Les pays émergents, leaders de la lutte contre le réchauffement climatique ?
Moins
de la moitié des 136 chefs d’Etat et de gouvernement présents à New York ont
participé au sommet pour le climat du lundi 23 septembre. Le Brésil et les
Etats-Unis lui ont tourné le dos et l’Europe est restée passive. Face à ce bilan
mitigé, les pays émergents pourraient-ils reprendre le leadership ? Décryptage.
Lundi
23 septembre, New York. Les grands dirigeants et multinationales se réunissent
pour un énième sommet pour le climat… mitigé. Le Brésil est absent, Donald
Trump se contente d’une apparition éclair et l’Europe reste vague sur ses
objectifs environnementaux. Un point positif : 66 pays ont adhéré à l’objectif
neutralité carbone d’ici 2050. Mais la majorité est constituée de petits pays,
à l’origine de seulement 6,9% des émissions mondiales de gaz
à effet de serre. Face à un tableau bien terne pour la planète,
pourraient-ils, avec les pays émergents, devenir les nouveaux leaders de la
lutte pour le climat ?
Une ambition assumée
D’année
en année, les pays en développement, et notamment les BRICS, ont renforcé leur
position dans les négociations climatiques. Cette volonté d’y prendre part et
d’être maître de leur propre sort (ils sont les plus menacés par le dérèglement
climatique) s’est progressivement traduite par une ambition de leadership
assumée. « Lors de la COP21 à
Paris, en 2015, les émergents se sont imposés comme des acteurs proactifs dans
la lutte contre le changement climatique, explique Jean-Christophe Simon,
économiste et chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement. Alors
qu’ils se positionnaient comme des victimes, ils affichent une nouvelle
stratégie : la responsabilité commune mais différenciée. » Autrement dit, les
pays en développement acceptent de participer à l’effort climatique, si les
occidentaux, principaux responsables, investissent plus dans la transition
écologique.
Ainsi,
New Delhi s’est engagée à réduire de 35% ses émissions de gaz à effet de serre
d’ici 2030, par rapport à 2005 et porter à 40% la part des renouvelables dans
sa production d’électricité alors que le pays est encore très dépendant de
ses centrales
au charbon (60% de sa production électrique). Pour y arriver, l’Inde,
affiche un programme ambitieux : multiplier par 25 ses capacités de production
solaire en sept ans.
Depuis 2014, elle a augmenté de 91% sa capacité en énergie
renouvelable (22,6 Gigawatts au total) et continue ses efforts pour atteindre
les 100 Gigawatts en 2022. La Chine,
quant à elle, annonçait porter a près de 360 milliards de dollars ses
investissements dans les énergies renouvelables d’ici 2020 quand les Etats-Unis
se désengageaient de l’accord
de Paris. Ainsi, elle tente de maintenir son objectif de 65% de
décarbonisation et atteindre les 20% d’énergie renouvelable d’ici 2030,
notamment en fermant une partie de ses 4 000 mines de charbon. Des engagements
ambitieux qui devraient leur permettre de réduire de 2 à 3 milliards de tonnes
leurs émissions de CO2 d’ici 2030. « On assiste alors a un début de leadership
assumé par les puissances émergentes qui decident de jouer le jeu. Elles
veulent montrer qu’elles sont capables d’assumer leurs responsabilités et de
faire des programmes politiques sur le plan environnemental » explique
Jean-Christophe Simon.
Petits pays grands modèles
D’autres
pays tentent d’appliquer cette politique. En fait, ce sont même parmi les plus
petites nations qui font pression sur les grandes en voulant montrer l’exemple.
Ainsi, le Costa
Rica est souvent cité comme le modèle à suivre en termes écologiques.
En 2019, son réseau électrique fonctionne à près de 100% sur des énergies
renouvelables. Dès 2007, le pays avait annoncé son intention de devenir neutre
en carbone en 2021, un objectif qui devrait être atteint au milieu du siècle,
d’après le président Carlos Alvarado. Au cours des trente dernières années, le
couvert forestier a été multiplié par deux : c’est désormais la moitié de son
territoire qui est peuplée d’arbres. En 2014, le gouvernement a annoncé vouloir
contrer la déforestation
amazonienne en s’engageant a restaurer 50 000 hectares de forêt sur
son territoire.
Autre
pays modèle : le Maroc. Hôte de la COP22 en 2016, il est l’un des deux seuls
(avec la Gambie), à respecter l’objectif des 1,5ºC d’augmentation d’ici 2100
d’après l’organisation Climate Action Tracker (CAT). Son objectif : 52%
d’énergie renouvelable et une baisse de 42% de ses émissions d’ici 2030. Un
effort rendu possible par l’investissement massif du gouvernement dans ses
parcs solaires, qui sont parmi les plus importants au monde. D’autres pays sont
salués par CAT. L’Ethiopie, par exemple, figure parmi les rares nations dont
les efforts peuvent être considérés comme satisfaisants. D’ici 2030, elle
prévoit de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 64%. Mais
c’est le Bhoutan qui
reste l’exemple à suivre d’après l’organisation. Selon la Banque mondiale, il
n’utilisait que 15 kilos d’engrais chimique par hectare de terres arables en
2012 contre 137 kilos en France. Ce petit pays, dont le PNB est devenu le BNB
(Bonheur National Brut) en 1972, assurait déjà produire 100% de son électricité
grâce à l’hydroélectricité en 2015.
