Les "marchés carbone", entre opportunité et risque pour le climat
Les
signataires de l'Accord de Paris sur le climat ont approuvé il y a un an les
règles d'application du pacte climatique de 2015, sauf dans un domaine sensible
: les "marchés carbone".
Donner un prix au carbone
Selon
les experts climat de l'ONU, pour limiter le réchauffement à +1,5°C, il
faudrait réduire les émissions de CO2 de près de 50% d'ici 2030 par rapport à
2010. Un des outils plébiscités pour y contribuer est de donner un prix aux
émissions.
Cette
tarification du carbone progresse au niveau mondial, avec la mise en place de
"taxes carbone" et de systèmes d'échanges de quotas d'émissions (ETS,
Emission trading Scheme). Selon la Banque mondiale, ces initiatives nationales
ou régionales, en place ou en projet, couvrent environ 20% des émissions
mondiales de CO2.
Le
prix de la tonne de CO2 varie énormément d'un système à l'autre. Elle atteint
32 dollars dans le système d'échange de quotas européens mais 17 en Californie,
tandis que les taxes carbones s'échelonnent de 0,08 dollar en Pologne à 121
dollars en Suède.
Selon
le think tank I4CE, 75% des émissions régulées par une tarification du carbone
sont couvertes par un prix inférieur à 10 dollars, alors que les économistes
Nicholas Stern et Joseph Stiglitz recommandent, pour limiter la température à
+2°C, 40 à 80 dollars la tonne en 2020 et 50 à 100 dollars en 2030 partout dans
le monde.
Au
niveau international, depuis 2006, un mécanisme créé par le Protocole de Kyoto
("mécanisme de développement propre", MDP) permet à un pays développé
de compenser ses émissions en finançant dans un pays en développement des
projets certifiés réduisant les émissions.
Réduire les émissions ?
Contrairement
à Kyoto qui réclamait des efforts aux seuls pays développés, l'Accord de Paris
prévoit que tous les pays s'engagent à réduire leurs émissions.
Les
deux mécanismes de marchés carbones prévus par l'article 6 reflètent cette
évolution. Le premier est un mécanisme bilatéral entre États. Le deuxième prend
en quelque sorte le relais du "mécanisme de développement propre" à
travers le financement de projets, mais sans restriction géographiques.
Le
principe central est de financer la réduction des émissions dans les pays où
c'est le moins cher de le faire.
Ainsi,
grâce à ces mécanismes de l'article 6, le coût des réductions d'émissions pourraient
être réduits de plus de moitié en 2030, selon l'association mondiale des
marchés d'émissions (IETA, dont sont membres notamment des grandes
multinationales comme BP ou Total).
Mais
pour passer d'un système de simple compensation des émissions à un système de
réduction, il faudrait que les États décident de réinvestir ces économies dans
des actions supplémentaires de réduction d'émissions.
"Dans
un monde théorique, un pays qui veut réduire ses émissions de 100 tonnes et à
qui ça couterait 100 euros chez lui, financerait un projet équivalent pour 10
euros dans un pays en voie de développement. Il lui resterait 90 euros à
investir pour continuer à réduire les émissions", explique Gilles
Dufrasne, de l'ONG Carbon Market Watch. Lequel redoute que la pratique soit
bien différente et qu'un pays préfère "utiliser l'argent ailleurs".
En
outre, "si ces marchés carbones ne sont pas bien conçus, ils pourraient
conduire à une augmentation des émissions mondiales", relève Lambert
Schneider, chercheur à l'Oeko-Institut à Berlin.
Des écueils
Plusieurs
éléments controversés, sur lesquels les négociations achoppent, risquent de
saper l'Accord de Paris, selon les experts.
L'interdiction
du "double comptage" d’abord : si une tonne de réduction de CO2 est
comptée à la fois par l'acheteur et le vendeur, les réductions seront plus
importantes sur le papier que dans la réalité. Le Brésil est accusé de vouloir
passer outre cette interdiction.
La
place du futur mécanisme mondial de compensation des émissions du transport
aérien (Corsia) fait également débat. Le secteur aérien étant exclu de l'Accord
de Paris, si une compagnie achète des crédits carbones à un Etat pour compenser
une partie de ses émissions, cet Etat peut-il néanmoins intégrer la réduction
d'émissions dans sa comptabilité ?
Autre
question : le reliquat des "crédits" carbone issus du mécanisme de
Kyoto, que certains pays comme le Brésil voudraient transférer dans le nouveau
système, selon les observateurs.
Financer le Sud
Kyoto
prévoyait que 2% des échanges sous le MDP soient prélevés pour financer
l'adaptation au changement climatique dans les pays du sud. Cela a permis de
transférer environ 200 millions d'euros au Fonds d'adaptation.
L'Accord
de Paris prévoit aussi qu'"une part" des échanges finance
l'adaptation du Sud. Les Etats insulaires, particulièrement vulnérables,
plaident pour 5%.
©
2019 AFP
A.G.M
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