Vagues de chaleur, sécheresse, maisons fissurées, la Lorraine est
confrontée au manque d'eau. La pluie manque. Depuis plusieurs années, tout le
monde assiste impuissant à ce changement inédit de climat.
Daniel Perrin est né à Fraimbois (Meurthe-et-Moselle). Ici on est
agriculteur de génération en génération. Paysan et fils de paysan. Une histoire
familiale. Alors les dettes, la terre, les bêtes et les emmerdes dans la
famille Perrin on les connaît. Mais depuis quelques années, Daniel Perrin, 65
ans a vu apparaître un phénomène nouveau : le manque d'eau.
Jusqu’à présent, une seule fois, Daniel et ses parents avaient connu un été
très chaud. C’était en 1976. L'historique première canicule. Les plus âgés en
parlent encore. "1976 avait été une année exceptionnelle. Mais il faut se souvenir qu'à l’automne, il s’était
mis à pleuvoir normalement et que tout était vite rentré dans l’ordre, dit
Daniel Perrin. Aujourd'hui, c'est différent. Les températures sont trop
élevées, et ne baissent pas. On ne peut rien maîtriser et on a plus de stock
d’eau." Et surtout : "Les animaux ne résistent pas à la chaleur. Mais
ils résistent au froid."
Aléa climatique
Alors que les températures frôlent les 40 degrés et parce que les vaches
demandent toujours autant de travail, Daniel Perrin, agriculteur depuis
quarante ans ne cache pas son inquiétude. Le moral est au plus bas même, s'il
tente de faire face.
C’est du désespoir, ce n’est plus de l’inquiétude
-Alain Perrin, agriculteur-
"On ne voit rien venir du côté du ciel et donc on est obligé de garder
les animaux dans les bâtiments pour les protéger de la chaleur". En plein
été. Il ne veut surtout pas parler de sécheresse mais d'aléa climatique. Et au
moment de notre rencontre, mi-septembre, Alain Perrin constate amèrement que
"l'on est parti vers l'automne donc ce sera fini pour tout le fourrage.
Pour nous paysans, les inondations et la chaleur, c’est super difficile."
"Je m’inquiète de savoir comment je vais pouvoir nourrir mes animaux
cet hiver. Je peux vous dire que pour un éleveur, comme pour tous les collègues
éleveurs, c’est un véritable stress. On aime nos bêtes. On a peur de ne pas
pouvoir les nourrir. C’est comme la peur du lendemain pour un père et une mère
de famille."
En agriculture, l'eau a toujours été une ressource indispensable. En 2019, la sécheresse a atteint un niveau inquiétant. Alors comment mieux anticiper les périodes de sécheresse ?
La pluie manque en Lorraine
"Le climat futur est celui que nous sommes en train de vivre. Avec de
fortes précipitations en automne et hiver et un arrêt des pluies en février. Un
printemps sec et un été très chaud et sec" dit Alain Dupuy, professeur
d'hydrologie à l’ENSEGID, joint par téléphone (l’école nationale supérieure en
environnement, géoressources et ingénierie du développement durable). "Les
pratiques agricoles vont devoir s’adapter à ce changement car il y a un
décalage dans le temps, comme en ce moment dans le sud de l'Espagne."
"Ici l’inquiétude que l'on a, c’est ça : tous ces trous où il n’y a
plus d’herbe. Et est-ce que l’herbe va repousser ? Ça c’est une véritable
inquiétude pour les années à venir."
Pendant cette dernière semaine du mois de septembre les campagnes souffrent. Il fait encore trop chaud, 26 degrés. Et tout le monde cherche la bonne équation.
Nous sommes passés d’un climat tempéré à un climat méditerranéen
-Alain Dupuy, hydrologue-
Lorsqu'il rentre de ses vacances en famille dans le Sud, en 2015,
Christophe Nicolas, dentiste, a vu apparaître quelques micro-fissures sur les
murs de sa maison dans la banlieue de Nancy, à Pulnoy (Meurthe-et-Moselle). Une
maison plutôt chic.
