La climatisation : un dilemme entre confort et survie - Africa Green Magazine

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La climatisation : un dilemme entre confort et survie

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La climatisation : un dilemme entre confort et survie

La multiplication des vagues de chaleur entraĆ®ne une augmentation exponentielle du nombre de climatiseurs. Mais ceux-ci sont extrĆŖmement nocifs pour l’environnement et risquent d’aggraver encore le rĆ©chauffement… Les diffĆ©rentes pistes explorĆ©es pour amĆ©liorer la technologie ou pour trouver des alternatives illustrent le dĆ©bat qui traverse l’Ć©cologie
 entre accĆ©lĆ©rationnisme technologique et injonctions Ć  ralentir.

Si Sisyphe vivait au XXIe siĆØcle, il pousserait un climatiseur. Plus il fait chaud, plus on consomme de climatiseurs, plus ceux-ci rĆ©chauffent l’atmosphĆØre et augmentent la frĆ©quence des canicules, plus on utilise de climatiseurs… Situation absurde qui, Ć  la diffĆ©rence de celle du hĆ©ros de la mythologie grecque, ne pourra durer Ć©ternellement : la clim comme l’ensemble de nos comportements dĆ©lĆ©tĆØres nous placent aujourd’hui sur la trajectoire d’un possible emballement climatique.

Un ensemble de catastrophes en cascades survenant dans les dĆ©cennies Ć  venir pourrait mettre en pĆ©ril les conditions d’existence de notre espĆØce sur Terre. Ce que le directeur du Postdam Institute for Climate Impact Research rĆ©sumait Ć  la confĆ©rence de Copenhague en 2009 d’une estimation terrifiante : Ć  5°C de rĆ©chauffement, la planĆØte n’aurait mĆŖme plus les ressources pour abriter un milliard d’ĆŖtres humains.

Climatisation : 3 dangers en 1 

Les effets pervers des climatiseurs peuvent se dĆ©cliner en trois catĆ©gories. D’abord, ils consomment Ć©normĆ©ment d’Ć©nergie. Climatiseurs et ventilateurs reprĆ©sentent aujourd’hui 10 % de la consommation mondiale d’Ć©lectricitĆ©, estime un rapport de l’Agence internationale de l’Ć©nergie (AIE) publiĆ© en 2018. Une puissance installĆ©e de 12 000 gigawatts qui explique les pics de consommation Ć©lectrique observĆ©s au cœur de l’Ć©tĆ©. Le record de 2017 a Ć©tĆ© Ć©galĆ© en France lors de la canicule de juin 2019, avec 59 490 mĆ©gawatts atteints le 27 juin. ƀ New York, en pleine canicule nord-amĆ©ricaine, 53 000 personnes ont Ć©tĆ© privĆ©es d’Ć©lectricitĆ© le 22 juillet, Ć  cause d’une demande de consommation record. Les autoritĆ©s ont notamment demandĆ© aux New Yorkais de rĆ©duire l’intensitĆ© de leurs climatiseurs.

Les quelque 1,6 milliard de climatiseurs installĆ©s dans le monde entraĆ®nent donc d’importantes Ć©missions de carbone pour produire l’Ć©nergie qu’ils rĆ©clament : un milliard de tonnes de CO2, selon un expert de l’AIE interrogĆ© par franceinfo. Autre calcul relevĆ© par Ouest France : 12 % des Ć©missions mondiales de CO2 du secteur tertiaire et rĆ©sidentiel seraient dues Ć  la climatisation.

(zeevveez / CC BY 2.0)
DeuxiĆØme problĆØme de cette technologie, elle peut Ć©mettre directement des gaz Ć  effet de serre, au-delĆ  des consĆ©quences indirectes de sa demande en Ć©nergie. Pour refroidir l’air, les climatiseurs utilisent des fluides rĆ©frigĆ©rants, les hydrofluorocarbures (HFC), censĆ©s ĆŖtre contenus dans l’appareil mais qui fuient rĆ©guliĆØrement, lors de leur fabrication ou en cas de dĆ©faillance au cours de leur vie. Or, ces gaz libĆ©rĆ©s dans l’atmosphĆØre ont un potentiel rĆ©chauffant 1 000 Ć  9 000 fois supĆ©rieur au CO2
ƀ tel point que Paul Hawken, dans son ouvrage Drawdown, Comment inverser le cours du rĆ©chauffement climatique (Actes Sud, 2018) fait de leur Ć©limination la plus efficace des 80 solutions proposĆ©es pour lutter contre le changement climatique. D’aprĆØs les experts mobilisĆ©s pour la rĆ©daction de l’ouvrage, rĆ©cupĆ©rer 87 % des rĆ©frigĆ©rants susceptibles de fuir permettrait d’Ć©viter l’Ć©quivalent de l’Ć©mission de 89,7 gigatonnes de CO2.
TroisiĆØme effet pervers : mĆ©caniquement, refroidir l’air quelque part, c’est le rĆ©chauffer ailleurs. En rafraĆ®chissant nos intĆ©rieurs, les climatiseurs contribuent Ć  rendre nos rues encore plus invivables en pĆ©riode de canicule. Une Ć©tude du CNRS et de MĆ©tĆ©o France publiĆ©e en 2010 estimait ainsi que l’ensemble du parc des systĆØmes de refroidissement augmentait la tempĆ©rature nocturne de Paris de 0,25°C Ć  1°C. ƀ Tokyo, oĆ¹ les climatiseurs sont particuliĆØrement nombreux, ceux-ci pourraient ĆŖtre responsables d’un surplus de 2°C dans l’air extĆ©rieur. 

