Une gigantesque plantation illégale de palmiers à huile rase la forêt des peuples autochtones et met en danger la faune et la flore déjà menacée dans le sud du Cameroun
La coupe
à blanc illégale des forêts ancestrales des peuples autochtones Bagyeli a
commencé dans une zone à forte concentration de biodiversité sur la côte
camerounaise. L’accaparement des terres pour les transformer en une plantation
de palmiers à huile grande comme plus de six fois Dakar est l’atteinte la plus
grave commise par l’agro-industrie aux droits des populations autochtones dans
la région depuis des années. [1] Une mise en terre des premiers plants a eu
lieu le 12 septembre.
L’entreprise
camerounaise, Cameroun Vert SA (Camvert) mène des activités dans une zone où
vivent 28 communautés locales. L’entreprise essaie de soudoyer les peuples
autochtones Bagyeli avec des cadeaux tels que des tomates en conserve, des sacs
de riz, du savon… Les villageois des communautés bantous, dont les terres sont
également menacées, se plaignent de la corruption systématique des chefs
traditionnels, d’un processus de consultation bidon et de la destruction des
récoltes par les éléphants chassés de la zone défrichée par les bulldozers de
Camvert.
« Le
projet de Camvert est un cas emblématique de ces projets truffés d’illégalités
et d’abus des droits autochtones qui exacerbent la crise climatique et liées à
la perte de la biodiversité lorsqu’ils voient le jour. Il met encore une fois
en lumière le mythe de la gestion durable des forêts ainsi que le problème
grandissant de la conversion des forêts – y compris les concessions forestières
certifiées “durables” par le Forest Stewardship Council – en plantations
agro-industrielles au Cameroun », [2] affirme le responsable de campagne de
Greenpeace Afrique au Cameroun, Ranèce Ndjeudja.
Le
Rapport d’Étude d’impact environnemental et social (EIES) de Camvert vante des
perspectives de sédentarisation des communautés Bagyeli semi-nomades: « La
méthode de Haute Intensité de Main d’oeuvre (HIMO) permettra de résoudre le
problème de la main d’œuvre non qualifiée, notamment les pygmées des hameaux
riverains ». [3]
Le projet
de Camvert viole la loi camerounaise et les normes internationales. En novembre
dernier, le Premier ministre Joseph Dion
Ngute a illégalement retiré la zone de Camvert du domaine forestier «
permanent ». Pourtant, aucune des deux conditions juridiques préalables à un
tel déclassement n’étaient remplies. [4] Le déclassement de cette zone
représente également une atteinte aux droits des populations locales consacrés
dans la loi camerounaise. [5]
Le 9
avril, suite à ce déclassement, le ministre des Domaines, du Cadastre et des
Affaires foncières de l’État, Henri
Eyebe Ayissi, a approuvé le défrichage d’une zone initiale de 2 500
hectares sur les 60 000 hectares que Camvert cherche à « convertir » en
plantation – une superficie égale à plus de six fois Dakar. En violation des
exigences légales, l’acte du ministre autorisant Camvert à raser une partie de
la forêt est illégal. [6] Greenpeace Afrique et Green Development Advocates
(GDA) demandent que le ministre fasse immédiatement l’objet d’une enquête.
La zone
de Camvert borde le Parc National de Campo Ma’an, une zone cruciale pour la
biodiversité. Cependant, Le rapport d’EIES de 206 pages de la société ne
contient qu’une seule mention des chimpanzés, reflétant ainsi une parodie de
diligence raisonnée [7]. En plus des chimpanzés, le Parc National de Campo
Ma’an contient d’autres espèces menacées à l’instar du pangolin géant, de
l’éléphant d’Afrique, des gorilles, des buffles, des léopards, des mandrills et
une riche diversité de la flore.
