Analyse
L’agriculture synthétique à nos portes
À
l'heure où l’Amazonie brûle en partie à cause d'une déforestation volontaire
dans le but de produire davantage de cultures, on peut se demander si
l’agriculture moléculaire en laboratoire pourrait aider la planète.
Notre
été a été marqué par les annonces de grandes chaînes alimentaires qui ont
décidé de passer à des solutions de remplacement à base de protéines végétales.
Tim Hortons, Subway, pour n’en nommer que quelques-unes, ont cédé à la
tentation.
La
viande, en particulier le bœuf, constitue la cible de choix d’entreprises
telles que Beyond Meat et Impossible Foods qui affirment que leurs produits à
base de protéines végétales représentent une option plus écologique.
Mais
l'entreprise Atomo, de Seattle, va encore plus loin et fabrique du café dans un
laboratoire, sans les graines du caféier. Contrairement aux produits à base de
protéines végétales dans lesquels on utilise des ingrédients alimentaires
existants, le café Atomo est créé de toutes pièces. Il s’agit d’un café
moléculaire qui contient de l’acide quinique, du diméthyldisulfure, de la
niacine, du 2-éthylphénol et une poignée d’autres éléments. Le procédé, qui
reste encore secret, offre au monde son premier café synthétique.
Le
projet a été financé par Horizon Ventures de Hong Kong, qui a également soutenu
Impossible Foods et Spotify. Ce projet de plusieurs millions de dollars trouve
sa motivation dans la volonté de trouver des solutions durables pour produire
l’une des boissons les plus populaires au monde.
Nous
assistons littéralement au début d’une révolution agricole qui reflète le coût
réel de la nourriture dans nos assiettes. Les coûts environnementaux deviennent
un facteur de plus en plus important lors de l’achat d’aliments, en particulier
pour la jeune génération.
Cette
révolution offre une place à l’agriculture synthétique ou moléculaire, un
nouveau système alimentaire qui fonctionnera vraisemblablement en parallèle
avec les secteurs traditionnels.
Tout
en recherchant des aliments abordables, savoureux et nutritifs, d’autres
facteurs holistiques deviennent des facteurs clés. La Révolution verte du
XXe siècle concernait essentiellement la sécurité alimentaire.
Cette fois-ci, la révolution suit notre volonté de combiner nos besoins
alimentaires avec les ressources limitées de notre planète, tout en assurant la
sécurité alimentaire de toutes les nations.
Une
grande partie de la promotion d’Atomo séduit des consommateurs toujours plus
préoccupés par les dégâts causés par la culture des caféiers dans les espaces
naturels. Les producteurs de café continueront de cultiver le café dans des
plantations établies, mais un nombre croissant d’experts s’inquiètent de la
poursuite de la déforestation pour planter de nouvelles cultures de caféiers.
La Chine et d’autres marchés en croissance développent leur indépendance à
Java, ce qui pousse davantage les producteurs à accroître leur productivité.
Compte tenu des incendies de forêt qui touchent l’Amazonie, les préoccupations
se multiplient puisque, selon certains rapports, les incendies intentionnels
afin de produire davantage de cultures caféières sont directement liés à la
déforestation.
Sans
surprise, Atomo a choisi ce moment pour publier sa déclaration concernant son
café cultivé en laboratoire. Alors que le monde se concentre sur ce qui se
passe en Amazonie, l’entreprise a tenu à faire valoir un point et les gens en
ont pris bonne note. Produire différemment. Néanmoins, le « vrai »
café demeure le café pour de nombreux Canadiens qui entretiennent une histoire
d’amour depuis bien longtemps avec la caféine.
Le
café constitue la boisson de choix pour la plupart d’entre nous. En 2018,
72 % des Canadiens buvaient du café tous les jours. En fait, les Canadiens
boivent en moyenne 152 litres par personne annuellement, ce qui représente le
niveau de consommation le plus élevé au monde après les Pays-Bas et la
Finlande. Le café au Canada est plus populaire que l’eau du robinet.
Pas encore prêts
L’idée
de boire une boisson de laboratoire, sans mentionner le café, ne plaît pas aux
Canadiens. Un récent sondage omnibus mené par l’Université Dalhousie a révélé
que 72 % des Canadiens ne consommeraient pas le café cultivé en
laboratoire. Il semble donc évident de dire que la plupart des Canadiens ne
sont pas encore rendus là.
Néanmoins,
il est rafraîchissant de penser que nous assistons à un afflux de nouveaux
penseurs en agriculture. Plusieurs parties prenantes travaillant à l’extérieur
du secteur voient vraiment la production alimentaire différemment et tirent
profit de l’agriculture. Des milliards provenant de fonds et d'investisseurs
privés sont injectés dans l'agriculture synthétique pour offrir quelque
chose que l’agriculture ne peut pas produire.
Bien
que de nombreuses enquêtes révèlent que la plupart des consommateurs souhaitent
que les entreprises respectent l’environnement, la production, la transformation
et la distribution traditionnelles d’aliments ont leurs limites. L’agriculture
synthétique attire de plus en plus l’attention en raison de sa position sans
équivoque dans la production d’aliments en utilisant moins de ressources. Reste
à vérifier si ces méthodes sont plus durables. Ce point de vue se confronte
évidemment aux pratiques agricoles à l’ancienne surveillées par des producteurs
qui se vantent d’être les meilleurs gardiens de l’environnement.
Les
agriculteurs sont certes d’excellents intendants de l’environnement, mais les
choses ont changé, la planète a changé et notre vision du monde a changé.
La
culture du café, par exemple, nécessite beaucoup d’eau et de terre. Compte tenu
du peu de ressources impliquées, l'agriculture synthétique devient de plus en
plus une option envisageable. Mais pour que ces produits aient une chance de
réussir, certains principes fondamentaux doivent être respectés.
L’abordabilité, la nutrition et le goût demeureront essentiels, peu importe la
provenance de la nourriture.
Le
café ne marque que le début. Poulet, bœuf, porc, kangourou, crème glacée, foie
gras, bacon : tous ces produits font désormais partie de projets bien
financés dans le secteur privé pour lesquels on vise essentiellement à recréer
un produit de synthèse dans un environnement très urbain et de technologie de
pointe. Ces technologies perturbent l’agriculture traditionnelle mais peuvent
ajouter de la valeur à nos systèmes alimentaires mondiaux.
Des
chercheurs et des économistes de RBC ont récemment publié un rapport sur la
reprise d’une « quatrième révolution agricole » au Canada, qui mise
davantage sur les données par rapport au travail manuel. C’est tout à fait
vrai, mais cette phase de notre parcours agricole ne se limite pas à nourrir le
monde en produisant plus avec moins. Les aspects économiques liés à l’offre
dans l’agriculture cèdent tranquillement leur place à un modèle axé sur la
demande et dont le seul but vise à satisfaire les besoins d’un consommateur
très différent et très urbain. L’agriculture n’est plus une affaire de terre,
d’animaux et de dur labeur. Il s’agit surtout de molécules. Même s’il aura son
lot de défis en matière de réglementation, l’essor de l’agriculture synthétique
fait partie intégrante de cette révolution.
A.G.M
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