Crise du plastique : gérer les déchets ne suffit plus
Les
efforts réalisés dans la lutte contre le plastique portent essentiellement sur
la gestion des déchets. Pour Lili Fuhr et Jane Patton, il faudrait maintenant
agir à la racine : réduire la production et la consommation de plastique.
Nous
savons depuis longtemps que l'accumulation de plastique dans les océans et les
décharges du monde entier constitue un risque environnemental croissant. Ce
n'est que plus récemment que nous avons compris que le plastique représentait
également une menace imminente - voire mortelle - pour la santé publique.
Or,
les efforts faits au niveau international pour comprendre la crise du plastique
se concentrent systématiquement sur la mauvaise extrémité du cycle de vie des
produits, c'est-à-dire sur la gestion des déchets.
Le
débat qui reprendra ce mois-ci lors de l'Assemblée
des Nations unies pour l'environnement (UNEA 4) en est la parfaite
illustration, puisqu'il se concentrera sur les déchets marins et
microplastiques. Bien que ces problématiques soient importantes, elles ne
constituent qu'une partie d'un problème beaucoup plus vaste.
Effet de sert, effets toxiques
Le
plastique joue évidemment un rôle essentiel dans la croissance économique
mondiale depuis des décennies. Ses applications a priori illimitées couvrent
les dispositifs médicaux les plus indispensables, les vêtements, les jouets, un
certain nombre d'utilisations industrielles et agricoles, et bien d'autres.
Certains considèrent même que le plastique fera partie intégrante de la
solution au changement climatique, faisant valoir à tort qu'il présenterait une
empreinte carbone inférieure à celle d'autres matériaux.
En
réalité, le plastique émet d'importants volumes de gaz à effet de serre, tels
que le méthane et l'éthylène, lorsqu'il se décompose dans les sols et les
environnements marins. Pas moins de 99 % des matières plastiques sont
fabriquées à base de combustibles fossiles tels que le charbon, le pétrole et
le gaz. De nouvelles
recherches révèlent la dangerosité du plastique pour l'organisme
humain à tous les stades de son cycle de vie, depuis son extraction sous forme
de combustible fossile jusqu'à son utilisation généralisée pour les emballages
alimentaires, sans oublier le processus de traitement des déchets (qui fait
intervenir décharges, centres de tri et recyclage et incinérateurs).
Aux Etats-Unis, l'industrie du plastique prévoit d'accroître sa production de 30 % au cours des prochaines années.
D'une
manière ou d'une autre, la quasi-totalité des organismes de la planète sont
impactés par la production, l'utilisation ou l'élimination du plastique, dont
les effets toxiques persistent et s'accumulent sans limite dans l'air que nous
respirons, l'eau que nous buvons, et les sols que nous foulons. Parmi les
principaux effets néfastes de la production de plastique interviennent une
atteinte aux systèmes immunitaires et reproductifs, des dégâts sur le foie et
les reins, voire l'apparition de cancers.
Tout
au long du cycle de vie des produits plastiques, ces menaces liées au système
reproductif et aux cancers s'accompagnent d'une atteinte supplémentaire au
développement neurologique ainsi qu'à d'autres processus biologiques. La
situation est d'autant plus grave que la production de plastique augmente, et
que cette augmentation devrait se poursuivre. L'industrie du plastique rien
qu'aux Etats-Unis prévoit d'accroître sa production de 30 % au cours des
prochaines années.
Pression des lobbies
Bien
que l'opinion publique voie dans le plastique une matière formidable et
indispensable, on estime à 40 % la part de production mondiale de
plastique uniquement destinée à des emballages à usage unique. Par définition,
ce plastique est utilisé temporairement à des fins de transport et de stockage,
puis simplement jeté. Résultat, environ 80 % du plastique produit jusqu'à
ce jour a terminé sa route soit dans une décharge, soit dans la nature, malgré
des années de sensibilisation au recyclage.
Non
seulement manquons-nous des capacités de recyclage qui permettraient de gérer
le plastique déjà en circulation, mais il semblerait également que plusieurs
innovations récentes en matière de recyclage provoquent encore davantage de
dégâts sur l'environnement et la santé publique, via la pollution de l'air, les
cendres toxiques, et autres externalités.
L'industrie
ne peut que se réjouir d'un débat exclusivement axé sur l'élimination des
déchets. Depuis des années, les producteurs investissent dans des campagnes
marketing et publicitaires visant à persuader les consommateurs que ce sont eux
les responsables de la crise du plastique. Ces industriels et leurs lobbyistes
s'efforcent également de convaincre les gouvernements - dont les participants à
l'UNEA - que la gestion des déchets doit constituer leur priorité majeure.
Jusqu'à
présent, ces efforts ont porté leurs fruits en permettant aux industriels
d'empêcher l'adoption de mesures qui viendraient limiter la production, et par
conséquent les profits. Quand l'industrie dépense 1 milliard de dollars
dans la création d'une très médiatique « Alliance pour la fin des déchets
plastiques », son véritable objectif consiste à maintenir le statu quo,
ainsi qu'à préserver son investissement de 200 milliards dans
l'accroissement de la production au cours des cinq prochaines années.
Vers une convention internationale ?
Il
reste cependant des raisons d'espérer. Break Free From Plastic, mouvement
international qui réunit plusieurs milliers d'organisations non
gouvernementales, oeuvre pour informer les gouvernements et leurs représentants
sur les dangers et les risques associés à une nouvelle production de plastique.
En 15 mois depuis l'UNEA 3, un Groupe d'experts intergouvernemental spécial
s'est également réuni à deux reprises pour évaluer les possibles options de
résolution globale de la crise du plastique. Ses conclusions, appuyées par
plusieurs analyses et rapports indépendants commandés par l'ONU, mettent en
évidence des défaillances majeures, ainsi qu'une coordination insuffisante des
structures de gouvernance actuelles.
Les
recommandations du groupe d'experts ont créé une dynamique suffisante pour que
soit préconisé un nouveau mécanisme mondial de réduction de la production et
consommation de plastique. Dans le cadre de l'UNEA 4, une résolution proposée
par la Norvège vise à la mise en place de structures de gouvernance mondiale
plus solides pour faire face aux déchets marins et microplastiques. Cette
démarche pourrait constituer une première étape vers un traité juridiquement
contraignant, accompagné d'une approche à plusieurs niveaux, afin de remédier
au problème.
La
mise en place d'une nouvelle
convention internationale autour de la crise du plastique permettrait
d'améliorer la coordination entre les gouvernements et les instances
réglementaires existantes, ainsi que de fournir un soutien financier et
technique supplémentaire. Plus important encore, sa priorité majeure
consisterait à empêcher à l'augmentation de la pollution plastique et des
dangers pour la santé humaine, à tous les niveaux du cycle de production.
Nous
avons tous le droit de vivre dans un environnement sain. Mais ce droit ne sera
garanti que lorsque nous adopterons des mesures juridiquement contraignantes
pour limiter la production de plastique, ainsi que pour amener les entreprises
et gouvernements à rendre des comptes sur les dégâts que provoque le plastique
sur notre organisme, nos communautés et nos écosystèmes. La sensibilisation
autour de l'importance du recyclage ne suffit pas. Nous avons bon espoir que
l'UNEA admette cette réalité, et qu'elle se joigne à ceux qui mènent d'ores et
déjà une initiative novatrice pour préserver la santé humaine et
environnementale.
Lili
Fuhr est directrice du département
écologie et développement durable de la fondation Heinrich Böll et Jane
Patton est membre du mouvement international Break Free From Plastic.
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