Elevage: Les importations de lait en poudre menacent la production locale
La grande diversité de produits
laitiers ouest-africains constitue une richesse culturelle qui est aujourd’hui
menacée. En cause : l’urbanisation croissante, le faible soutien des pouvoirs
publics aux filières locales et surtout la concurrence internationale avec de
la poudre de lait importée et bon marché. La reconnaissance de ce patrimoine
culinaire passe par une meilleure caractérisation des produits, des techniques
et des savoir-faire.
Le lait est au cœur de la tradition
africaine. C’est un aliment noble, marqueur des sociétés pastorales. Il est
consommé sous forme de lait frais, de lait caillé, de crème de beurre, d’huile
de beurre, de boissons lactées, de fromages, de bouillies ou de couscous...
Cette diversité des produits représente un véritable patrimoine qui contribue à
forger les identités locales.
Mais cette richesse culturelle n’est
pas figée. Elle évolue sous l’effet de plusieurs facteurs comme l’urbanisation,
et plus inquiétant, elle est même menacée par d’autres phénomènes tel le faible
soutien des pouvoirs publics aux filières de production locales et surtout la
concurrence internationale accrue.
De la poudre de lait ré-engraissée exportée en Afrique de l’Ouest
Depuis quelques années, le marché
ouest-africain est en forte hausse du fait de la croissance démographique. Il
est devenu particulièrement attractif pour les industries et les
multinationales laitières, si bien qu’aujourd’hui plusieurs grands groupes
européens sont installés dans la région. En revanche, ces groupes sont peu
impliqués dans le développement de la production laitière locale puisqu’ils
utilisent principalement du lait en poudre importée… d’Europe. Une conséquence
directe de la hausse de la demande mondiale en beurre et de la levée des quotas
laitiers imposés par l’Union européenne à ses producteurs jusqu’en mai 2015. La
fabrication du beurre laisse aux industriels européens de grandes quantités de
poudre de lait écrémé. Ce « sous-produit » est ré-engraissé avec des matières grasses végétales, bien souvent de l’huile de palme, puis vendu 30% moins
cher en Afrique de l’Ouest.
Une concurrence rude pour les producteurs laitiers ouest-africains
« Les
mélanges de lait en poudre enrichis en matière grasse végétale concurrencent le
lait local, explique
Guillaume Duteurtre. Ils sont commercialisés sous l’appellation de
"lait en poudre", alors qu’il ne s’agit pas d’un produit laitier au
sens strict, et les consommateurs et les transformateurs l’utilisent de plus en
plus en raison de son prix. Dans le même temps, de nombreux produits
traditionnellement consommés dans les zones pastorales ne sont plus
commercialisés en ville. C’est le cas par exemple, des laits fermentés, des
beurres solides ou clarifiés et de certains fromages traditionnels. Il est
important que les acteurs de la filière s’organisent pour valoriser ce
patrimoine laitier et le défendre contre les importations de poudre. »
Soutenir la production laitière locale
Ces questions sont loin d’être
marginales en Afrique de l’Ouest où l’élevage représente une part importante de
l’économie. Au Mali, par exemple, 30 % de la population vit directement de
cette activité. Pour l'agro-économiste, « la
reconnaissance et la valorisation économique de ce patrimoine laitier passent
par une meilleure caractérisation des produits, des techniques et des
savoir-faire, sources de typicité et de compétitivité. En outre, une meilleure
intégration de l’élevage aux économies nationales pourrait constituer un levier
de développement puissant, notamment au Sahel, région pastorale par excellence. »
Bien qu’encore
timide, l’intérêt croissant pour la collecte de lait
local se manifeste par une volonté politique, comme l’illustre notamment l’offensive régionale « lait local » de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) lancée très prochainement.
La tradition laitière pourrait dynamiser le marché
La richesse de la tradition laitière
est une chance pour l’Afrique. Elle constitue un des ressorts de la vitalité
des marchés laitiers. Déjà, de nombreux industriels et des transformateurs
artisanaux mobilisent des noms locaux ou des savoir-faire laitiers typiquement
africains dans leurs gammes de produits. En Afrique comme ailleurs, les
cultures laitières sont en pleine mutation. Elles s’inscrivent dans une
nouvelle vision d’une modernité locale, où innovations et traditions se
complètent.
AGM
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