Agriculture: Arroser moins pour récolter plus, le riz thaï qui défie la sécheresse
Pour
lutter contre la sécheresse, les dettes et les ravages des pesticides, des
riziculteurs du nord de la Thaïlande expérimentent une méthode de culture plus
respectueuse de l'environnement, malgré les puissants intérêts du secteur
agro-industriel dans le pays, deuxième exportateur mondial de riz.
Au
coeur des rizières en terrasse du hameau de Ban Pa Pong Piang (nord-ouest), la
récolte bat son plein. Une vingtaine de fermiers, protégés du soleil par de
larges chapeaux colorés, coupent avec une faucille les tiges du riz, aliment de
base de plus de trois milliards d'êtres humains. Mais, si certains épis sont
vigoureux, d'autres ont peu de grains, flétris par la sécheresse qui a frappé
la région pendant plusieurs mois.
A
une centaine de kilomètres de là, Sunnan s'apprête aussi à faucher son champ.
Ici, malgré le manque de pluie, la situation est tout autre et le modeste
fermier de 58 ans sourit en zigzaguant entre de robustes plants d'un vert
intense, d'où les grains pendent lourdement.
Il
pratique, dans une petite ferme biologique expérimentale, le "Système de
riziculture intensive" (SRI), inventé dans les années 1980 à Madagascar
par un prêtre jésuite français et qui se propage lentement en Afrique et en
Asie.
En
juillet, appliquant les principes du "Système de riziculture intensive",
baptisé ainsi car il promet de meilleurs rendements, Sunnan a planté chaque épi
de manière plus espacée que dans l'agriculture traditionnelle. Objectif:
permettre à la tige d'absorber davantage de lumière, d'eau et de nutriments
afin qu'elle produise plus de grains.
Puis,
contrairement à des millions de riziculteurs, il a asséché régulièrement son
champ, limitant les apports en eau pour encourager l'apparition de
micro-organismes qui se développent à l'air libre et agissent comme engrais
naturels.
Appuyé
par une entreprise française, Pur Projet, il a aussi replanté des arbres autour
du lopin pour rengorger les nappes phréatiques.
Depuis,
"ma récolte a bondi de 40% (...) je n'ai plus besoin de produits chimiques
mauvais pour ma santé", relève-t-il.
Il
utilise aussi moins de graines et d'eau. Du coup, ses dépenses ont diminué:
contrairement à de nombreux riziculteurs thaïlandais qui gagnent quelque 3.000
bahts par mois (moins de 100 euros) et sont lourdement endettés, il a pu
"rembourser 100.000 bahts" (3.000 euros) à ses créanciers.
- Cercle vicieux -
Sunnan
a longtemps pratiqué la culture traditionnelle.
Mais,
"nos rizières sont épuisées par les produits chimiques", relève-t-il,
montrant du doigt des fermiers qui coupent des épis jaunis par le soleil dans
un champ voisin.
Et
les riziculteurs sont enfermés dans un cercle vicieux: affectés par le
changement climatique qui provoque sécheresse et inondations, ils contribuent
eux-mêmes à ce dérèglement car leurs champs rejettent méthane et protoxyde
d'azote, deux gaz à effet de serre.
Avec
le SRI, comme la rizière n'est pas inondée en permanence, "les émissions
de méthane sont réduites de 60%", assure Tristan Lecomte, fondateur de Pur
Projet. Quant au rendement, "selon les zones, il peut bondir de 20 à plus
de 100%" par rapport à la méthode traditionnelle.
Plus
de deux millions de fermiers ont déjà été formés en Asie du Sud-Est, selon
l’Université américaine de Cornell qui a crée en 2010 un centre international
spécialisé.
Dans
la province de Bac Giang , au nord du Vietnam, les bénéfices nets pour les
agriculteurs "ont bondi de 113% voire de 226%", s'enthousiasme Abha
Mishra qui a piloté dans le pays un vaste projet pour l'institut asiatique de
technologie.
Les
Philippines, qui cultivent le riz mais sont ausi un des premiers importateurs
mondiaux, s'intéressent également à cette méthode. Le ministère de l'Agriculture
a commencé à former des riziculteurs et des cérémonies de plantation SRI sont
organisées.
- Pression des lobbies -
Pour
autant, la technique peine à se démocratiser.
"Assez
complexe, elle nécessite pas mal de connaissances. Il faut planter les plants un
par un, contrôler étroitement l'eau, cela donne aussi plus de travail",
relève Tristan Lecomte.
Certains
préfèrent ne pas tenter l'expérience ou abandonnent et retournent à la méthode
traditionnelle.
Le
principal obstacle reste la pression de l'agro-industrie peu favorable à une
méthode qui ne propose ni nouvelle graine hybride, ni engrais à vendre.
D'autant
que les lobbies du secteur sont très présents en Asie du Sud-Est,
particulièrement en Thaïlande, un des plus gros utilisateurs de pesticides au
monde.
L'agro-industrie
vient d'ailleurs d'y remporter une nouvelle bataille.
Les
autorités thaïlandaises, qui s'étaient engagées à interdire le glyphosate, ont
fait machine arrière fin novembre décidant qu'un usage "limité"
serait finalement autorisé. L'utilisation de deux autres herbicides très
controversés a aussi été prolongée.
©
2019 AFP
A.G.M
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