ANALYSE
Climat : être ou ne plus être, le cheptel est la question
Dans leur rapport sur la dégradation des sols publié
ce jeudi, les scientifiques du Giec rappellent l’urgence de changer
notre alimentation trop carnée.
La lecture de
ces 65 pages pourrait pousser n’importe qui dans une profonde
dépression. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (Giec) sur la dégradation des sols, dont le résumé aux
décideurs est publié ce jeudi, dresse, encore une fois, un tableau bien sombre
de l’état de notre planète sous l’effet des activités humaines. Seulement,
comme dans leur publication sur un monde à + 1,5°C, qui a fait grand bruit
l’an dernier, ce groupe de scientifiques laisse entrevoir une lumière
au bout du tunnel.
Un espoir à trouver dans nos assiettes et derrière la porte
des étables. Les scientifiques refrènent tout de même les plus idéalistes : une
transformation majeure et durable de nos systèmes alimentaires et agricoles est
nécessaire. Ces conclusions ne sont ni nouvelles ni révolutionnaires. Mais
elles permettent de rappeler l’extrême urgence à revoir tous nos acquis.
L’avenir dessiné par ces nouveaux modèles agricoles donne même sacrément envie.
L’alimentation est au cœur
de la lutte contre le changement climatique car elle en est à la fois une des
principales causes, et en subit durement les conséquences. Le secteur agricole
représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre et occupe 40 %
des terres. Des proportions promises à augmenter avec l’amélioration du niveau
de vie dans de nombreux pays.
En parallèle, chaque degré
de réchauffement réduira de 6 % les rendements de blé, de 3 % ceux de
riz et de soja et de 7 % ceux de maïs. Or ces cultures fournissent deux
tiers des apports en calories de l’humanité et les salaires de millions
d’individus. En outre, l’augmentation de la concentration en CO2 dans
l’atmosphère provoque une baisse de zinc et de fer dans les céréales et les
légumes. De quoi aggraver la recrudescence des maladies liées aux carences en
oligo-éléments.
Angoisse des agriculteurs
Face à ces sombres
perspectives, le choix entre le burger et les lasagnes végétariennes un
midi pourrait faire la différence sur la durée. «La consommation en
viande doit être réduite d’au moins 50 % dans les pays
industrialisés, alerte Tim Searchinger, chercheur au think-tank World
Resources Institute et coauteur du rapport "Créer un futur alimentaire
durable" publié en juillet par l’ONU Environnement et la Banque
mondiale. Le plus dommageable pour l’environnement reste le bœuf,
l’agneau et la chèvre.»
Cela pour trois raisons :
ils émettent de grandes quantités de méthane, un gaz à l’effet de serre
beaucoup plus puissant que le CO2 ; leur lisier dégage de l’oxyde
nitreux qui appauvrit les sols et acidifie les mers ; surtout, les terres
occupées par les animaux et utilisées pour cultiver leur nourriture le sont au
détriment des forêts, pourtant essentielles pour capter le CO2 de
l’atmosphère. Tim Searchinger recommande de réduire d’au moins 10 % la
production de porc et de volaille.
Les produits laitiers ne
sont pas à épargner. Pour produire du lait, les femelles doivent être enceintes
régulièrement. «Enormément de veaux et de chevreaux naissent dans les
élevages sans qu’on sache quoi en faire, décrit Laure Ducos,
chargée de mission agriculture pour Greenpeace France. De plus en
plus d’associations de défense du bien-être animal s’alarment du traitement qui
leur est réservé.» L’ONG a établi que, pour limiter le réchauffement,
la consommation de produits laitiers doit être réduite à 33 kilos par
habitant par an. Or les Français, champions hors catégorie, en ingurgitent plus
de 260 kilos par an. Une dynamique positive est engagée : la consommation
de viande, sauf la volaille, baisse déjà en France.
Face à ces recommandations,
on imagine l’angoisse des agriculteurs. Laure Ducos se veut rassurante : «Les
éleveurs européens s’y retrouveront, dans le modèle agricole nécessaire pour
limiter le dérèglement du climat. Tout le monde ne doit pas devenir végétarien
mais manger beaucoup moins de viande, et préférer la production locale et de
qualité.» Cette Europe passée à l’agroécologie reverrait naître sur
son territoire plus de petites fermes adeptes de l’élevage extensif (et non
plus intensif). Les agriculteurs seraient plus nombreux, mieux payés et moins
dépendants de marchés fluctuants des matières premières. Les citoyens
mangeraient des plats moins carnés mais plus nutritifs, et toujours plus
variés, car la diversité d’aliments végétaux bons pour le climat et la santé
laisse de la place à l’imagination culinaire (lire page 3).
Révolution des modes de pensée
Ce monde idéal n’est pas une
utopie. L’Institut du développement durable et des relations internationales en
a publié un plan détaillé, appelé Ten Years for Agroecology in Europe («dix ans
pour l’agroécologie en Europe»), revu en avril pour le rendre cohérent avec
l’objectif de zéro émission nette en 2050. Il implique la généralisation
de l’agriculture biologique, le redéploiement des prairies permanentes et,
malgré une baisse de 35 % de la production, permettrait de nourrir
localement 530 millions d’Européens, et d’arrêter d’importer de la
nourriture pour l’élevage.
Cette dernière mesure est
cruciale car elle permettrait de redonner des terres à la forêt, en Amérique
latine surtout. D’après le Giec, au rythme actuel, l’Amazonie rongée par la
déforestation, au profit de l’élevage ou de champs de soja, pourrait bientôt
devenir une source nette de carbone dans l’atmosphère, et non plus le puits
précieux qu’elle est actuellement. En réduisant la consommation de viande,
l’idée n’est pas de compenser en mangeant de l’avocat ou du quinoa importés de
l’autre bout de la planète. Ce changement d’alimentation appelle à une révolution
des modes de pensée et de consommation, vers plus de local et plus de qualité.
Un moyen de mieux préparer les sociétés face aux futurs chocs environnementaux.
Source : Libération
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