Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes
Dans cette enquête fouillée, Elise Lucet et l’équipe de « Cash Investigation » révèlent pourquoi en 50 ans, nos tomates ont perdu la moitié de leurs vitamines. Plongée dans le monde de la semence industrielle mondialisée et de ceux qui lui résistent.
Elle est bien ronde, bien rouge, bien lisse et sans
défaut. Elle doit même résister aux crash-tests pour être adoubée par la grande
distribution qui en inonde le marché sous les marques Savéol, Prince de
Bretagne ou autre Océane - aucun de leurs représentants n’a d’ailleurs accepté
de répondre aux questions des journalistes - et ne pourrit qu’au bout de
plusieurs semaines alors que sa grande sœur, la « paysanne », ne
tient pas plus de trois jours sur la table de la cuisine sans se flétrir. Elle
pousse hors sol dans des serres chauffées et n’a souvent jamais vu le soleil
directement. C’est la plus grosse vente des rayons primeurs en France bien
avant les haricots verts. On la connaît tous, cette tomate insipide vendue été
comme hiver dans les rayons des hypermarchés ou sur l’étal des primeurs. Ce
qu’on sait moins, c’est qu’en quelques décennies, elle a perdu sa saveur mais
aussi, 60 % de sa teneur en vitamine C et la moitié de son taux de
lycopène, ce caroténoïde réputé pour son pouvoir antioxydant.
« Le sujet OGM a éclipsé celui des semences
hybrides »
Comment est-on passé de la tomate goûteuse et
nutritive qu’on cueillait gorgée de soleil dans le potager de nos
grands-parents à cet ersatz farineux et sans goût ? « Depuis
vingt ans, on s’est focalisé sur les OGM, or, tout ce qu’on trouve dans nos
assiettes est issu de semences hybrides. On enquête sur les légumes, les
pesticides, éventuellement les méthodes de culture mais on se pose rarement la
question de la semence. Ce sujet est resté totalement sous le radar. Il nous a
donc semblé très intéressant de faire émerger cette problématique » remarquait
Linda Bendali, le jour de la présentation du film à la presse. Avant le fruit
ou le légume, il y a la graine. Pendant un an, la journaliste a mené pour
« Cash Investigation » une longue enquête sur le travail des
semenciers. Du désert du Neguev aux serres high-tech du Centre technique
interprofessionnel des fruits et des légumes (CTIFL) à Carquefou en Bretagne,
en passant par les fermes de l’état indien du Karnataka, elle a questionné les
acteurs de cette industrie discrète qui obéit au même business model mondialisé
que celle des produits manufacturés.
Tomate « longue durée »
Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes
Aujourd’hui, 98 % des variétés de tomates mises sur le marché sont issues de semences hybrides. Ce ne sont pas des OGM : on ne modifie pas les gènes, on les croise. On croise par exemple, une variété de tomates à la belle couleur vermillon avec une autre dont la chair est plus résistante, pour donner in fine, une tomate calibrée et standardisée. Une tomate industrielle, longue durée, capable de résister au transport et dont la durée de vie commerciale est passée en quelques dizaines d’années de trois jours à trois semaines. En France, toutes les semences hybrides, fruits de multiples croisements, sont inscrites au « Catalogue Officiel français des espèces et variétés de plantes cultivées » qui seul, autorise la vente et dont certaines sont la propriété des géants mondiaux de l’industrie phytosanitaire (Bayer-Monsanto, Syngenta, DowDuPont ou Limagrain), également producteurs de pesticides pour la plupart d’entre eux.
Limagrain à la peine
Avant d’être revendues en Europe et notamment en
France, les semences du français Limagrain, numéro deux mondial de la graine de
tomate auquel « Cash Investigation » s’est particulièrement
intéressé, sont développées en Israël et produites en Inde. Basée dans le
Puy-de-Dôme, la société réalise un chiffre d’affaires de 2,5 milliards
d’euros avec des marques familières du grand public comme Vilmorin ou Jacquet
(les pains de mie).
Il aura fallu à l’équipe de « Cash Investigation » pas moins de quatre mois de discussions intenses pour convaincre la direction de Limagrain d’accepter de parler face à la caméra. Selon la réalisatrice, l’entreprise auvergnate qui fait vivre un gros réseau d’agriculteurs locaux, plus rompue à la communication avec la presse locale qu’à l’exercice télévisé, a, une fois son accord donné, demandé quatre semaines de délai afin de préparer l’entretien. Quelle surprise alors pour le téléspectateur d’entendre Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales, se défausser à plusieurs reprises d’un « je m’inscris en faux » peu convaincant face aux questions ou aux affirmations étayées d’Elise Lucet ! Notamment, au sujet du travail des enfants dans les fermes sous-traitantes de Limagrain en Inde ou sur la vente de « semences réservées » aux agriculteurs français non inscrites au catalogue.
