Début
avril 2019, la ville de Durham en Caroline du Nord (États-Unis) a été submergée
par un nuage de pollen. Les images
sont impressionnantes, au point que le terme « pollenpocalypse »
a été employé pour décrire l’événement.
L’émission
de pollen dans l’atmosphère, c’est la vie (végétale) qui cherche à se
reproduire : aussi spectaculaires que soient ces images de nuages jaunes,
il est surprenant de parler d’apocalypse ! Le fait est que certains
pollens transportés par le vent contiennent des protéines reconnues par le
système immunitaire comme étant des allergènes et, qu’à ce titre, ils peuvent
déclencher une réaction allergique chez certains sujets sensibilisés.
Cette
profusion de pollen dans l’atmosphère devient alors une épreuve pour les
personnes allergiques, d’où l’emploi du terme « pollenpocalypse » –
faisant écho aux forts épisodes de pollution de l’air baptisés « airpocalypse ».
Par
ses symptômes, l’allergie au pollen entraîne en effet une vraie difficulté quotidienne
pour les personnes touchées, allant jusqu’à provoquer asthme et allergies
alimentaires dites « croisées » (un allergique au pollen de bouleau
peut par exemple développer une allergie alimentaire aux pommes).
Plus
de 10 % de la population française est allergique au pollen, et le nombre
de personnes atteintes aurait quasiment doublé au cours de ces
dernières décennies.
Présentation du Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA) et de l’allergie au pollen (pollens.fr).
Le
changement climatique responsable ?
Au
vu de cette augmentation manifeste, peut-on dire aujourd’hui que le changement
climatique est un facteur aggravant des allergies au pollen ? Ces nuages de
pollen sont-ils les premiers signaux d’une adaptation des plantes aux
conditions atmosphériques et climatiques en évolution ? Les allergies au
pollen vont-elles continuer leur progression au sein de la population ?
Répondre
à ces questions implique de faire appel à plusieurs disciplines
scientifiques : l’aérobiologie (pour étudier la présence des allergènes
dans l’atmosphère), la biologie végétale (pour déterminer les effets du
changement climatique sur les plantes et leur reproduction), les sciences
climatiques (pour émettre des hypothèses sur le climat des prochaines
décennies), la chimie atmosphérique (pour analyser les effets des polluants sur
le pollen) et enfin, la recherche médicale (pour préciser les liens entre
exposition et sensibilisation au pollen d’une part, et symptômes allergiques
d’autre part).
La
complexité du sujet exige une approche résolument transdisciplinaire, personne
ne pouvant prétendre être spécialiste dans tous ces domaines et posséder une compréhension
générale des systèmes en interconnexion.
À
la lumière des connaissances actuelles dans ces différentes disciplines, et
même si l’on peine encore aujourd’hui à expliquer les raisons de l’explosion
des allergies – et que, dans ce contexte, toute prévision d’une situation
future demeure incertaine –, un certain pessimisme est de mise : il semble
bien possible que les allergies au pollen continuent de croître au cours du
siècle.
En
effet, l’une des conséquences de l’augmentation des températures moyennes est
de stimuler certains végétaux, et notamment d’accroître
les quantités de pollen produit ainsi que les quantités d’allergènes
qui y sont présents. Cette augmentation des quantités de pollen et d’allergènes
peut faciliter la sensibilisation et aggraver les symptômes, même si les liens
entre quantités d’allergènes et gravité des symptômes ne sont cependant pas
encore complètement élucidés.
Mala Iryna/Shutterstock, CC BY-NC-ND
Mala Iryna/Shutterstock, CC BY-NC-ND
Des
périodes allergisantes plus longues
En
outre, le début de la saison pollinique est déterminé par les conditions
météorologiques. Or, du fait de l’élévation des températures moyennes, la date
d’apparition des premiers pollens tend à être de plus
en plus précoce pour certaines espèces végétales.
Cette
modification de la date du démarrage de la pollinisation n’aurait que peu de
conséquences sanitaires si elle n’engendrait qu’un décalage dans la période de
pollinisation ; mais le problème est que la date de fin de pollinisation
reste globalement la même, entraînant de fait une augmentation de la durée de
la période de pollinisation et donc une augmentation de la durée d’exposition
aux pollens allergisants.
Il
faut préciser toutefois que cette tendance n’est pas vraie pour toutes les
espèces, et que pour certaines d’entre elles les émissions de pollen tendent
même à décroître depuis
ces dernières décennies
Les
conditions climatiques influencent aussi directement sur la répartition
géographique des plantes. À propos de l’ambroisie, une plante invasive dont le
pollen est particulièrement allergisant, des travaux prédisent ainsi une
extension future des zones favorables à sa présence, ce qui pourrait concourir
à la multiplication par quatre des concentrations atmosphériques de pollen
d’ambroisie d’ici à 2050 en
Europe.
Par
ailleurs, le changement climatique, parce qu’il entraîne des quantités plus
importantes de pollen dans l’atmosphère ainsi que la survenue d’orages plus
intenses, pourrait également déboucher sur une fréquence accrue d’épisodes d’asthme
d’orage. Ces événements, favorisant une forte dispersion des allergènes du
pollen, sont caractérisés par un afflux de consultations dans les services
d’urgences pour crise d’asthme dans les heures qui précèdent un orage.
En
novembre 2016 à Melbourne, s’est ainsi produit le plus violent épisode d’asthme
d’orage jamais enregistré : ce sont des milliers de personnes qui
ont consulté en urgence pour asthme, dont neuf ont succombé.
Des
liens avec le taux de CO2 et de polluants
Marie Choël/Université de Lille, Author provided
En plus des effets directs du changement climatique, l’augmentation des concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone (CO2) est susceptible d’amplifier la tendance à l’augmentation de la production de pollen. Une étude a par exemple montré que les concentrations en CO2attendues à la fin du siècle (720 ppm contre 410 ppm aujourd’hui) pourraient amener à multiplier par treize la production de pollen du chêne. Une autre étude a pu encore montrer qu’en ce qui concerne l’ambroisie, la quantité d’allergènes par grain de pollen est corrélée à la concentration atmosphérique en CO2.
Enfin,
les polluants atmosphériques peuvent, en plus d’agir directement sur le système
respiratoire, moduler
le caractère allergisant des pollens. Les protéines allergisantes sont
par exemple modifiées en qualité et en quantité par certains polluants comme le
dioxyde d’azote et l’ozone. De plus, le pollen pollué, fragilisé, est plus à
même de délivrer ses allergènes, qui peuvent alors pénétrer au cœur du système
respiratoire et favoriser les crises d’asthme.
Comme
on le voit, un faisceau de données scientifiques incite à prévoir une augmentation
probable des quantités de pollen et d’allergènes dans l’atmosphère, du moins
pour certaines espèces végétales. Les effets sur la part d’allergiques dans la
population future ou sur la sévérité des symptômes sont quant à eux incertains.
Par
prudence, il paraît néanmoins important pour la santé
publique de prendre en compte les possibles modifications à venir de
l’exposition aux pollens allergisants. Ainsi, la lutte contre les plantes
invasives, en particulier l’ambroisie, doit être une priorité affirmée.
Et,
si nous avons besoin dans nos villes de plus de végétation, pour notre
bien-être, la biodiversité et atténuer les îlots de chaleur urbaine, la prise
en compte du risque d’allergie doit devenir un réflexe dans la gestion des espaces verts urbains.
Source: theconversation.com
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