Dossier-Déforestation effrénée en Guinée : ce massacre environnemental qui menace désormais notre existence
De 14 millions d’hectares de forêts dans les années
‘’60’’, la Guinée se retrouve aujourd’hui avec moins de 700.000 hectares. Cette
déforestation abusive fait donc de la Guinée l’un des mauvais élèves dans la
conservation des forêts. Le pays fait malheureusement partie des pays qui ont
les taux de déforestation les plus rapides au monde. Une situation à la fois
inquiétante et effroyable qui préoccupe aujourd’hui gouvernants et gouvernés.
(photo d’archives)
La forêt guinéenne dévastée
Pour inverser la tendance, le gouvernement guinéen
avait, en 2011 à travers son département en charge de l’Environnement et des
Eaux et Forêts, pris une décision salvatrice pour le pays en proie à la
sécheresse, l’une des conséquences de la coupe abusive du bois. Dans un
communiqué de presse à l’époque, il est pourtant rappelé aux directeurs
régionaux, préfectoraux, communaux, aux cantonnements forestiers, aux
conservateurs des parcs et réserves, à l’Office du Bois, au Centre Forestier de
N’Zérékoré, au Centre de Gestion du Nimba-Simandou, que le respect des
dispositions de l’arrêté interdisant la coupe et l’exploitation du bois,
devrait être observé sans défaillance. Ainsi, tout transfert de bois, tout
convoi de bois entre les préfectures, les sous-préfectures et la zone spéciale
de Conakry même avec les forces de défense et de sécurité, y compris la brigade
verte, était interdit. Mais hélas ! Huit ans après, les Guinéens assistent
impuissants à la catastrophe causée par la coupe abusive du bois. Aujourd’hui,
la forêt est représentée par quelques lambeaux de forêts classées par endroits.
Même celles-ci ne sont pas épargnées.
« On veut détruire toutes les forêts
classées de la Guinée ». Ce cri d’alarme de Michel Martin Camara,
président du Collectif « Touche pas à ma forêt »,
mérite réflexion quand on voit la surexploitation et le déboisement que subit
la forêt guinéenne ces quatre dernières décennies. Des forêts classées de Ziama
et de Diécké aux savanes boisées en passant par les forêts claires et la
mangrove, la situation est alarmante. Sous le poids de la coupe anarchique de
bois, la forêt et la flore sauvage guinéenne sont menacées d’extinction. Des
forêts classées telles que Bötokoly à Kindia, N’dama à Koundara, Kouyâ à
Kouroussa et le Massif de Ziama à Macenta qui autrefois faisaient la fierté de
la Guinée, il ne reste que des petites portions de forêts clairsemées.
La diversité de la forêt guinéenne selon les régions
naturelles reflète directement les pratiques économiques et sociales des
populations. Tenez ! En Guinée Maritime, la forêt dense qui existait
autrefois sur la plaine littorale de Guinée a presque disparu. Il n’en reste
plus qu’une relique (pour des raisons scientifiques), dans un site
naturellement protégé à Kaméléya, dans la préfecture de Forécariah. Les savanes
issues de jachères qui se développent assez facilement dans la plaine sont à la
merci des flammes chaque année. C’est la même situation qui prévaut dans la
préfecture de Kissidougou, selon les responsables des gardes forestiers.
Quant à la mangrove, partiellement protégée jusqu’à
présent par les difficultés d’accès et de mise en valeur, elle est de plus en
plus agressée par les riziculteurs et les exploitants de bois. La consommation
du bois de mangrove pour l’extraction du sel, pour le fumage de poisson et pour
l’approvisionnement des villes. Or la mangrove est un milieu complexe très
sensible aux moindres perturbations de l’écosystème. Sa dégradation est lourde
de conséquence tant au niveau écologique qu’économique (érosion côtière,
acidification irréversible des sols, destruction des frayères de nombreuses
espèces de poissons et des zones d’hivernage d’oiseaux migrateurs).
En Moyenne Guinée, le déboisement est très poussé.
La coupe abusive du bois pour faire des enclos abritant les animaux et la
production du charbon de bois ont fait disparaître les forêts. Pire, la densité
de la population dans certaines zones ne permet pas d’envisager une
restauration des sols sans que les populations ne trouvent à la forêt un
intérêt économique réel.
S’agissant de la Haute-Guinée, un potentiel
important de la forêt dense sèche, riche en faune, les forêts y sont menacées.
Par ailleurs, la savane qui a remplacé la forêt défrichée brûle, chaque année.
En Guinée Forestière, les cultures caféières et
cacaoyères, y compris l’hévéacultures a entrainé des défrichements intenses et,
dans le nord de cette région, il ne reste plus que de petites ceintures
forestières péri-villageoises, d’origine coutumière ou religieuse, qui
protègent les villages du feu. Il y a aussi le trafic du bois qui s’est
accentuée dans cette partie du pays. Dans la forêt de Déré par
exemple, dans la préfecture de Lola, plusieurs sociétés clandestines y sont
implantées pour le trafic du bois. Les trafiquants avec la complicité des
autorités locales coupent les bois frauduleusement pour les pays voisins que
sont le Liberia et la Côte d’Ivoire.
Cette dégradation progressive du milieu naturel est
due à une mauvaise exploitation des ressources naturelles par une population en
croissance rapide qu’à une pression excessive sur elles.
Les causes de cette déforestation rapide ?
C’est vrai, la démographie et l’agriculture sur
brûlis jouent un rôle significatif dans la déforestation en Guinée. Mais, ne
perdons pas de vue que l’exploitation de la forêt et des terres défrichées pour
le marché extérieur occupe une place centrale dans la dégradation du milieu et
la dépossession des populations agroforesteries.
Bien qu’avant la colonisation, les régions de la
Guinée couvertes de forêts tropicales humides étaient déjà habitées par des
populations vivant d’activités de prédation mais aussi de l’agriculture
itinérantes sur brûlis. Cette vieille habitude perdure jusqu’ici dans nos
campagnes. Le système consiste à couper un pan de la forêt que l’on nettoie par
le feu pendant la saison sèche avant la préparation du terrain et la mise en
culture durant la saison des pluies. Après deux ou trois années d’exploitation
de la surface en question, on recommence le même procédé dans un autre site
forestier, laissant le précédent en jachère pour un certain nombre d’années,
afin de laisser se reconstituer le couvert végétal et de la fertilité au sol.
Cette méthode culturale, avec le poids démographique
faible à l’époque ne constituait aucunement une menace pour l’écosystème
forestier. Là, il s’agissait d’agriculture d’autoconsommation. Il fallait
attendre parfois plus de cinq décennies pour revenir sur les espaces qui
avaient été laissés en jachère. Mais l’augmentation rapide de la population
ainsi qu’une production tournée vers le marché extérieur, ne laissent plus
assez de temps aux périodes de jachère pour reconstituer le couvert végétal.
Cela a transformé les forêts tropicales humides en forêts claires ou tout
simplement en savanes.
L’accent mis ces dernières années sur les cultures de rente
Depuis quatre décennies environ, les forêts ont
laissé rapidement place aux plantations cacaoyères, de palmiers à huile et
d’hévéas. Ces plantations tenues tant par des petits paysans que par des
entreprises, ont progressivement pris de l’ampleur pour couvrir l’ensemble de
la région forestière qui a ainsi perdu la quasi-totalité de ses forêts. La
situation est identique pour la zone du littoral où la situation s’est donc
guère améliorée pour les forêts encore existantes.
L’explosion démographique, une autre réalité à la base de la destruction des forêts
En 40 ans, la population guinéenne a plus que
doublé. Cette croissance démographique a eu des conséquences directes sur
l’exploitation des ressources naturelles. Les forêts dont l’importance en
matière de biodiversité est établie, subissent une pression croissante, non
seulement du fait des besoins de nutrition directe des populations locales, mais
aussi en raison de l’exploitation de certaines ressources destinées au marché
et qui procurent des revenues monétaires.
L’exploitation commerciale de la forêt
Aux dires des gardes forestiers rencontrés, deux
types d’exploitation commerciale de la forêt coexistent. Le premier type de
grande envergure, est l’exploitation industrielle par les sociétés et
entreprises étrangères. Le deuxième type, souvent qualifiée de « sauvage »,
est l’œuvre de petits exploitants locaux, orientés vers l’approvisionnement des
grands centres urbains du pays, pour des travaux de construction divers.
Toujours selon eux, actuellement dans les périphéries des grandes villes, des
arbres sont abattus pour la vente directe ou alors pour la transformation du
charbon de bois.
A la direction des Eaux et Forêts, un responsable
explique : « depuis quelques années, les grands centres
urbains de la Guinée ont enregistré des unités industrielles et des
boulangeries, y compris des menuiseries et des constructions d’habitation qui
nécessitent ainsi un ravitaillement important en bois. Des marchés importants
se sont ainsi développés, devenant de grands centres de négoce pour les
produits d’exploitation forestière destinés à la construction et aux meubles. A
Conakry par exemple, le marché du bois du quartier Dabondy, dans la commune de
Matoto, est alimenté par la région forestière. Une région qui souffre de la
déforestation accentuée. »
Il faut retenir par ailleurs qu’une des énigmes
difficiles à déchiffrer dans cette exploitation, est le volume de bois
effectivement sorti des forêts guinéennes. L’absence de contrôle ou le laxisme
des services ne permettent pas de chiffrer réellement les quantités exploitées.
Certaines essences coupées, de par leur importante dimension, rendent difficile
l’extraction de leur lieu de coupe. « L’exploitation des plantes
médicinales à des fins d’exploitation prend elle aussi de plus en plus
d’ampleur en Guinée. La quête de certains produits tels que les fruits de
strophantus provient des lianes qui prennent pour support des arbres, nécessite
souvent la destruction de ces derniers, méthode qui ne peut garantir une
meilleure préservation des forêts », conclut-il.
Quelles conséquences sur les populations rurales et le pays ?
La disparition des forêts entraîne de nombreux changements,
le plus souvent néfastes. Les conséquences se vivent dans les milieux jadis
occupés par cet écosystème qu’ailleurs. Comme pour la plupart des questions
d’environnement, ces conséquences, pour certains aspects, ne connaissent pas de
frontières nationales.
Selon Mohamed Camara, un spécialiste rencontré dans
les couloirs du ministère de l’Environnement et des Eaux et Forêts, l’une des
premières conséquences constatées de l’exploitation de la forêt en Guinée, est
l’appauvrissement de la biodiversité. « De nombreuses espèces utilisées
dans la pharmacopée des populations locales sont désormais introuvables. Cela
peut expliquer en partie de sollicitation décroissante de la médecine naturelle
par ces habitants qui se tournent davantage vers la médecine moderne, malgré
leur manque de moyens financiers pour accéder à cette dernière forme de soins.
Lorsque l’exploitation forestière débute dans telle ou telle région, certaines
espèces de bois sont très prisées des entreprises auxquelles l’Etat a accordé
des concessions. Quand ces essences en viennent à se raréfier au fil des coupes »,
dira-t-il
Les spécialistes parlent de fertilité des sols.
Selon eux, le climat tropical humide est caractérisé par l’abondance et la
violence des précipitations, la déforestation dans ce milieu entraîne le
lessivage des sols. Ce qui provoque la baisse de leur fertilité et une
difficile reconstitution de l’humus qui reste très mince. Pour M. Barry,
conseillé à la direction des Eaux et Forêts, les sols deviennent dans ces
conditions peu propices pour soutenir une épaisse et dense végétation.
