Quand la bioéconomie met la forêt sous pression
Planter des arbres pour séquestrer le carbone et régler le problème du dérèglement climatique : une solution facile, quasiment miraculeuse, de plus en plus souvent mise en avant par des acteurs économiques. Néanmoins, une solution discutable en termes de bilan carbone mais également en pratique, tant la forêt est à la peine à l’échelle planétaire. Une forêt détruite à l’autre bout du monde, notamment en Amazonie, pour gagner des terres agricoles, ce qui provoque un émoi légitime. Mais des forêts qui semblent également mal gérées plus près de chez nous, loin des principes du développement durable, comme nous l’indique une récente étude publiée par une instance de recherche de l’Union européenne. Une surexploitation inquiétante ces dernières années, qui nous éloignerait des objectifs à atteindre en termes de neutralité carbone ou de lutte contre l’effondrement de la biodiversité. A moins d’inverser la tendance.
Une surexploitation liée à l’essor des usages du bois
Dans
un article publié par Nature le 1er juillet, des chercheurs du European
Commission Joint Research Centre dressent un constat accablant de l’état de
dégradation des forêts européennes, qui représentent aujourd’hui environ 38 %
de la surface totale des terres de l’Union. En effet, la demande croissante de
produits forestiers, stimulée par la bioéconomie, pose des défis pour la
gestion durable des forêts. L’analyse de données satellitaires montre ainsi une
augmentation de la surface de forêts prélevée en Europe de près de 49 % de
2016 à 2018 par rapport à la période 2011-2015, associée à une augmentation de
la perte de biomasse de l’ordre de 69 %. Une dégradation qui touche plus
particulièrement la péninsule ibérique et les pays scandinaves. L'imagerie
satellitaire révèle en outre que la taille moyenne des parcelles exploitées a
augmenté de 34 %, ce qui peut avoir des effets directs sur la
biodiversité, l'érosion des sols et la régulation des eaux.
L'augmentation des prélèvements forestiers est le résultat de
la récente expansion des marchés du bois, soulignée par la croissance des
indicateurs économétriques disponibles pour les secteurs de la sylviculture, de
la bioénergie à base de bois et du commerce international. Si ce taux élevé de
récolte forestière se poursuit, l’objectif européen d’atténuation du changement
climatique par la forêt ne pourrait être atteint. Et les pertes supplémentaires
de carbone dues à cette surexploitation nécessiteraient de plus fortes
réductions d'émissions dans d'autres secteurs afin d'atteindre la neutralité
carbone en 2050.
Des usages à arbitrer
Notre forêt européenne semble donc mal exploitée alors que le
développement des usages du bois, pour l’énergie ou les matériaux, constitue un
élément-clé des politiques énergétiques en faveur du développement de la
bioéconomie. La stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui fixe le cap pour
atteindre la neutralité carbone en 2050, prévoit en effet une hausse de
72 % des prélèvements en bois, en passant de 48 millions de mètres
cube prélevés en 2015 à 83 millions de mètres cube en 2050. Une
intensification dans l’exploitation des forêts qui pose la question de la
durabilité de telles pratiques, notamment quant à leurs effets sur la
préservation de la biodiversité. Se pose de fait la question des arbitrages à
réaliser pour combiner neutralité carbone, préservation des services
écosystémiques rendus par la forêt, fourniture de bois-énergie et de bois-matériau
en quantités suffisantes pour répondre aux demandes des consommateurs. Sans
oublier la compétition avec les terres agricoles, la reforestation de terres
productrices d’aliments pouvant poser des difficultés majeures en termes de
sécurité alimentaire.
Un choix éminemment politique se pose donc, que la science
doit éclairer, et qui impliquera des arbitrages clairs entre usages. Les effets
sur les entreprises des filières bois pourraient être majeurs. Et les
conséquences de ces choix impacteraient également la vie des consommateurs. Un
beau sujet de concertation en perspective…
AGM
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