Quels seront les impacts pour le continent africain d’un réchauffement de 1,5 °C ?
Sur les cinquante dernières
années, on observe déjà un réchauffement d’environ 0,5 °C sur l’ensemble du
continent africain et une évolution des caractéristiques des événements
climatiques extrêmes. Par rapport à la période préindustrielle, le
réchauffement climatique anthropique a atteint 1,1 °C, soit entre 0,8 °C et 1,2
°C localement, et se poursuit au rythme de 0,2 °C par décennie. Si rien n’est
fait, il atteindra 1,5 °C entre 2030 et 2052. Mais ce changement climatique
n’est pas uniforme, même à l’échelle du continent africain. À l’ouest du Sahel
et surtout au Sénégal, avec le réchauffement, on s’attend à des épisodes de
sécheresse de plus en plus longs. Dans le Sahel central, la plupart des modèles
prédisent une augmentation des fortes précipitations avec des risques
d’inondation accrus en milieu urbain. Sur la côte sud de l’Afrique de l’Ouest,
les pluies diluviennes pourraient provoquer des glissements de terrain qui affecteront
les populations aux habitats précaires. En Afrique australe, les sécheresses
vont se multiplier avec des vagues de chaleur plus intenses et plus longues. En
Afrique du Nord, la plupart des modèles climatiques convergent vers une baisse
importante des précipitations. Ces impacts seront toutefois moins importants si
le réchauffement entraîne une hausse des températures de 1,5 °C que si elle
atteint 2 °C.
Quels sont les chantiers prioritaires pour l’atténuation et l’adaptation au réchauffement climatique ?
La plupart des
solutions proposées face au réchauffement, qui sont liées à l’eau, à
l’agriculture durable, ou encore aux énergies renouvelables, n’intègrent ni la
biodiversité, ni les écosystèmes et leurs services. La dégradation généralisée
des écosystèmes terrestres réduit leur potentiel à séquestrer du carbone et en
fait une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. Sur ce point,
l’Afrique a une carte à jouer. Localement, des initiatives vont dans le bon
sens avec des actions pour la protection des forêts naturelles, pour la
restauration des zones humides et la promotion des pratiques agricoles
durables. Mais les défis sont encore énormes. À l’échelle du continent, l’enjeu
est de renforcer l’accès à l’énergie tout en limitant le recours aux énergies
fossiles et d’augmenter les rendements agricoles pour assurer la sécurité
alimentaire à une population grandissante sans impacter négativement les sols
et la biodiversité.
Quels sont les obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de ces solutions d’adaptation et d’atténuation en Afrique ?
Il y a un problème de disponibilité des ressources
financières et d’accès aux fonds verts en Afrique. Les projets sont très
compliqués à monter : il faut accompagner les États pour qu’ils puissent
mobiliser plus de financements. Ensuite, les dispositifs de suivi, évaluation,
notification et vérification des projets sont difficiles à élaborer et à
conduire. Sur le long terme, cela devient un frein pour la mobilisation de
ressources complémentaires. Pour résoudre ce problème, le cadre législatif
réglementaire doit être plus adapté au contexte local de chaque pays. Il faut
également augmenter la valeur du dioxyde de carbone, surtout lorsqu’il est
séquestré par une communauté ou un pays vulnérable, et augmenter en conséquence
les financements des projets de réduction des émissions de gaz à effet de
serre. Enfin, il y a un besoin important d’expertise compétente sur les
contextes locaux. Pour de nombreux projets financés pour l’introduction
d’énergies renouvelables, la durabilité n’est pas assurée. À titre d’exemple,
la grande initiative « Desert to Power » de la Banque africaine de
développement, qui vise à renforcer l’électrification dans toute la bande
sahélienne, mobilisera énormément de financements sans forcément prendre en
compte tous les paramètres de sa mise en œuvre. Il y a dans cette région
beaucoup de poussières désertiques et une grande quantité d’eau va être
nécessaire pour laver les panneaux solaires. Or, l’eau manque ou va manquer.