On entend craquer la nuit
Il a commencé à s'inquiéter. Pour lui pas de doutes : c’était la
conséquence des fortes chaleurs de l’été. Ils habitent à côté du Grémillon un
petit ruisseau qui déborde facilement en période orageuses. Et petit à petit,
le nombre de fissures s’est multiplié par deux, par trois, puis par quatre, par
cinq. "Les murs de la maison se lézardent. Les fenêtres et les portes ne
ferment plus, dit Christophe Nicolas. Dans l’état actuel des choses la maison
est invendable." Dans le jardin, le sol est même craquelé par la
sécheresse.
Dans l’état actuel des choses la maison n’est pas vendable
-Christophe Nicolas, victime de la sécheresse-
"Là ici on voit clairement la fissure qui suit des agglos. Les
fissures de notre maison sont apparues de façon brutale en 2015 lors de
l’épisode de sécheresse. Certaines fissures se transmettent même à intérieur de
la maison. On a une perte d’étanchéité de la fenêtre et la porte fenêtre
coulissante ne marche plus. Ça m’inquiète en particulier par rapport à la
valeur de la maison. Dans l’état actuel des choses la maison n’est pas
vendable."
Leur maison a souffert en 2015, 2017 et surtout en 2018. Maintenant ils
demandent au tribunal de juger. L'état
de catastrophe naturelle n'est pas retenu. Une procédure avec leur avocat est à
l'étude. Une demande d’indemnisations est en cours. "Le problème c’est que
le sol ne tolère pas le manque d’eau. La roche se contracte puis se dilate,
trop brutalement avec les fortes inondations. On a toujours pensé qu'il n'y
avait pas de risque. Que l'on pouvait tout faire. Mais la nature dit stop. Nous
avons atteint le seuil de tolérance", analyse Alain Dupuy.
Une situation inédite
Car il le sait, Christophe Nicolas ne pourra pas dissimuler ses fissures.
Dans la cuisine, il ne peut plus fermer la porte. Au-dessus du frigidaire, un
trou de trois centimètres, comme un lézard. Et ainsi de suite : bombement des
murs, crevasses, des trous entre les différents éléments du bâtiment, défaut de
fermeture de la porte d’entrée, fissuration de l’enduit extérieur.
Les fissures sont apparues sur les murs de la maison de Christophe Nicolas
après l'épisode de la canicule de 2015. Photos : Yves Quéméner, France 3
Lorraine.
La famille Nicolas a acheté cette maison au début des années 2000 (190.000
euros). A l’époque il n’y avait pas de problèmes. "Depuis on a fait des
travaux d’agrandissement aujourd’hui elle est côtée 300.000 euros. Avant les
fissures."
"Là, ici on voit que l’ensemble de la terrasse s’est affaissé. On peut
même passer un doigt. On voit bien que
la couleur du joint était là. Et là on a cette différence d’au moins
deux centimètres. Cela prouve bien que le sol s’est affaissé à cet
endroit-là."
L’hydrologue Alain Dupuy, explique que "nos modes de consommation et de conservation de l'eau devront obligatoirement évoluer. On paye notre manque de bon sens."
"Le prix de l'eau va en faire un produit de luxe"
La nature va s’adapter au réchauffement climatique car, sur une année, on
ne peut pas dire que l'on manque d'eau. On reste dans la normalité. "Et
cette évolution du climat va rendre l'eau moins disponible. Donc plus chère.
Ce qui va directement réguler la consommation. Le prix de l'eau va en faire un produit de luxe. Il faut imaginer notre climat tempéré, celui que nous avons toujours connu. Et bien c'est fini car nous passons à un climat méditerranéen avec deux saisons principales et deux périodes : un été du 10 mars au 15 décembre et un hiver du 15 décembre au 10 mars."
Ce qui va directement réguler la consommation. Le prix de l'eau va en faire un produit de luxe. Il faut imaginer notre climat tempéré, celui que nous avons toujours connu. Et bien c'est fini car nous passons à un climat méditerranéen avec deux saisons principales et deux périodes : un été du 10 mars au 15 décembre et un hiver du 15 décembre au 10 mars."
Nos habitudes, vieilles déjà de deux siècles, vont devoir changer. Et
s'adapter. On n’aura plus le choix. Changer en même temps que le climat et la
nature. Car la France n’est toujours pas préparée au choc climatique qu’elle
subira d’ici à 2050.
A.G.M
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A.G.M
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