Du kérosène synthétique bientôt dans les réservoirs des avions ?
Alors
que le gouvernement vient d'annoncer une écotaxe sur le secteur aérien,
l'industrie aéronautique développe justement des technologies pour diminuer son
impact. L'idée de produire du kérosène de synthèse fait son chemin, certains
allant jusqu'à proposer de le produire à partir du dioxyde de carbone présent
dans l'atmosphère. Une solution coûteuse, et dont l'industrialisation serait
difficile.
Voler
deux fois plus vite que le son, mais sans impact sur le climat ? Difficile à
croire. C’est pourtant ce qu’a affirmé la start-up Boom le 18 juin dernier, en
annonçant son alliance
avec la start-up Prometheus Fuels pour s'envoyer dans les airs avec un
carburant “neutre en carbone“, fabriqué à partir de CO2 capturé dans l’air et
donc sans impact sur le climat…
Rien
d’étonnant à ce que l’idée fasse fantasmer l’industrie aéronautique, qui y voit
un moyen de pouvoir poursuivre ses activités tout en diminuant ses émissions.
Car les trajets en avion sont à l'origine de 2 à 3% des émissions de gaz à
effet de serre, et qu'en 2009, le secteur aérien s’est engagé à émettre moitié
moins de carbone en 2050 par rapport à 2005, alors que le trafic augmente de 5%
par an...
Un procédé ancien
Les
carburants synthétiques pourraient-ils voler bientôt au secours des avions ? Le
clip de promotion de Prometheus Fuels, dans lequel un motard choisit du
carburant sans émission à la pompe, se veut optimiste. Mais aucun détail
technique n'est fourni et la production en grands volumes de ce carburant de
synthèse n'est pas pour demain.
Pourtant,
la technologie pour fabriquer du kérosène à partir de carbone existe et ne date
pas d’hier. Découvert en 1923 par deux chercheurs allemands, le procédé, dit
Fischer-Tropsch, repose sur une réduction catalytique du monoxyde de carbone
(CO) par de l’hydrogène pour le convertir en gaz synthétique (syngaz) puis en
kérosène. Une longue chaîne d’hydrocarbures dont la forte densité énergétique
la rend si pratique pour les transports aériens.
“Les
technologies de synthèse d’hydrocarbures sont là, il suffit de faire des
investissements“ assure Jean-Christophe Viguié, spécialiste des
biocarburants à l'IFPEN, citant notamment le projet
BioTfueL à Grande-Synthe, dans le Nord, qui vise à synthétiser du
kérosène à partir de résidus de biomasse lignocellulosique. Dans le monde, le
sud-africain Sasol s’est imposé sur ces procédés (pour des raisons historiques
liées au blocus commercial qui touchait l’Afrique du Sud durant l’apartheid)
mais travaille principalement à partir de carbone fossile.
Le kérosène synthétique reste bien plus cher
Pour
l’instant, la synthèse d’hydrocarbures à partir de CO2 capté dans les émissions
industrielles reste néanmoins coûteuse, et le kérosène synthétisé ainsi est 6 à
8 fois plus cher que le conventionnel, notamment en raison de son caractère
énergivore.
En
cause notamment, l’électrolyse de l’hydrogène utilisée pour le procédé
Fischer-Tropsch, énergivore et dont l’industrialisation – qui pourrait apporter
des économies d’échelle – a à peine débuté. Industrialiser la création de
l’hydrogène permettrait alors de baisser les coûts selon le chercheur, qui cite
par exemple le coût de production de l’hydrogène obtenu par le vaporeformage du
méthane comme cible à atteindre.
Fabriquer du kérosène à partir de l’air ?
Du
côté du carbone, l’approvisionnement semble tout trouvé : pourquoi ne pas se
servir là où il pose problème: dans l’atmosphère? Cette technique, dite de
“captage direct dans l’air", gagne
en popularité. La société canadienne Carbon Engineering s’est récemment
alliée avec Occidental pour capter 500 000 tonnes de dioxyde de carbone par an,
dont une partie pourrait être synthétisée en kérosène. La start-up suisse
Climeworks travaille elle avec Sunfire pour valoriser le gaz qu’elle capture
sous forme de carburant. A condition d’être alimenté en énergie non carbonée,
ce processus pourrait permettre de développer un kérosène neutre en carbone, le
carbone émis lors de la combustion ayant préalablement été retiré de
l’atmosphère.
Mais
en l’état actuel, la solution est loin d’être optimale d’un point de vue
énergétique. “Capter le CO2 dans l’air n’est pas forcément efficace, il
faudrait plutôt se concentrer sur les endroits où le carbone est le plus
concentré, c’est-à-dire dans les effluents industriels… ou alors dans la
biomasse“, explique Jean-Christophe Viguié à L’Usine Nouvelle, rappelant
que les plantes aussi captent du carbone.
Attention
néanmoins, en fonction de la biomasse, des questions d’usage des sols peuvent
se poser. Par ailleurs, utiliser le carbone issu de capture
et stockage d’effluents industriels pour le valoriser(CCUS) en kérosène
pourrait conduire, “si le carbone provient de sources fossiles, comme dans
le cas d’une cimenterie“, à augmenter encore les taux de carbone présent
dans l’atmosphère, et donc à réchauffer la Terre.
Le défi de la production à l'échelle industrielle
“Pour
atteindre ses objectifs de réduction d’émissions, l’aviation compte sur les
innovations d’efficacité énergétique et la gestion du trafic, mais devra en
grande partie s’appuyer sur les carburants alternatifs“ indique
Jean-Baptiste May Carle. Dans le Paris Air Lab du Bourget, sous l’ombre
ironique d’un Concorde, cet expert carburant chez Safran témoignait,
échantillons à la main, du rôle central des carburants de synthèse pour “émettre
moitié moins d’émissions en 2050 mais avec beaucoup plus de vols“.
Produits
à partir de la biomasse gazéifiée pour la soumettre à un procédé
Fischer-Tropsch, mais aussi à partir des huiles ou des sucres de végétaux et de
résidus, le kérosène de synthèse serait directement incorporé dans les moteurs
existants pour diminuer le coût carbone des vols. En 2018 déjà, l’Agence
Internationale de l’Energie (AIE) estimait que 0,1% du kérosène utilisé
aux Etats-Unisétait
composé de biocarburants.
C’est
là tout le problème, car pour Mathieu Auzanneau, directeur du think-tank
spécialisé dans la transition énergétique The Shift Project, “pour que ce
soit une solution significative pour le climat, la question de l’échelle se
pose : cela demanderait des infrastructures considérables et la mobilisation
d'importantes ressources“.
C'est
aussi l'avis d'Aurélien Bigo, doctorant en économie à l'école Polytechnique et
auteur d'un article
dans The Conversation sur les émissions du secteur
aérien. "A l'horizon 2030, si l'augmentation du trafic se
poursuit, il sera très difficile pour le secteur aérien de développer des
innovations techniques suffisamment rapidement pour être compatible avec
l'Accord de Paris". S'il admet que tout est une question de priorité
entre les secteurs, il note que pour l'instant, tous sont à la traîne s'il
s'agit de limiter le réchauffement climatique à 2°C d'ici la fin du siècle.
D'autant que l'aérien n'est pas le seul à lorgner la biomasse et l'électricité
produites par des sources renouvelables pour effectuer sa transition...
Par NATHAN MANN
Source :
www.usinenouvelle.com
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