Mauritanie : Tichitt, le joyau classé au Patrimoine mondial de l'Unesco sombre dans l'oubli
Tichitt |
Classée
au Patrimoine mondiale de l'Unesco depuis 1986, la ville de Tichitt, située en
plein désert mauritanien, est en train de sombrer dans l'oubli en raison de son
isolement.
Il y a
bien ces poteaux rouges et blancs, posés sur les dunes, qui bornent un semblant
de chemin. Il y a aussi ces rares traces de pneus qui disparaissent sous les
bourrasques de sable. Mais rien de plus pour baliser la seule piste de 200 km
qui, depuis Tijikja, relie le monde à Tichitt, ville classée au patrimoine
mondial de l'Unesco perdue dans le désert du centre de la Mauritanie.
Les
véhicules sont rares sur cet axe. "Il arrive qu'on passe un mois sans
qu'aucune voiture ne vienne", dit Chérif Mokhtar Mbaka, professeur
d'anglais au lycée communal. Plantée en haut d'une petite colline au milieu
d'un désert de roches noires, Tichitt la vieille est faite de maisons de pierre
grise à l'architecture unique en son genre et de rues de sable.
Tichitt,
2.470 âmes au recensement de 2016, est en train de sombrer. Ses habitants
regardent vers le passé en se demandant ce qui a pu arriver. Durant huit
siècles, entre le XIe et le XIXe, la ville a été l'un des principaux carrefours du Sahara. Les caravanes chamelières venues du Maroc s'y
arrêtaient quelques jours avant de continuer leur route vers Tombouctou et la boucle du fleuve Niger. "Le
déclin a commencé quand le commerce s'est mis à préférer les routes maritimes
plutôt que terrestres", au XVIIe siècle, explique Chérif Mokhtar Mbaka.
"Aujourd'hui, c'est fini, et les populations font face à de nombreux
problèmes." Fini le temps du négoce. Un seul camion désormais rallie la
ville chaque mois, qui approvisionne les commerçants locaux en riz, en mil ou
en pâtes, et repart chargé de sel de la sebkha, le bassin salant proche
toujours exploité.
Tichitt fut pendant des siècles un foyer de culture islamique
Fini
aussi le temps du Paris-Dakar,
le rallye automobile qui faisait étape à Tichitt et y amenait une autre
caravane, faite de sportifs, de journalistes et de touristes. "La vieille
piste d'atterrissage délimitée par les Français sous la colonie avait été
réaménagée pour le rallye, il y avait des dizaines de petits avions qui
venaient", se souvient Mohamed Teya, un notable. La course a été
délocalisée en 2009 en Amérique du Sud en raison de la dégradation sécuritaire
et des agissements jihadistes au Sahara. La piste a disparu.
Fini,
enfin, le temps de la pensée. Tichitt fut pendant des siècles un foyer de
culture islamique. De cette époque subsistent les bâtiments classés entretenus
avec attention par l'Unesco et
le gouvernement --qui imposent que les nouvelles constructions en gardent le
style, --et de vieux manuscrits aux pages jaunies et à l'écriture appliquée.
Ceux-là s'empilent chez tout un chacun et attendent que la poussière, le vent et le temps ne prennent le dessus. Un club de sauvegarde a bien été lancé
il y a une vingtaine d'années par le directeur du lycée local Mouhamedou
Ahmadou et une maison dédiée conserve depuis de vieux recueils. Mais il n'y a
pas de moyens pour les préserver.
"Ces
manuscrits sont comme les vieillards et les enfants: ils sont fragiles",
explique M. Ahmadou. Des villes comme Tombouctou au Mali, réputée pour ses
écrits, bénéficient de financements étrangers, "parfois même de salles
pour maintenir à bonne température les manuscrits", compare-t-il.
"Regardez-ici! on est au coeur du désert et il fait chaud!" Quand il
tire des étagères des ouvrages écrits pour la plupart lors des conquêtes arabes des VIIe et VIIIe siècle, tout le monde tousse et la poussière
s'envole dans les rayons du soleil qui percent les fenêtres.
Quelques touristes passent encore
"Tichitt
est oubliée", dit laconiquement son maire, Hamadou Lah Medou, 38 ans. Son
isolement y rend la vie plus chère et, en cas de coup dur, les habitants ont du
mal à aller se faire soigner à Tijikja, la capitale régionale. "Il faut
une route", explique-t-il. Tichitt a bien un hôpital qui dispense les
premiers soins et même une ambulance, "l'une des six voitures de
Tichitt", sourit Mohamed Teya, le notable. Mais la station service - deux
pompes et un panneau plantés dans le sable - est souvent vide. Comme les
étagères des épiceries à moitié garnies.
Quelques
touristes passent encore - beaucoup moins après que la région a été fortement
déconseillée aux voyageurs par la France jusqu'en 2019. Mais les ruelles sont
la plupart du temps désertes. A part des enfants qui jouent en courant, de plus
âgés qui boivent le thé en devisant. Il n'y a plus rien à faire ici. Les jeunes
gens préfèrent quitter Tichitt. Il n'y a "pas de travail, pas
d'opportunités", soupire Gildou Muhamedou Babui, 34 ans. Le jeune homme,
vêtu d'un boubou maure bleu ciel, a tenté de trouver du travail à Nouakchott et
à Atar, ces grandes villes attirantes. Mais rien non plus là-bas. Il est revenu
et tient aujourd'hui la comptabilité de la mairie après avoir enchaîné les
petits boulots. "Qu'est ce qu'on peut faire?" Certains, raconte-t-il,
travaillent à la palmeraie. D'autres s'activent à la Sebkha où ils découpent le
sel, avant d'en charger des centaines de kilos sur des dromadaires, le tout
pressés par leurs propriétaires qui ne veulent pas trainer. "Mais c'est
tout."
AGM
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