Dans certains villages, les habitants en viennent à réutiliser du diesel car
c’est la garantie d’avoir du courant tout le temps. Importer des technologies
ne suffit donc pas, mener une réflexion sur la durabilité des solutions
proposées dans un contexte africain est indispensable, pour l’État qui
s’endette, pour les populations qui vont les utiliser et pour les bailleurs de
fonds qui financent !
Avez-vous des exemples d’initiatives vertueuses en matière d’atténuation et d’adaptation ?
Contrairement aux actions
d’adaptation qui ont des effets à courte et moyenne échéances, les actions
d’atténuation ne sont visibles que sur le long terme. Elles mobilisent peu. Une
solution est de cibler des actions à la fois bénéfiques pour l’atténuation et
l’adaptation, et surtout des actions économiquement rentables. Par exemple, les
voitures et les motos d’occasion qui envahissent le marché africain polluent
abondamment. Cela impacte le climat régional mais aussi la santé des
populations, et le coût est énorme. Financer une politique de gestion de la
qualité de l’air contribuera à la fois à atténuer les émissions de gaz à effet
de serre, à améliorer le bien-être des populations et à réduire la facture de
santé publique de l’État. De même, pour réduire l’usage du charbon de bois et
la déforestation, il est important de maintenir les politiques de subvention du
gaz butane et de veiller à ce que cela profite aux ménages en milieu rural.
Dans le même temps, il faut identifier des activités génératrices de revenus
autres que la coupe de bois.
Le rapport du GIEC montre les nombreuses synergies, mais aussi les points de tensions qui existent entre l’atteinte des ODD et le maintien du réchauffement climatique sous la barre des 1,5 °C. Quel est votre avis sur la question ?
Dans la
déclaration de l’Agenda 2030, il est écrit : « Les changements climatiques
représentent l’un des plus grands défis de notre temps et leurs incidences
risquent d’empêcher certains pays de parvenir au développement durable. » En
Afrique, plus que partout ailleurs, créer des synergies entre actions
climatiques et développement durable est nécessaire. Le changement climatique
pourrait compromettre le développement des pays africains qui ont de faibles
capacités d’adaptation. L’ODD 13 sur la lutte contre le changement climatique
exprime ce lien intrinsèque, mais manque de contraintes. Il ne fixe pas de
seuil de température, ni d’années pour le pic des émissions, ni d’objectif chiffré
en termes d’atténuation. Sur le plan opérationnel, on risque d’avoir beaucoup
de déclarations sans réelle ambition de rester sous le seuil de 2 °C de
réchauffement moyen. L’atteinte de l’ODD 6 pour une eau propre et accessible à
tous risque d’être mise en péril par l’augmentation des investissements dans
des secteurs qui prélèvent de l’eau pour d’autres usages, comme l’irrigation
(par les agrobusiness de plus en plus nombreux), les mines et l’énergie
hydraulique. Ce sont des choix de développement qui vont parfois à l’encontre
de l’Agenda 2030, créant de fortes inégalités.
À quelles conditions le continent africain peut-il devenir un laboratoire du changement face au réchauffement climatique ?
Il faut investir dans l’éducation au respect de l’environnement
dès le plus jeune âge. Cela ne coûte pas cher et permettra à la jeune
génération africaine de se sentir impliquée dans la préservation de
l’environnement pour les générations futures. Pendant longtemps, il y a eu un
décalage entre les options de développement durable suggérées au niveau
international et les réalités locales africaines. Les consensus vont vers des
solutions qui ne sont pas propres à l’Afrique. L’expertise et les savoirs
africains, qui émanent de recherches contextualisées, ne sont pas pleinement
intégrés dans ces rapports internationaux. C’est une perte pour la connaissance
scientifique universelle et un frein pour la promotion de solutions inclusives
africaines au niveau international. L’Afrique dispose pourtant d’une bonne
expertise. Il est temps de changer de paradigme pour proposer des solutions
pour l’Afrique, construites par des Africains. Pour cela, il faut d’abord
rapprocher le groupe de négociateurs africains et la communauté scientifique
africaine qui prend part aux rapports internationaux sur le climat, sur la
biodiversité, sur la dégradation des sols et sur la désertification. Tous
devraient travailler en synergie pour mieux prendre en compte les nouveaux
résultats de recherche, rendre visibles les préoccupations africaines et
évaluer des solutions contextualisées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire