Autosuffisance alimentaire : pourquoi et comment le Nigeria compte relever le défi - Africa Green Magazine

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Autosuffisance alimentaire : pourquoi et comment le Nigeria compte relever le défi

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Autosuffisance alimentaire : pourquoi et comment le Nigeria compte relever le défi


Avec en perspective l'autosuffisance pour le pays, le président Muhammadu Buhari entend désormais interdire l'importation de produits alimentaires, pour inciter à produire localement.

Dure semaine pour le président nigérian Muhammadu Buhari. Il se retrouve sous le feu des critiques depuis qu'il a « ordonné » mercredi 14 août à la Banque centrale de cesser de payer en devises étrangères pour les importations agricoles entrant au Nigeria. Les produits alimentaires tels que le lait et le riz sont parmi les produits ciblés par la décision du chef de l'État. 

Objectif : stimuler la production agricole nationale et atteindre la « sécurité alimentaire complète » du pays le plus peuplé d'Afrique. « Les réserves en devises seront conservées et utilisées strictement pour la diversification de l'économie et non pas pour encourager une plus grande dépendance vis-à-vis des importations de produits alimentaires. » Selon le porte-parole de la présidence, Garba Shehu, le président nigérian aurait même déclaré : « Ne donnez pas un cent à quiconque pour importer de la nourriture dans le pays. » Si l'argumentation du dirigeant réélu en février dernier semble louable, il s'est toutefois attiré les critiques acerbes d'économistes et d'analystes. 

Ces derniers craignent que cette mesure n'aboutisse à l'effet inverse en faisant monter en flèche les prix des denrées alimentaires importées en plus de créer un marché parallèle. Le Nigeria est la plus grande économie d'Afrique, mais dépend principalement des importations de produits alimentaires pour nourrir ses quelque 200 millions d'habitants.

Quand le Nigeria rêve de faire décoller sa production de riz

Selon l'Indice de complexité économique, ECI, « le Nigeria est le 52e plus grand importateur au monde de produits de base tels que le blé, le maïs, le riz, la canne à sucre et les produits laitiers ». Au premier trimestre 2018, le pays avait dépensé 503 millions de dollars en importations de produits agricoles. Ce chiffre a augmenté de 25,84 % au premier trimestre 2019 d'après le Bureau national des statistiques nigérianes. Et pourtant, Muhammadu Buhari a fait campagne en promettant de stimuler l'économie locale.

 Une stratégie qu'il avait déjà expérimentée en 2015 à son arrivée au pouvoir, notamment pour le secteur du riz, un aliment de base produit dans plusieurs grandes régions de ce vaste pays. Résultat : la production nationale de riz a augmenté. Selon les chiffres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la production de riz nigérian est passée d'une moyenne annuelle de 7,1 millions de tonnes entre 2013 et 2017 à 8,9 millions de tonnes en 2018. 

Pour aller plus loin, en novembre dernier, le gouvernement a dépensé 165 millions de dollars pour subventionner la production de riz. Malgré tous ces efforts, pour les experts, les résultats n'ont pas été concluants. En effet, cette politique n'aurait pas tenu compte de la faible capacité de production des agriculteurs locaux. Autre bémol, la mesure a entraîné l'arrivée massive de tonnes de riz de contrebande à travers les frontières poreuses du géant ouest-africain, principalement du Bénin voisin. Entre 2015, année de l'entrée en vigueur des restrictions d'importations pour le riz, et début 2017, le prix d'un sac de 50 kg de riz est passé de 24 à 82 dollars. Il a ensuite chuté à la mi-2017 à 34 dollars. Mais en juin 2019, le même sac de riz s'élevait à 49 dollars.