« Cette situation ne permet pas la
régénération des forêts et rend aussi les sols peu fertiles pour les activités
agricoles. La déforestation peut aussi entraîner la diminution de la production
d’oxygène. Par le mécanisme de la photosynthèse qui permet aux plantes exposées
à la lumière de produire l’oxygène vital aux êtres vivants, la réduction du
potentiel végétal fait augmenter l’effet de serre par une surproduction de gaz
carbonique, ce qui accentue aussi le réchauffement climatique et indirectement
la désertification »
Le cri d’alarme du ministre de l’Environnement et Eaux et Forêts
Le ministre Oyé Guilavogui, lors du lancement de la
campagne du reboisement, a lancé un cri d’alarme en interpelant les Guinéens
face au désastre causé par la déforestation. « En dépit de
l’existence d’un cadre juridique cohérent à travers les différentes lois et
leurs textes d’application pour protéger les forêts dans les communes rurales
et urbaines, le processus de dégradation de nos ressources forestières demeure
une préoccupation du département de l’Environnement et des Eaux et Forêts. Nos
forêts urbaines sont la proie privilégiée des citoyens partout dans nos villes
et dans nos villages surtout à Conakry.
Les constructions d’habitation sont
faites même sur les berges des cours d’eau, dans les domaines publics maritimes
qui sont en fait des domaines classés avec un statut tout particulier. C’est le
cas de la forêt de Démoudoula. Cette forêt, dans les années ‘’80’’ était
riche en biodiversités. Elle comptait à l’époque 147 têtes de sources d’eau. Je
dis bien 147. Malheureusement, aujourd’hui, il n’y a qu’une seule tête source
d’eau qui ravitaille les populations riveraines en eau surtout pendant la
saison sèche. Tout le reste a disparu face à l’action des bulldozers pour
ériger des bâtiments dans une anarchie totale sans le moindre respect des
normes environnementales.
Depuis 2017, le gouvernement a pris des mesures
pour restaurer cette forêt dans toutes ses dimensions physiques et sa fonction
écologique. Cependant, il est regrettable que certains citoyens de mauvaise foi
essaient de saper les efforts de reconstitution de cette forêt avec une
arrière-pensée de récupérer les zones assainies ».
Ce discours du ministre est un aveu qui traduit le
drame dans le domaine environnemental en Guinée. Une sonnette d’alarme qui
interpelle les Guinéens à une prise de conscience collective pour inverser la
tendance.
Et pourtant, que de campagnes de reboisement engagées sur le terrain par le gouvernement guinéen ?
Depuis la Première République, les autorités
guinéennes multiplient les initiatives visant à restaurer et à préserver les
forêts. Une loi avait été adoptée à cet effet. Cette loi dénommée « Loi
Fria » donnait obligation à tout couple, nouvellement marié, de
planter deux arbres et invitait chaque famille qui organisait le baptême de son
enfant à planter trois arbres dont deux plantes pour les parents biologiques et
un pour l’enfant. Il s’en est suivi d’autres initiatives sous la Deuxième
République. Mais hélas ! La situation va de mal en pis. Chaque jour qui
passe, la forêt guinéenne va en lambeau.
Le Conseil des ministres tenu le jeudi 30 juin a
consacré une part importante de ses débats au reboisement à grande échelle.
Ainsi, suite à ce conseil, une campagne nationale de reboisement a été
déclenchée le 10 juillet dernier à Dubréka et sur les berges du fleuve Niger à
Faranah. Cette campagne prévoit de reboiser environ 2000 hectares de forêts
avec des milliers de plantes. Le coût de l’opération est estimé à environ 20
milliards, selon les indiscrétions.
L’Etat guinéen est engagé sur le front pour lutter
contre la déforestation, mais il faut retenir que toutes ces belles initiatives
ne sont pas suivies sur le terrain. Une fois la campagne terminée, les hectares
reboisés sont abandonnés aux mains des villageois et des trafiquants de bois.
Au ministre de l’Environnement de lancer alors un
appel aux citoyens des villes et à ceux des villages : « que
les citoyens s’emploient davantage à planter dans chaque concession des arbres,
à créer, à protéger des forêts urbaines, périurbaines et villageoises »,
avant de conclure : « c’est seulement par cette voie que nous
pourrons conférer à nos villes et villages un caractère écologique durable ».
Source : Guinée News
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