Sommet africain sur le climat : “Au Tchad, on enregistre déjà 48° à l’ombre”
Le
sommet « Climate Chance » africain s’est ouvert mercredi à Accra, au
Ghana. Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice d’une association de femmes peules
au Tchad, dresse les enjeux de ce rassemblement visant à lutter contre le
réchauffement climatique.
Le
sommet africain sur le Climat qui s’est ouvert mercredi 16 octobre à Accra, au
Ghana, est l’occasion pour des organisations non-gouvernementales intervenant
sur le continent africain de se réunir pour mettre en lumière l’engagement du
continent dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’heure est au
bilan, après le sommet international des chefs d’État sur le climat qui s’est
réuni à New York, en septembre. L’heure est aussi aux actions communes pour
faire bouger les lignes des politiques et du secteur privé.
Parmi
les initiateurs de ce sommet africain : Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice
de l’Association des femmes peules autochtones du Tchad (Afpat).
Comment s’est créé ce réseau « Climate Chance » ?
C’était
lors d’une convention des Nations unies sur le climat. J’avais rejoint un
groupe de travail pour donner le point de vue des peuples autochtones. Ce
groupe cherchait à impliquer davantage de femmes, de jeunes, parce que nous
avons des solutions à apporter, basées sur notre connaissance et notre
expérience. C’était le premier pas vers une coordination inter-ONG, hors des
États. Et chaque année depuis 2015, des conférences s’organisent, des personnes
nous rejoignent. On a fini par créer un réseau d’ONG nommé « Climate
Chance ».
Que se passe-t-il dans ce type de sommet ?
Je
peux rencontrer une organisation qui est complémentaire à la mienne, échanger
des expériences, des contacts, cela maximise nos impacts. Nous cherchons à
coordonner un message commun, qui interpelle non seulement les gouvernements
mais aussi le secteur privé. Ils sont responsables des émissions de CO2 et de
nos malheurs ! Surtout dans le Sahel. Si on est nombreux, on peut faire passer
le message : il n’y a pas de business durable sans un environnement durable.
Bien
sûr, nous n’avons pas la force de contraindre les gouvernements ou le secteur
privé, mais nous pouvons porter la voix des peuples, faire pression. Nous
sommes au courant des législations au niveau international, national et
régional. Nous rappelons à nos gouvernements que les décisions qu’ils prennent
ont des conséquences sur les peuples. Or avec nos moyens de la société civile,
nous pouvons changer les vies des communautés, les gouvernements africains sont
en mesure de faire bien davantage !
Comment faire bouger un gouvernement comme celui du Tchad ?
Le
niveau international est très important. Prenez l’accord de Paris, signé par
tous les pays du lac Tchad : Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad et même la
Centrafrique. La difficulté est maintenant d’obtenir sa transcription dans le
droit national. Les engagements politiques ne sont pas assez forts. Ou si les
gouvernements commencent à bouger, les financements finissent dans des ateliers
et des conférences dans les capitales. Or on a besoin de vraies actions au
niveau local, maintenant.
On
dit qu’on a 10 ans pour inverser la trajectoire de 1,5 degré. Cette trajectoire
a déjà été dépassée chez nous. Au Tchad, on prévoit une augmentation de 4 à 5
degrés ! Or déjà, en saison sèche, on enregistre 48 degrés à l’ombre. C’est
déjà invivable, ça le sera d’autant plus. D’où l’importance de prendre des
actions sur le terrain maintenant. Les communautés doivent faire valoir leur
dignité et leurs droits, pour la restauration de leurs terres.
Sur le terrain, quelles sont les préoccupations ?
Le
changement climatique a des conséquences directes sur les ressources naturelles
: l’eau, le pâturage et la terre. Les saisons sont en train de changer. Cette
saison de pluie est particulièrement imprévisible. Elle devrait être finie, or
il a plu hier, et une pluie trop tardive peut inonder les terrains et
endommager les récoltes, d’autant qu’elle est suivie ensuite par une grande
sécheresse. Nous subissons des pertes de revenu agricole et de l’insécurité
alimentaire. Prenez le lac Tchad : les eaux se sont réduites de 90 % en 40 ans.
Quand l’eau se retire, les communautés se battent pour accéder aux terres
humides et fertiles. Il faut atténuer les conflits.
Dans
une crise perpétuelle, climatique, comme autour du lac Tchad, le rôle du
gouvernement est primordial. Non seulement le gouvernement du Tchad, mais ceux
de tous les pays limitrophes du lac. La vulnérabilité des communautés s’est
accentuée, les conflits continuent et des groupes armés sèment la terreur. Dans
ma communauté, on est transhumants et transfrontaliers en fonction des saisons,
on peut traverser les frontières pour s’installer au Niger, au Nigeria, au
Cameroun, et on revient au Tchad. Maintenant, les gens ne peuvent plus
traverser au Nigeria ! Et pas même au Cameroun. La Centrafrique, c’est pareil.
On reste entre le Niger et le Tchad. Pendant la saison sèche, le bétail broute
habituellement dans les petits îlots, maintenant on ne peut plus traverser pour
s’y rendre, on redoute les groupes armés. Alors tout le monde reste du côté du
Tchad, ce qui fait que les ressources sont insuffisantes et les conflits sont
accentués entre les communautés.
Mais
il ne faut pas seulement prendre des mesures sécuritaires et militaires au
niveau du G7 Sahel ! Ce n’est pas une kalachnikov qui va remplir le ventre des
gens et répartir les ressources naturelles. Il faut écouter les communautés et
leurs besoins. Or le problème aujourd’hui est la législation tchadienne sur la
répartition des terres. L’accès au foncier est très difficile pour des
individus qui ne peuvent pas acheter des terres parce qu’ils ne sont pas assez
riches. Des militaires accaparent les terres autour du lac : les généraux, les
colonels, les ministres peuvent acheter des terres qui devraient revenir aux
communautés. La décision politique devrait redonner aux communautés leur droit
sur les terres, pour assurer leur survie.
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