Promouvoir le « made in Nigeria »

Le Nigeria produit des aliments de base tels que le sucre, la farine de blé, le poisson, le lait, l'huile de palme, le porc, le bœuf et la volaille, mais jusqu'à présent, les agriculteurs nationaux n'étaient pas en mesure de satisfaire la demande des 200 millions d'habitants du pays. Avec l'interdiction des devises étrangères, les agriculteurs nigérians vont désormais devoir augmenter leur production. Sur cette question, le Nigeria est loin d'être un cas isolé. En effet, l'agriculture ouest-africaine peine à nourrir la population de la région. D'ici à 2025, les importations alimentaires du continent vont être multipliées par 3 à 110 milliards de dollars.

La mesure annoncée par le chef de l'État va permettre de limiter la sortie des devises en les utilisant uniquement pour les produits qu'on ne peut pas fabriquer localement, ou des produits qui sont hautement stratégiques pour l'économie du premier producteur africain de pétrole qui compte pour environ 90 % de ses opérations de change.

Un débat qui agite les politiques...

Outre les questions relatives à la capacité locale, il est également à craindre que la politique du gouvernement ne menace l'indépendance de la Banque centrale. « La loi sur la Banque centrale de 2007 indique clairement que la banque est indépendante. Elle n'est pas censée recevoir d'instructions directes de la part des politiciens », analyse Kingsley Moghalu, gouverneur adjoint de la Banque centrale de 2009 à 2014. « Il n'y a que trois cas dans le fonctionnement de la Banque centrale qui nécessitent l'approbation directe du président. Le premier cas concerne l'approbation des comptes annuels de la banque. Dans ce cas précis, le président doit les approuver.

 Le second cas concerne l'émission des moyens de paiement en circulation comme les pièces de monnaie, des billets de naira, etc., le président doit approuver les dessins et propositions. Troisième cas : tout investissement externe de la Banque centrale en tant qu'institution doit être approuvé par le président. En dehors de ces trois cas spécifiques, la Banque centrale n'exige pas l'approbation formelle et explicite du président pour s'acquitter de sa tâche », a ajouté le candidat du Young Progressive Party à la présidentielle de 2019.

... et les experts

Pour Jonathan Aremu, ancien économiste de la Banque centrale nigériane et professeur de relations internationales, « cela va envoyer de mauvais signaux à l'économie mondiale, pas seulement au Nigeria. Ce que le président aurait dû dire, c'est que les gens peuvent importer de la nourriture, mais que les devises ne seront pas payées. Mais même dans ce cas, pourquoi le président ne pourrait-il pas dialoguer avec la Banque centrale et permettre à celle-ci de donner la directive ? Il sera difficile pour la banque de remplir sa fonction dans le pays indépendamment de la classe politique. Il lui sera même difficile d'échanger normalement avec d'autres banques centrales, y compris le Fonds monétaire international (le FMI) et la Banque mondiale », prévient-il.

« Nous pouvons analyser les propos du président en deux points. Sa directive va à l'encontre des normes, de l'éthique et de la division des pouvoirs lorsqu'on considère l'autonomie de la Banque centrale. Il n'a pas le droit de décider de ce que le gouverneur de la banque devrait faire ou ne pas faire. Deuxièmement, nous devons nous interroger sur le contenu de ses propos. Je partage sa position sur le message : si nous voulons être sérieux en matière de production alimentaire, nous devons fermer le robinet sur les importations, et je pense qu'il est préférable de le faire en consultant la Banque centrale », explique l'ancien sénateur de Kaduna et dramaturge Shehu Sani.

Mais, argue-t-il, « l'indépendance de la Banque centrale nigériane est davantage un mythe. C'est un mythe en ce sens que nous le savons clairement d'après ce qui est écrit dans notre Constitution et dans nos lois, la CBN n'a jamais été un organe indépendant, mais idéalement, il est censé l'être. Et quand nous voyons une transgression contre de telles lignes rouges, nous devons les relever et en débattre. C'est dans l'esprit de veiller à protéger l'indépendance de la CBN que nous allons à l'encontre de certaines directives, mais je partage le fait que nous devons cesser d'importer des produits alimentaires pour encourager la production locale. Sur ce sujet, le président a raison. »


A.G.M
Source : Le Point

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