Des intérêts nationaux
Depuis
2009, le Climate Vulnerable Forum (CVF) réunit 43 Etats particulièrement
exposés au réchauffement climatique. Un outil de « coopération Sud-Sud », comme
il se définit, et qui a pour ambition de faire peser leurs intérêts face à ceux
des grandes puissances. Ces « 43 vulnérables » avaient notamment appelé à
durcir les objectifs en optant pour une limitation de l’augmentation des
températures à 1,5°C et pas plus. "Depuis trop longtemps, nos peuples ont
souffert alors que d'autres intérêts étaient mis au premier plan",
déclarait Gemedo Dalle, ministre éthiopien de l'environnement, lors du sommet
du CVF en juin 2018. « Les Etats sont avant tout les protecteurs de la nation,
fait remarquer Jean-Christophe Simon. Les pays les plus vulnérables à l’impact
du dérèglement climatique n’ont donc pas d’autre choix que d’y faire face, au
risque de se confronter à une contestation de la population. Ils doivent
prendre les devants dans la lutte climatique pour éviter d’en être les
premières victimes. »
S’adapter
au changement climatique est donc devenu un intérêt primant au niveau national.
Les populations augmentent et sont toujours plus consommatrices. Or, « pour
satisfaire cette demande, les Etats doivent multiplier leurs ressources en
énergies et inévitablement investir dans le renouvelable : l’éolien pour l’Inde,
le solaire pour la Chine », explique Jean-Christophe Simon.
Finalement,
les grands émergents ont compris le bénéfice à tirer de cette transition
écologique pour leurs économies face à l’explosion de la demande mondiale en
technologies renouvelables. En 2015, la Chine a dépassé l’Allemagne comme
premier producteur d’énergie solaire. L’Inde prétend élargir son marché en
matière de réseaux électriques intelligents. « La prise de conscience de
l’importance de l’environnement ne vient pas d’une pression quelconque, ni
parce que quelqu’un nous le demande, ni même de l’accord de Paris, mais c’est
un acte de foi de la part du gouvernement qui est dans notre intérêt »
déclarait en février 2017 le ministre indien de l’Énergie, Piyush Goyal.
Dans l’attente d’un second souffle
Mais
cet engouement semble s’estomper, le leadership des émergents avec. « Je serai
particulièrement prudent avec la notion de ‘leaders’, confie Jean-Christophe
Simon. Il y a deux ans, le Brésil nourrissait beaucoup d’espoir, mais il y a eu
une grosse déception depuis l’élection de Jaïr Bolsonaro. » Or, la Chine et
l’Inde continuent de consommer du charbon de façon démesurée sans prendre de
nouveaux engagements lors du sommet de ce lundi 23 septembre, le ministre des
affaires étrangères chinois, Wang Yi, réaffirmant seulement que « le retrait de
certaines parties n’ébranlerait pas la volonté collective », le doigt en
direction des Etats-Unis. « Aujourd’hui, on peut dire qu’ils sont en perte de
vitesse et qu’ils n’affichent plus le leadership qu’on a pu leur connaître.
Alors qu’ils avaient une ambition assumée de prendre les devants il y a
quelques années, on voit qu’elle s’est essoufflée ces 18 derniers mois et on
peut se demander où est passé ce leadership. Peut être reviendra-t-il dans les
années 2020. »
Idem
pour les petits modèles qui restent confrontés à la réalité de leurs économies.
Le plan écologique du Costa
Rica devrait coûter plus de 6 milliards de dollars. Or, l'Organisation
pour la coopération et le développement économique (OCDE) a fait remarquer le
faible taux de recouvrement de l'impôt, les exemptions fiscales accordées à de
puissantes entreprises industrielles et l'envolée de la dette publique. Les
émergents peuvent donc faire pression sur les grands occidentaux mais ont
besoin de financement.
Pour
aider les économies fragiles à investir dans la lutte et l’adaptation au
réchauffement climatique, les pays développés se sont engagés à fournir 100
milliards de dollars par an, mais l’objectif n’est pas encore atteint. Les
Etats-Unis et d'autres pays industrialisés sont réticents à une trop grande
transparence et rechignent à s'engager sur des financements futurs tandis que
les pays en développement affirment qu'ils ont besoin de financements
transparents et prévisibles. L’administration Trump a annulé le versement de 2
milliards de dollars au Fonds vert mis en place par les Nations unies pour
financer les projets de lutte contre le changement climatique dans les pays en
développement, sur les 3 milliards de dollars promis par Barack Obama.
Ce
retard pèse sur les objectifs des Etats comme la Chine et l’Inde qui restent
les premier et troisième pollueurs mondiaux. Pour Jean-Christophe Simon « les
engagements ne sont pas remplis et il se peut que les pays émergents n’arrivent
pas à les tenir. Mais ils ont le mérite de les avoir fixés, ce qui leur donne
une certaine ambition, une marche à suivre qui permet l’intensification des
efforts. » Rendez-vous donc à Glasgow en décembre 2020 pour la COP26.
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