Confort ou adaptation

L’influence des climatiseurs sur le rĆ©chauffement planĆ©taire risque elle-mĆŖme de s’emballer puisque la multiplication des fortes chaleurs favorise l’utilisation croissante de la clim. Aujourd’hui, ce sont surtout les Ɖtats-Unis et le Japon qui utilisent les climatiseurs, avec 90 % de foyers Ć©quipĆ©s, selon l’AIE, contre Ć  peine 8 % dans les pays les plus chauds du monde. Mais la demande explose, notamment en Chine, et l’on pourrait d’ici 2050 passer de 1,6 milliard Ć  5,6 milliards de climatiseurs installĆ©s dans le monde, estime encore l’AIE, ce qui nĆ©cessiterait de consommer jusqu’Ć  45 % de l’Ć©lectricitĆ© mondiale pour nous rafraĆ®chir.

Cette fuite en avant n’a heureusement encore rien d’inĆ©luctable, notamment en France oĆ¹ Ć  peine 3,5 % Ć  4,5 % des particuliers sont Ć©quipĆ©s d’un climatiseur, selon l’Ademe. Certes, le rĆ©chauffement climatique est dĆ©jĆ  en partie inexorableet il faudra quoi qu’il arrive trouver des solutions pour empĆŖcher les citadins de cuire sur place. L’Ć©ventail de solutions envisagĆ©es offre cependant une reprĆ©sentation intĆ©ressante du clivage qui traverse plus gĆ©nĆ©ralement les approches face Ć  la crise climatique. Un clivage entre solutionnisme techologique et low tech, ou entre le maintien d’un confort qui serait non nĆ©gociable et le plaidoyer pour un nĆ©cessaire effort d’adaptation.

©Shutterstock
D’un cĆ“tĆ©, on espĆØre amĆ©liorer par l’innovation les climatiseurs et limiter ainsi leur impact sur le climat sans brider les dĆ©sirs d’intĆ©rieur maintenus Ć  23°C en pleine canicule. Ainsi l’AIE recommande-t-elle d’agir sur l’efficacitĆ© Ć©nergĆ©tique des appareils. Cela permettrait, relayent Les Ɖchos, de rĆ©duire d’ici 2050 leur demande en Ć©nergie de moitiĆ©, Ć  3 400 TWh au lieu de 6 200 TWh (Ć  comparer aux 550 TWh d’Ć©lectricitĆ© produits aujourd’hui chaque annĆ©e en France). Encore plus ambitieux : les climatiseurs pourraient capter du CO2 au lieu d’en Ć©mettre. C’est une innovation technologique proposĆ©e en avril par des chercheurs dans Nature Communication et relayĆ©e par Wired. Le journal prĆ©cise tout de mĆŖme que l’idĆ©e thĆ©orique fait face Ć  de nombreux dĆ©fis avant de pouvoir se concrĆ©tiser.

De l’autre, on rappelle que des solutions simples et connues permettent dĆ©jĆ  de faire face Ć  la canicule. Pour lutter contre les Ć®lots de chaleur urbains – il fait jusqu’Ć  8°C de plus la nuit Ć  Paris que dans les zones les plus fraĆ®che de la rĆ©gion environnante – un rapport sĆ©natorial dont nous vous parlions en juin prĆ©conise de vĆ©gĆ©taliser les villes, recourir Ć  des « techniques de production de froid durable » comme la gĆ©othermie et… d’Ć©viter la prolifĆ©ration des climatiseurs. Et la vĆ©gĆ©talisation produit des effets impressionnants : deux faƧades vĆ©gĆ©talisĆ©es baisseraient jusque de 3°C la tempĆ©rature ressentie quand deux rangĆ©es d’arbres la feraient descendre de 10°C. « Un arbre apporte autant de fraĆ®cheur que 5 climatiseurs et Ƨa ne consomme rien », plaidait sur RMC l’an dernier Fabrice Boissier, directeur gĆ©nĆ©ral de l’Ademe.

