Décryptage: La dépigmentation de la peau au Sénégal - Africa Green Magazine

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Décryptage: La dépigmentation de la peau au Sénégal

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Décryptage:

La dépigmentation de la peau au Sénégal



La dépigmentation simplement dite est l’action de supprimer le pigment d’un tissu, notamment celui de la peau. La dépigmentation volontaire peut alors être définie comme l’ensemble des procédés visant à obtenir un éclaircissement de la peau sombre par l’utilisation de certains produits cosmétiques décapant. Elle peut se faire soit par application cutanée, soit par injection. 

Dans ces produits décapant, les agents éclaircissants chimiques sont les dermocorticoïdes, l’hydroquinone, les sels de mercure et le glutathion. Nous parlons d’une pratique universelle essentiellement féminine et dont les prévalences en Afrique subsaharienne varient de 32 à 74%. Au Sénégal, pays de la beauté africaine, nous observons malheureusement ce phénomène chez les femmes de 20 à 40 ans en moyenne, et donc de plus en plus rares se font les femmes à la couleur ébène. 
Le pays est deuxième après la République Démocratique du Congo, en matière de pays africains dont les populations pratiquent la dépigmentation volontaire selon un classement publié par le journal "La Cloche", les Sénégalais ne sont devancés au classement que par les champions dans le domaine, les Congolais. De jour en jour cette pratique prend de l’ampleur et on s’interroge sur les motivations de ces personnes qui s’y adonnent et les risques auxquels elles s’exposent.

Causes historiques

Il est important de rappeler que dans l’Afrique précoloniale, la peau noire était un symbole de beauté. Mais le processus colonial qui a engendré l’érection de nouvelles classes sociales, le métissage et la hiérarchisation des couleurs de la peau, ont bouleversé cette valeur. Il est intéressant de citer en exemple les « Signares » de St Louis et de Gorée qui symbolisait la beauté en partie pour la clarté de la peau pour les métisses.

Causes sociales

Par ailleurs, les préjugés portant sur la couleur sombre de la peau auraient été renforcés par les Noirs eux-mêmes, avec comme conséquence majeure la dévalorisation de leur propre image. Cette dévalorisation relève d’un complexe d’infériorité des adeptes. Partant de là, Frantz Fanon évoque, la thèse de « malédiction corporelle » et prédit la mise au point d’un sérum de dénégrification : « Depuis quelques années, des laboratoires ont projeté de découvrir un sérum de dénégrification ; des laboratoires, le plus sérieusement du monde, ont rincé leurs éprouvettes, réglé leurs balances et entamé des recherches qui permettront aux malheureux nègres de se blanchir et ainsi de ne plus supporter le poids de cette malédiction corporelle ». 

Malheureusement, aucun segment de la vie n'échappe à cette pratique. Pour la sociologue Khaly Niang, la dépigmentation de la peau est passée «d'un phénomène social à un drame sociétal». Les cérémonies comme les baptêmes ou les mariages constituent aussi une explication. Les principales motivations des utilisatrices sont la mode, le désir d'être belle, l'imitation de leur entourage...

Concernant la distribution spatiale de la pratique, il est plus élevée en zone urbaine qu’en zone rurale. Ainsi, généralement, la migration des zones rurales vers les zones urbaines marque le début du recours à la dépigmentation volontaire, et l’un des premiers changements noté concerne un éclaircissement de la couleur de la peau des « migrants ». En effet, elle a d’abord été considérée comme une pratique essentiellement urbaine, comme le laisse suggérer une étude effectuée à Dakar (Mahé et al., 2004) qui montre que si plus de la moitié des femmes étaient des natives de Dakar, une proportion non négligeable d’entre elles (39,5%) était originaire des zones intérieures du pays. C’est comme si la mode s’impulsait de la capitale vers les autres régions (Boussana, Didillon, 1986). 

