaillons."
"Nous
avons commencé à organiser des plates-formes (comme la Conférence 1 pour 20 à Abidjan (en anglais), en
novembre dernier) où nous réunissons des coopératives, des producteurs de
cacao, la filière cacao, des négociants, des entreprises, le secteur forestier,
le secteur des fruits et les banques nationales et internationales. Parce que
l'un des grands défis qui restent à relever est que les petits exploitants
doivent posséder un titre foncier pour avoir droit à un prêt bancaire. Mais
l'obtention d'un titre de propriété coûte environ 1 400 dollars des
États-Unis l'hectare, une somme que peu d'agriculteurs possèdent. Nous
espérons donc qu'en réunissant les acteurs financiers et l'industrie du
chocolat, ils pourront développer un mécanisme pour aider les agriculteurs à
accéder au financement. Je suis optimiste parce que le gouvernement a promis
d'améliorer le couvert forestier à 20 % à l'horizon 2040."
Quant
à Ibrahim, il n'a jamais acheté ni mangé de chocolat. "Pour
l'équivalent de la somme d'argent que je devrais dépenser pour une barre
de chocolat, je peux acheter un sac de riz pour nourrir une famille de sept
personnes", dit-il.
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