Une architecture et un urbanisme pensĆ©s de faƧon plus rĆ©siliente face aux canicules, avec moins de surfaces vitrĆ©es orientĆ©es plein sud, l’isolation des bĆ¢timents ou d'autres alternatives aux climatiseurs ont Ć©galement leur rĆ“le Ć  jouer. « Ć€ Paris, un rĆ©seau de refroidissement urbain remplace la climatisation dans de nombreux bureaux, magasins et hĆ“tels, ainsi que dans des bĆ¢timents emblĆ©matiques comme le Louvre, en pompant de l’eau froide de la ville », souligne Inger Andersen, directrice exĆ©cutive du programme des Nations unies pour l’environnement dans une tribune Ć  LibĆ©ration. 

Ɖloge de la simplicitĆ©

Ces deux visions, foi dans l’innovation Ć  venir ou repli sur des pratiques low tech dĆ©jĆ  disponibles, peuvent s’avĆ©rer antagonistes, comme nous l’expliquait en mai dernier Philippe Bihouix, auteur de L’Ć¢ge des low tech (Seuil, 2014) et de Le bonheur Ć©tait pour demain, rĆŖveries d’un ingĆ©nieur solitaire (Seuil, 2019). « On a tendance Ć  enrichir la complexitĆ© du monde aujourd'hui, alors que plus on va vers le simple, plus c’est rĆ©silient et efficace », assure-t-il, avant de dĆ©plorer que nous glorifiions en permanence les innovations technologiques, tout en dĆ©laissant les innovations Ć©conomiques, politiques, sociales ou culturelles. Revenir Ć  la bouteille consignĆ©e est peut-ĆŖtre moins prestigieux que d’inventer de nouveaux plastiques recyclables ou des technologies pour le transformer en Ć©nergie, mais sans doute plus efficace et rapidement applicable…

Le mĆŖme clivage semble se retrouver chez les militants Ć©colos eux-mĆŖmes. Un collectif de chercheurs en sciences sociales a enquĆŖtĆ© parmi les manifestants de la marche pour le climat d’octobre 2018, explique Reporterre. Alors mĆŖme que les manifestants pensaient de faƧon assez homogĆØne (82 %) qu’il fallait « sortir du capitalisme pour rĆ©soudre la crise Ć©cologique », les personnes interrogĆ©es Ć©taient beaucoup plus partagĆ©es face Ć  l’affirmation : « Le dĆ©veloppement des technologies actuelles et futures permettra de rĆ©soudre la crise Ć©cologique ». 40 % se dĆ©claraient d’accord et 42 % en dĆ©saccord.

Un immeuble Ć  Hong Kong. ©Shutterstock
MĆŖler ces deux visions, ou plus exactement faire appel Ć  toutes les pistes possibles face Ć  l’urgence tout en Ć©vitant la foi en une solution miracle, apporte peut-ĆŖtre une piste de rĆ©ponse plus complĆØte. Face aux climatiseurs capteurs de CO2 proposĆ©s par les chercheurs dans Nature Communications, Selma L’Orange Seigo, chercheuse en sciences sociales et environnementales, disait Ć  Wired : « Je ne crois pas que ce serait mal d’un point de vue Ć©thique de poursuivre ce genre de solutions. Mais ce serait Ć©thiquement mal de ne poursuivre que celles-ci ». 

L’astrophysicien et militant Ć©cologique AurĆ©lien Barrau appelait pour sa part sur France Culture le 23 juillet Ć  « un activisme fractal, c’est-Ć -dire Ć  toutes les Ć©chelles (…) Il y a l’Ć©chelle politique, il y a l’Ć©chelle associative, il y a l’Ć©chelle individuelle, il y a l’Ć©chelle philosophique, il y a l’Ć©chelle sĆ©mantique, il y a l’Ć©chelle scientifique naturellement. Parce que mĆŖme si je dĆ©nie Ć  la technoscience la capacitĆ© Ć  trouver une solution finale ou une solution correcte au problĆØme, bien sĆ»r qu’elle peut promettre des progrĆØs Ć  la marge et qu’il ne faut pas les refuser ».

Alors que la France en est dĆ©jĆ  Ć  sa deuxiĆØme canicule de l’Ć©tĆ© 2019, retenons cette leƧon fractale pour les vagues de chaleur qui ne manqueront pas de suivre : nous pourrions rĆ©duire l’impact des climatiseurs pour les dĆ©ployer dans les hĆ“pitaux, les maisons de retraite et lorsque leur utilitĆ© est indiscutable, et appliquer les autres conseils de l’Ademe pour refroidir nos intĆ©rieurs, vĆ©gĆ©taliser les villes et repenser l’urbanisme avant d’atteindre les niveaux amĆ©ricains et japonais d’Ć©quipement de climatisation. Apprendre collectivement Ć  vivre avec quelques degrĆ©s de plus et se satisfaire d’ĆŖtre rafraĆ®chis par des arbres plutĆ“t que des start-up pourrait ainsi contribuer Ć  dĆ©finir ce que le philosophe Pascal Chabot nomme le « progrĆØs subtil », pour le XXIe siĆØcle.


Source : usbeketrica.com

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