Gabon: la fin des carpes dans la ville du Dr Schweitzer
Lambaréné (Gabon) (AFP)
"Des carpes
empoisonnées ici, à Lambaréné? C'est n'importe quoi", tonne Yvlain
Magwala, à l'attention des touristes installés à l'arrière de son taxi, en
route pour le célèbre village-hôpital Albert Schweitzer, dans le centre-ouest
du Gabon.
Début juillet, la découverte
de centaines de carpes flottant ventre en l'air à la surface des lacs du fleuve
Ogooué, fief de l'activité halieutique du Gabon, avait fait la une des journaux
nationaux.
Malgré l'inquiétude des
populations locales, le gouvernement a interdit la pêche et la
commercialisation de la carpe, particulièrement appréciée dans la région,
jusqu'à fin août.
"L'interdiction vise
uniquement à tuer l'économie dans mon Lambaréné natal", s'énerve le
chauffeur, qui monte le volume de son petit auto-radio.
A l'antenne, des experts
débattent des conséquences économiques de l'interdiction dans cette localité de
40.000 habitants pour qui la pêche est une source essentielle de revenu, mais
où aucune mesure d'accompagnement n'a été prise par le gouvernement.
Mays Mouissi, expert
économiste gabonais, partage les inquiétudes du chauffeur. "Certes, la
pêche n'a pas un réel poids dans le PIB du Gabon", souligne-t-il.
"Toutefois, en
interdisant, ne serait-ce que provisoirement, la pêche à Lambaréné, cela a un
impact sur les acteurs de la chaîne. Ce qu'on aurait pu attendre du
gouvernement, c'est qu'il prévoie un soutien financier aux personnes
directement affectées par sa mesure".
"Mais pourquoi le
phénomène touche uniquement la carpe et pas d'autres espèces de poisson?"
s'interroge le chauffeur avant de freiner brutalement pour déposer ses
passagers.
- Poissons pourris -
Face à eux, un vaste banc de
sable dont le jaune nacré épouse le bleu azur du ciel. Un décor paradisiaque...
Mais où l'air empeste le poisson pourri.
"Regardez toutes ces
carcasses de carpes sur le sable. C'est de là que vient cette mauvaise
odeur", s'exclame Clément Akouyayé, un pêcheur local.
Il pointe du doigt les
arrêtes qui constellent le sable. Le regard triste comme s'il pointait aussi la
cause de ses malheurs.
A 43 ans, Clément,
"pêcheur et fils de pêcheur", vit grâce à cette activité et de
quelques virées en pirogue qu'il propose aux touristes, attirés par la région
de la forêt équatoriale où vécut le Dr Schweitzer (1875-1965), prix Nobel de la
paix, qui fut l'un des plus grands médecins humanitaires du XXe siècle et a
marqué durablement le Gabon en y apportant une médecine moderne gratuite et accessible
à tous.
Mais actuellement, rien ne
mord: ni les touristes, ni le poisson, encore moins la carpe, qu'il vend malgré
l'interdiction, mais à des prix cassés: "Le kilo qui se vendait à 1.000
francs CFA (1,52 euro) revient aujourd'hui à 500 FCFA (76 centimes d'euros".
"A ce prix, il nous est
difficile de rentabiliser toutes les dépenses logistiques liées à la
pêche", soupire-t-il.
Pourtant, début juillet, les
populations ont d'abord cru à une manne providentielle.
"Nous avons remarqué
que des poissons s'échouaient au bord des lacs, nageaient un peu puis
mourraient", raconte le quadragénaire, penaud.
Hommes, femmes et enfants
ont accouru pour ramasser les poissons, les revendre ou les cuisiner, ce qui a
provoqué l'inquiétude d'une agence gouvernementale, poussant les autorités à
réaliser des premiers prélèvements d'eau.
- Coupable bactérien -
Les soupçons se portent
alors sur des pratiques peu orthodoxes des pêcheurs ou encore sur celles
d'exploitants miniers illégaux aux abords de l'Ogooué.
Mais les résultats des
analyses ont révélé mardi "la présence anormalement élevée dans l'eau et
dans les carpes trouvées mortes, d'une bactérie de type Aeromonas veronii
présente naturellement dans l'environnement", selon le gouvernement.
"Pour l'instant, aucun
malade n'est à déclarer chez les mangeurs de carpe", assure le professeur
Daniel Franck Idiata, directeur du Centre national de la recherche scientifique
et technologique (Cenarest).
"On ne connait pas les
risques", prévient-il cependant, puisqu'il faudrait suivre les
consommateurs sur le long terme pour s'assurer qu'ils ne subissent pas de
conséquence.
En attendant, les chercheurs
ont envoyé des échantillons à l'Université norvégienne d'Oslo pour en savoir
davantage sur l'origine de cette bactérie et l'interdiction de pêche a été
maintenue.
Pas de quoi décourager les
vendeurs du vaste débarcadère de Lambaréné, où la pêche et la vente de la carpe
se poursuivent coûte que coûte.
Mais, Achille, revendeur de
poisson, peine à attirer du monde vers son étal, posé sur une brouette.
"C'est mort! C'est mort", peste-t-il.
"C'est difficile pour
nos enfants", se lamente Henriette Pemba, cultivatrice. Même si son revenu
ne dépend pas de la pêche, les plus jeunes de sa famille financent d'ordinaire
leur rentrée scolaire en écaillant les carpes.
Tout près, le restaurant
"Le Papyrius" continue de proposer un bouillon de carpe, qui a bien
du mal à attirer les gourmets.
Une vingtaine d'écailleurs
aiguisent leurs couperets. Les mouches, elles, se délectent de la chair des
poissons délaissés par les acheteurs.
A.G.M
© 2019 AFP
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