Dans cette même étude dakaroise, les auteurs ont dégagé le « profil-type » suivant de la femme adepte : âgée de 20 à 40 ans, mariée ou faisant état de fréquentation masculine, ayant été scolarisée, disposant d’un certain niveau de vie, disposant volontiers d’une activité professionnelle. Ce profil-type recouvrait environ la moitié des utilisatrices de l’échantillon. Toutefois, il faut signaler que ce phénomène est également observé chez le genre masculin, que ce soit à Dakar, au Congo ou au Nigeria (Ajose, 2005). Signalons qu’au Sénégal, l’usage de produits dépigmentants chez les hommes est marginal, relevé essentiellement dans le milieu des homosexuels ou chez les artistes.

Ainsi, plusieurs théories sont développées pour tenter d’expliquer ce phénomène. D’une part les tenants de la théorie raciale qui ressort le complexe d’infériorité de la race noire, et d’autre part, ceux qui voient dans cette pratique un phénomène de mode, qui s’inscrit dans une logique esthétique.

Conséquences

La dépigmentation a un impact négatif considérable sur la santé. Pratiquement toutes les spécialités médicales et chirurgicales sont, en effet, concernées par les complications de cette pratique. Les retentissements s’observent aussi bien sur la santé physique que sur la santé mentale. Les complications les plus visibles sont bien évidemment dermatologiques et varient en fonction du climat ; en zone tropicale, ce sont les dermatoses infectieuses qui prédominent. Ces dernières sont variables : mycoses superficielles, gale, érysipèle et dermohypodermites bactériennes.

Les complications les plus fréquentes observées sont les maladies de peau :
  • apparition ou aggravation d’infections de la peau (gale, mycoses, infections bactériennes…)  pouvant être très sévères. Celles-ci, lorsqu’elles sont localisées sur le visage, ont un retentissement important sur le plan esthétique et sont responsables de conduites d’évitement social.
  • vergetures larges, très inesthétiques et irréversibles
  • amincissement de la peau à l’origine de problèmes de cicatrisation.
  • troubles de la pigmentation parfois définitifs : certaines femmes voient leur peau devenir multicolore sur la zone où le produit a été appliqué, alors que d'autres voient apparaître des vergetures, de l'acné, ou une atrophie

Autres maladies

Risques accrus d’hypertension artérielle, de diabète, de complications rénales, neurologiques et des endocrinopathies.
Aussi, les produits utilisés sont potentiellement toxiques chez la femme enceinte ou allaitante pour l’enfant car ils passent dans le sang,  et ont de nombreux effets secondaires tels que les fausses couches, une malformation et un poids faible de naissance ou encore un petit placenta. Aussi, pour celles qui accouchent par césarienne, la cicatrisation est difficile étant donné que la peau n’est plus rigide pour tenir les sutures de l’opération, ce qui les expose à des risques d’infection. Les mères allaitantes transmettent également le mercure et ses dérivés à leur enfant par le lait, l’exposant ainsi à des risques de troubles neurologiques.

La dépigmentation ne faiblit pas, au Sénégal. «Le taux de prévalence est estimé à 71 %, selon une étude menée en 2019», renseigne le professeur dermatologue Fatoumata Ly sur les ondes de la Rfm. Elle en appelle, en dehors de la sensibilisation, à une implication totale des autorités sanitaires pour interdire l'usage des médicaments à des fins cosmétiques. Et de plus en plus de voix s'élèvent pour demander au gouvernement d'interdire comme en Gambie ou en France, l'importation des produits de dépigmentation. 

A titre indicatif, il est rapporté au Sénégal une mesure gouvernementale qui encourageait la répression et la stigmatisation des femmes dépigmentées. En plus de l’interdiction de la vente de ces produits cosmétiques, les entreprises pourraient par exemple promouvoir des appels d’offre pour des candidates de teint naturels pour décourager cette pratique en milieu professionnel. Si des mesures sont appliquées de manière radicale, nous pourrions alors espérer que les générations futures seraient épargnées de ce fléau.


Par Ingrid NZIGOU, 
Consultante en Écotourisme

2 commentaires:

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