Open bar économique : L’Afrique se rebiffe !
ANALYSE. De plus en plus
d'États africains refusent la mainmise étrangère sur leurs ressources
naturelles. Ils veulent préserver leurs finances, leur population et leur
environnement.
Par Régis Fagbemi*
À l'heure où de très
légitimes inquiétudes se manifestent quant au caractère « fini »
des ressources naturelles offertes par notre planète, l'Afrique fait, plus que
jamais, figure d'eldorado. On trouve du cobalt – un minerai indispensable à la
fabrication de nos smartphones – au Rwanda et en République
démocratique du Congo (RDC).
Mais aussi des diamants au Botswana,
en Afrique du Sud et
en RDC, de l'or au Ghana, de l'uranium au Niger et en Namibie, du platine en
Afrique du Sud, du gaz naturel au Mozambique, en Algérie et en Égypte, et, bien
sûr, du pétrole au Nigeria et en Angola. Le sous-sol du continent regorge de ressources,
attirant la convoitise, pour ne pas dire la rapacité, de mains étrangères et
groupes internationaux aux méthodes souvent contestables.
Depuis longtemps,
l'exploitation des richesses naturelles de l'Afrique rime en effet avec
pillages en règle et ravages écologiques, au seul profit d'une infime minorité,
et au détriment de tous les autres. La corruption, véritable fléau endémique
sur le continent, est bien entendu responsable d'une grande partie du
détournement des retombées économiques de ces activités, mais pas seulement.
Face aux bataillons de juristes et d'avocats défendant les intérêts de
multinationales avides de leurs ressources, les États africains se retrouvent
bien souvent désarmés. Et impuissants, faute de disposer d'administrations,
d'experts et de spécialistes à même d'imposer leurs conditions lors de
négociations commerciales. Victimes, in fine, d'une spoliation
généralisée.
La Facilité africaine de soutien juridique (ALSF), un outil puissant
La fatalité n'est pourtant
pas de mise. Depuis plusieurs années, les États du continent
haussent le ton et se battent pour se réapproprier leurs propres ressources.
Créée en 2010 sous l'égide de la Banque africaine de développement
(BAD), la Facilité africaine de soutien juridique (ALSF) accompagne
les gouvernements africains dans la négociation de transactions commerciales
complexes. Objectif revendiqué : pallier l'asymétrie de capacités de
négociations entre autorités africaines et investisseurs étrangers, en
apportant à ses pays membres régionaux (PMR) une assistance juridique et
technique dans de nombreux domaines stratégiques : gestion de
l'endettement, passation des contrats d'exploitation de ressources naturelles,
renégociation de contrats abusifs, etc. De quoi, en somme, garantir davantage
d'équité et d'équilibre entre les diverses parties.
Forte de presque dix ans
d'expérience, la Facilité compte aujourd'hui plus d'une cinquantaine de
membres, parmi lesquels 47 États africains et cinq organisations
internationales. Son portefeuille est désormais riche de plus
de 40 projets. L'ALSF soutient, par exemple, le gouvernement
rwandais dans le cadre d'un projet de construction d'une centrale de production
d'énergie sur le lac Kivu, d'une valeur de 200 millions de dollars.
Elle intervient également au Togo, où elle a récemment mené une mission visant
à renforcer le cadre juridique, contractuel et institutionnel lié au secteur
pétrolier. Elle séduit de nouveaux membres, comme le Zimbabwe, qui vient de
ratifier l'accord portant sur la création de l'ALSF.
Le Sénégal, le Maroc et la Guinée : des exemples de pays en action pour reprendre le contrôle de leurs ressources
Si l'aspect technique lié
aux négociations commerciales demeure crucial, la volonté politique l'est tout
autant, si ce n'est davantage. C'est ce que démontre le président sénégalais
Macky Sall, qui, le 3 juillet à Dakar, a réaffirmé sa « volonté (…) de mettre (son) pays à l'abri de
convulsions symptomatiques de l'exploitation du pétrole et du gaz dans certains
pays développés ou en développement ». « Trop conscient de
l'importance de ces actes qui engagent le présent et l'avenir », le chef
d'État sénégalais a déclaré vouloir ne pas « laisser le moindre hasard
porter atteinte à ces intérêts vitaux ». « Je veux un Sénégal
prospère où les ressources naturelles, propriété du peuple en vertu de la
Constitution, profitent à toutes les composantes de la nation », a encore
assuré un Macky Sall invitant à faire « preuve d'humilité et de
prudence » lors des négociations concernant « ce secteur si
stratégique ».
Au Maroc aussi, la question
de la meilleure gestion des ressources naturelles fait la une. À l'initiative
du ministre de l'Agriculture, Aziz Akhannouch, quelque 67 000 hectares de
terres collectives vont ainsi être « rendus » aux paysans marocains
qui les cultivent depuis toujours sans pourtant jouir de leur propriété. Une
insécurité foncière hautement préjudiciable à l'investissement et à la mise en
valeur de ces terres. « Ce que nous vivons est une rupture par rapport
au passé de la gestion des terres collectives », s'est félicité le
ministre, selon qui 30 000 agriculteurs seront bénéficiaires de ce
programme de « melkisation ». M. Akhannouch a également
obtenu, en janvier dernier, la renégociation favorable de l'accord de pêche liant
son pays à l'Union européenne (UE), qui devrait entraîner d'importantes
retombées économiques pour le Maroc tout en assurant la durabilité de cette activité.
Une nouvelle phase dans la coopération entre Bruxelles et Rabat, dans laquelle
le Maroc a habilement fait valoir ses intérêts.
En Guinée enfin, de très
notables progrès ont été enregistrés dans la gouvernance du secteur minier,
selon une ONG indépendante, l'Institut de gouvernance des ressources naturelles
(NRGI). Grâce notamment à une plus grande transparence dans le processus
d'octroi des titres miniers, désormais publiés sur Internet, à la publication
des statistiques minières ou encore à des audits réguliers, le pays a
gagné 12 points en deux ans sur l'Indice de gouvernance des
ressources naturelles (RGI). Les revenus du secteur extractif ont ainsi
enregistré un bond de 46 % et leur contribution au budget national est
passée de 25 % à 32 %. « La mise en œuvre de la redistribution des revenus
miniers aux communes (…) est en cours en Guinée », se réjouit l'un
des dirigeants de NRGI, parlant « d'opportunité historique pour la Guinée
de réduire sensiblement le gap résiduel entre les règles et les pratiques, et
de permettre à l'ensemble des populations guinéennes de bénéficier directement
de l'exploitation minière ».
A.G.M
Source: lepoint.fr
* Chargé de cours en finance
au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), formateur à
l'Entreprise d'entraînement pédagogique d'Orléans, consultant en économie et
finance.
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