La
compagnie Camvert appartient à Aboubakar al Fatih, un exploitant forestier
proche du parti au pouvoir. Une autre société contrôlée par al Fatih semble
avoir été associée aux plans, récemment suspendus, d’exploitation de la forêt
d’Ebo dans la région du Littoral. [8]
Les
opposants au projet de Camvert font déjà face à des intimidations. Certains
médias locaux les ont qualifiés d’« ennemis de la République » et de «
profanateurs » de la « politique des grandes opportunités du Président de la
République ». [9]
« Le projet
Camvert doit être purement et simplement stoppé et les autorités chargées du
contrôle de ce type d’activité sanctionnées. Ces dernières ont permis
l’implémentation d’un projet qui non seulement viole les dispositions
nationales et internationales pertinentes en la matière mais entrave aussi
l’accès des communautés à leurs besoins en produits forestiers non ligneux
(PFNL) alimentaires et médicinaux sur leur terre. Ce faisant, ces autorités
menacent le mode de vie des communautés forestières”» a relevé Aristide
Chacgom, Coordinateur de GDA.
Selon
Ranèce Ndjeudja de Greenpeace Afrique, « Au lieu de détruire la forêt, les
droits des autochtones Bagyeli et ceux des communautés bantous doivent être
reconnus, leurs voix pleinement entendues et la biodiversité protégée ». Cet
objectif ne peut être atteint que par la mise en œuvre d’un processus
d’aménagement du territoire inclusif et participatif. Dans le même temps, le
ministre des Domaines doit faire l’objet d’une enquête et les plans de Camvert
annulés ».
Notes:
[1] Sur
le déplacement des communautés Baka par Halcyon Agri, société singapourienne
financée par Deutsche Bank, pour faire place à une plantation d’hévéa riveraine
du village natal du Président Paul Biya et d’une Réserve de faune classée au
patrimoine mondial de l’UNESCO, voir Greenpeace, Ruinous Rubber, 2018, https://storage.googleapis.com/planet4-africa-stateless/2018/10/8f21a9bc-8f21a9bc-greenpeace-africa-sudcam-report-2018-1.pdf
[2] La
zone prévue pour la déforestation était précédemment une concession forestière
certifiée FSC, gérée par le partenaire local de la multinationale néerlandaise
WIJMA. Après avoir “durablement” épuisé les essences commercialement viables de
la zone, la compagnie – qui a réussi à conserver sa certification FSC plusieurs
mois après que sa concession dans la région du Sud-Ouest s’est trouvée au
centre de la guerre civile en 2017 – l’a vendue à Aboubakar al Fatih.
[3]
Camvert SARL, Etude d’Impact Environnemental et social, novembre 2019 https://drive.google.com/file/d/1StvTDH-20J_AmLgB6oeR-J4vEWvf1OO1/view?usp=sharing
[4] Aucun
décret déclarant l’utilité publique n’a été publié, et la version finale du
rapport d’EIES n’avait pas encore été validé. Green Development Advocates, Les
« petites illégalités » du processus de déclassement et de concession des 60
000 ha de forêt au profit d’une agro-industrie à Campo et Nyété, 2020 http://gdacameroon.org/download/320/&sa=D&ust=1599735995309000&usg=AFQjCNFKeKG61iQgFvqJYsZQF0BxdCZ6vQ;
Voir article 9 (1 et 2) du décret de 1995 portant modalités d’application du
régime des forêts
[5] Ibid.
Et article 9 (3) du décret de 1995 portant modalités d’application du régime des
forêts
[6] Ibid.
– En l’absence de décret Présidentiel concédant les terres à Camvert, ou d’une
dérogation Présidentielle spéciale. Un décret présidentiel où une dérogation
spéciale du Président de la République concédant la terre à Camvert n’a pas été
produit
[7]
Camvert SARL, Etude d’Impact Environnemental et social, janvier 2020 https://drive.google.com/file/d/14TfDap2jNHacmVQjluAhUIXerlrMZAo8/view?usp=sharing
[8]
Greenpeace, Le gouvernement camerounais vient de décider de massacrer la forêt
d’Ebo, 23 juillet 2020, https://www.greenpeace.org/africa/fr/communiques-de-presse/11706/greenpeace-afrique-le-gouvernement-camerounais-vient-de-decider-de-massacrer-la-foret-debo/
[9]
Actu-Plus, Projet Agro-industriel de Plantation et Transformation du palmier à
huile à Campo et Niété: Voici les vérités cachées des accords Camvert-Collectif
des ONGs de la réserve Campo-Ma’an, 9 mai 2020,
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