Il aura fallu à l’équipe de « Cash Investigation » pas moins de quatre mois de discussions intenses pour convaincre la direction de Limagrain d’accepter de parler face à la caméra. Selon la réalisatrice, l’entreprise auvergnate qui fait vivre un gros réseau d’agriculteurs locaux, plus rompue à la communication avec la presse locale qu’à l’exercice télévisé, a, une fois son accord donné, demandé quatre semaines de délai afin de préparer l’entretien. Quelle surprise alors pour le téléspectateur d’entendre Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales, se défausser à plusieurs reprises d’un « je m’inscris en faux » peu convaincant face aux questions ou aux affirmations étayées d’Elise Lucet ! Notamment, au sujet du travail des enfants dans les fermes sous-traitantes de Limagrain en Inde ou sur la vente de « semences réservées » aux agriculteurs français non inscrites au catalogue.
Tomates sous perfusion
Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes
Dans les serres bretonnes du CTIFL, l’agriculture se montre sous un jour high-tech futuriste et plutôt flippant. Interrogé in situ par Linda Bendali, Ludovic Guinard, directeur-général délégué, commente avec beaucoup de conviction le système complètement artificiel utilisé sur place : les plants de tomates poussent sur de la laine de roche neutre et sont alimentés par d’innombrables tuyaux qui les abreuvent en solution nutritive (azote, phosphore, calcium, magnésium…). C’est tellement mieux que la pleine terre, nous dit en substance Ludovic Guinard, puisqu’on maîtrise totalement le sol et que les pesticides sont de fait, superflus. Des plans de tomates sous perfusion dans une serre-hôpital qui produisent rapidement et presque toute l’année, de fin mars à mi-novembre, qui dit mieux ? « Le standard n’effraie plus les gens, ça rassure les consommateurs » assène Ludovic Guinard avec certitude. A l’heure du bio et de la prise de conscience écolo, pas si sûr que les Français soient d’accord pour croquer dans des tomates nourries par intraveineuse. Que reste-t-il du « vivant » dans ce dispositif ?
Les semences paysannes résistent
L’enquête de « Cash Investigation » donne
également la parole à ceux qui ne s’inscrivent pas dans ce modèle industriel
pour exister. Ceux qui alertent sur la perte de l’agro-biodiversité et sur les
conséquences du travail multiple effectué par les semenciers sur le vivant en
termes de santé des consommateurs. Dans le village mondial de la rentabilité et
du profit, certains résistent à leur échelle. Comme Jean-Luc Brault,
agriculteur « repenti du hors-sol » qui cultive aujourd’hui ses
tomates en pleine terre où grouillent vers et micro-organismes qui contribuent
à la qualité gustative et nutritive des fruits. Ou Olivier Roellinger, le
célèbre chef de Cancale qui n’utilise pour son potager que des semences
paysannes, hors catalogue officiel. Ou encore, Ananda Guillet, directeur de
Kokopelli. Créée en 1999, l’association dénonce radicalement les principes
du système semencier industriel qu’elle juge mortifère pour l’agriculture et la
santé humaine. En commercialisant et distribuant des semences libres de droits
en toute illégalité et en clamant le droit de semer librement sans restriction,
l’association s’est retrouvée depuis quinze ans sous le feu des procès intentés
par les multinationales qui se revendiquent propriétaire d’un bien commun que
la nature a donné à tous.
Arrêter d’acheter des tomates en hiver et attendre
patiemment la belle saison pour retrouver le goût savoureux du fruit… c’est
aussi aux consommateurs de résister. Après le visionnage de ce « Cash
Investigation », c’est sûr, personne ne regardera sa salade de tomates du
même œil.
Par Anne Sogno
www.nouvelobs.com
Mardi 18 juin à 21h sur France 2. « Cash
Investigation » présenté par Elise Lucet.
« Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes » Enquête réalisée par Linda Bendali. 2h20. (Disponible en replay sur france.tv)
« Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes » Enquête réalisée par Linda Bendali. 2h20. (Disponible en replay sur france.tv)
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