En Russie, des abeilles décimées par un pesticide très toxique
Les abeilles meurent en masse dans la région de Toula, à 200 km
au sud de Moscou. En cause : l'utilisation mal règlementée d'un pesticide
contenant une substance très toxique, le fipronil, interdite récemment par
l'Union européenne.
Anatoli Roubtsov jette un regard de dépit sur ses ruches. "L'exploitation
était bruyante, ça chantait", se remémore-t-il. Désormais, un léger
bourdonnement se fait à peine entendre et une odeur de chair pourrie flotte
dans l'air.
Cet apiculteur de la région de Toula, au sud de Moscou,
explique que la quasi totalité de ses plus de 80 colonies est morte cette
année, victime selon lui d'un pesticide. Cela représente plus de trois millions
d'abeilles et il estime ses pertes à 1,6 million de roubles (22.700 euros).
Autour de Bobrovka, où est installé Anatoli Roubtsov, toutes les
abeilles ont connu le même sort. Plus de 60 apiculteurs ont entamé un combat
difficile pour obtenir des compensations mais certains ont fini par jeter
l'éponge.
Selon l'association nationale d'apiculture, Toula est l'une des 30
régions de Russie touchées ces dernières semaines par une hécatombe
des abeilles, déjà observée dans de nombreux pays.
Le ministère de l'Agriculture reconnaît que les morts ont causé"un
dommage considérable" à l'apiculture : 300.000 colonies sur
3,3 millions ont péri dans le pays.
Les autorités sanitaires russes reconnaissent que la mort des
abeilles était due à un usage incontrôlé d'insecticides. "Le
volume de pesticides utilisé et leur qualité n'est pas contrôlé par le
gouvernement", a déclaré ce mois-ci une porte parole de
Rosselkhoznadzor aux agences de presse russes, Ioulia Melano.
A Bobrovka, tout le monde accuse un producteur de colza qui a
traité ses champs avec un insecticide très puissant contenant du fipronil le 4
juillet. L'entreprise incriminée a assuré à l'AFP avoir suivi toutes les
instructions.
"Le colza en fleur présente un grand attrait pour les
abeilles. Pour elle, c'était comme un guet-apens", affirme M.
Roubtsov tandis que dans ses ruches, quelques abeilles rampent chaotiquement,
incapables de voler. "Ce sont des mortes-vivantes. L'ensemble de
l'exploitation est condamnée."
Pesticides en cause
Considéré par l'Autorité européenne de sécurité des aliments
(Efsa) comme présentant un risque aigu élevé pour la survie des abeilles,
l'usage du fipronil est très réglementé dans l'Union européenne depuis 2013,
encore plus depuis qu'un scandale d'oeufs contaminés au fipronil a éclaté aux
Pays-Bas et en Belgique en 2017.
En Russie, le fipronil, comme d'autres insecticides utilisant
des néonicotinoïdes et
interdits en Europe, est autorisé. Il peut être répandu sur les cultures de
céréales, de pommes de terre et dans les pâturages mais seulement de nuit, en
absence de vent et à condition d'éloigner les abeilles durant plusieurs jours.
Des conditions qu'ignorent allègrement les producteurs de colza,
assurent les apiculteurs interrogés par l'AFP. Ceux-ci notent avec amertume que
l'Europe produit du biodiesel, supposément plus écologique, avec du colza russe
poussant grâce à des insecticides toxiques.
"Le colza est devenu très répandu dans toute la
région", explique Viktor Morozov, un apiculteur ayant perdu 50
colonies d'abeilles en juillet, la plus grave hécatombe qu'il ait connue en 40
ans de métier.
Tandis que la culture du colza baisse dans l'Union européenne,
elle a plus que doublé en Russie sur la dernière décennie. Depuis 2018, elle
est encore passé de 1.576 à 1.680 hectares, selon les estimations officielles.
Or, les producteurs se tourneraient vers des insecticides plus
puissants, parfois illégaux, à mesure que les insectes nuisibles gagnent en
résistance.
"Aucune aide"
"Le colza est très demandé. Les insecticides sont chers et
parfois, ils les diluent avec des produits toxiques à bas coût et ignorent les
règles d'application", explique à l'AFP Anna Brandorf, qui dirige le
centre national russe de recherche sur l'apiculture.
"Personne ne contrôle cela", ajoute-t-elle. "Et personne ne coordonne l'action des apiculteurs et des agriculteurs."
"Personne ne contrôle cela", ajoute-t-elle. "Et personne ne coordonne l'action des apiculteurs et des agriculteurs."
Selon Anna Bradorf, beaucoup d'apiculteurs risquent d'abandonner
leur activité à l'heure où la Russie, comme la Chine ou de nombreux pays
européens avant elle, est touchée à son tour par une hécatombe des abeilles.
La différence est qu'en Russie, les apiculteurs ne reçoivent
aucune aide gouvernementale, ajoute-t-elle.
Sur son téléphone, Viktor Morozov montre des photos prises à
proximité des champs de colza des environs : des boites vides de fipronil sont
posées à même le sol. Mais quand il a contacté les agriculteurs locaux, ils ont
nié en avoir fait usage.
Un laboratoire de Moscou a bien confirmé que les plants de colza
contenaient du fipronil.
Aller en justice pour obtenir réparation a un coût que la plupart
des apiculteurs ne peuvent assumer.
"Les pesticides interdits en Europe ont tous été envoyés
ici en Russie", dénonce Viktor Morozov, "quelqu'un
doit en prendre la responsabilité".
© 2019 AFP
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