Changement climatique : la Chine en détient-elle les clés ?
Alimenté par les travaux du Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et préparé par la
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, l'accord de
la Conférence de Paris (COP 21) du 12 décembre 2015 est désormais au coeur de
toutes les rencontres de chefs d'Etat : en dépit des réticences de Donald
Trump, le Groupe des vingt (G20) vient d'en débattre à Osaka les 28-29 juin
2019, avant que le Groupe des sept (G7) en reparle à Biarritz les 24-26 août
prochains.
Apparemment, les enjeux de ces négociations sont
clairs : les 195 Etats signataires doivent agir pour maintenir, à l'horizon
2100, la hausse de la température terre-océan, observée depuis l'ère
pré-ndustrielle (Figure 1), nettement au dessous de 2°C, si possible de 1,5°C.
Parmi les moyens pour y parvenir, le plus significatif est la diminution des
émissions de gaz à effet de serre (GES) : vapeur d'eau (H20),
méthane (CH4), protoxyde d'azote (N20), divers
hydrofluorocarbures et surtout dioxyde de carbone (CO2).
Fig. 1. Source : Wikipedia
Ces GES ont des origines naturelles (biodégradation
des végétaux, volcanisme, flatulences des ruminants...) mais, depuis le 19ème siècle,
celles qui croissent le plus rapidement sont dites anthropiques parce que
résultant d'activités humaines telles que la production d'électricité,
l'agriculture, l'industrie, l'habitat ou le transport (Figure 2). Leurs
émissions sont constituées d'environ 75% de CO2, principalement issu
de la combustion de sources d'énergie fossiles : charbon minéral, produits
pétroliers, gaz naturel.
Fig. 2. Source: Climate Challenge
En l'état actuel des techniques, ces activités ne
pourraient pas continuer à assurer la richesse matérielle mondiale (Produit
Intérieur Brut ou PIB), sans recours à ces sources d'énergie dont la combustion
a émis un volume annuel de CO2 anthropique qui est passé de
quelques millions de tonnes (Mt) au milieu du 19ème siècle à un
peu plus de 30 milliards (Gt) au cours des années 2010 (Figure 3).
Fig. 3. Source : JM. Jancovici. Sauvons le climat,
février 2014. Les données sont en millions de tonnes de CO2. Avec la prise en
compte de la déforestation, le total dépasse les 33 Gt affichées par l'Agence
Internationale de l'Energie pour 2018.
Compte-tenu de leur origine, ces émissions
proviennent majoritairement des pays les plus industrialisés, tels que
les Etats-Unis ou l'Union Européenne, mais, depuis le début du 21èmesiècle,
ces derniers sont rattrapés par les pays asiatiques très peuplés et en
voie d’industrialisations rapides telles que l’Inde et surtout la Chine
(Figure 4).
Fig. 4: Source Global Carbon project
Dans ce dernier pays, les presque 10 Gt émises en
2013 résultaient d'une croissance annuelle supérieure à 9% depuis 2000, avant
que la trajectoire ne soit cassée et stabilisée autour de 9,5 Gt. Cette
rupture est-elle conjoncturelle ou structurelle c.à.d. le résultat d'une
nouvelle politique énergétique résolument orientée vers un développement plus
durable ? L'enjeu est de taille car, au vu des scénarios de l'Agence
Internationale de l'Energie (AIE), les émissions chinoises de CO2 pourraient,
en 2040, représenter encore 30% des émissions mondiales ou tendre vers 20% au
grand bénéfice du climat planétaire. Pour s'approcher d'un tel résultat,
l'Empire du Milieu devrait diviser par trois le volume annuel du CO2 issu
de ses usines, de ses villes et de ses véhicules. Est-ce concevable ?
La croissance soutenue des années Deng Xiaoping (1980-2010)
En s'appuyant presque exclusivement sur la
combustion de charbon minéral, l'industrialisation des décennies 1950, 60 et
70, sous la houlette de Mao Zedong, avait certainement contribué à la
croissance mondiale des émissions de GES, mais, à l'échelle mondiale, le CO2 d'un
pays de paysans pauvres ne représentait pas grand chose. Les choses commencent
à changer au début des années 1980, avec les réformes de Deng Xiaoping qui sont
à l'origine d'un rattrapage économique sans précédent dans l’histoire, sous la
forme d'une multiplication par 12 du PIB et d'un saut de 5 à 18% de la
production annuelle de la richesse mondiale. Ce bouleversement
économique s’est appuyé sur une croissance de la consommation d’énergie
au rythme annuel moyen de 6%, tirée à plus de 80% du charbon minéral. La
conséquence inévitable en a été de graves dégradations de l’environnement local
et une forte contribution aux émissions mondiales de GES (Figure 5).
Le tournant de Xi Jinping
Depuis qu’il a pris la tête de l’Etat en 2012, le
président Xi Jinping n’a pas varié dans sa volonté d’infléchir le
système énergétique chinois vers un développement plus durable. On la
retrouve dans les orientations du 12ème Plan (2011-2015)
qu’accentuent encore celles du 13ème Plan (2016-2020). En
novembre 2017, dans le cadre du 19ème Congrès du Parti
Communiste Chinois (PCC), ce même président a réaffirmé son engagement en
faveur « d’une révolution énergétique ». De fait, les
trajectoires héritées de Deng Xiaoping ont été très sensiblement infléchies
depuis 2013 dans au moins trois directions.
1. Le tassement de la croissance de la demande d'énergie
La croissance annuelle moyenne de la consommation
d’énergie primaire (CEP), toutes sources confondues, qui avait culminé à 9,4 %
entre 2000 et 2010, tombe à 3,5% entre 2010 et 2018, dont 1,2% en 2015
et 2016, avant de remonter à 3,0% puis 4,3% en 2017 et 2018. En cause, une
croissance du PIB moins vigoureuse, mais surtout une forte baisse de l'intensité
énergétique de l'activité économique, c.à.d. du volume d'énergie mesurée en
kilo d'équivalent pétrole (kep) nécessaire pour produire un dollar constant de
PIB. De 0,26 en 2000, cette intensité a chuté à 0,20 en 2010 et 0,13 en 2018,
soit une décroissance annuelle moyenne de 5% au cours des années Xi Jinping.
Derrière cette baisse,
- une évolution de l'industrie chinoise vers des industries moins
grosses consommatrices d'énergie que la sidérurgie, la cimenterie ou la
chimie de base ;
- la fermeture de nombreuses petites usines brûlant du charbon minéral
de façon peu efficace ;
- la généralisation de procédés de fabrication énergétiquement
performants dans l'industrie, le chauffage des habitations ou le transport
dans lequel commence à percer la voiture électrique ou hybride
rechargeable.
2. Un début de diversification de l'offre d'énergie away from coal
Alors qu’avec 70% de la CEP en 2010, il paraissait
indétrônable, le king coal chinois n’a cessé de
reculer depuis, jusqu’à 58% en 2018, ce en dépit de la reprise de 2017 et 2018
qui a suivi trois années de baisse. Peu visible de l’extérieur, ce déclin se
préparait depuis la cassure de son rythme de croissance au milieu des années
2000. Ce moindre appel à plus de charbon, année après année, a résulté, à la
fois, de sa combustion plus efficace et de sa substitution
par d’autres sources d’énergie primaires dont la part dans le bilan
énergétique a crû à partir de 2010 :
- pétrole, de 18,3 à 19,6%, en réponse à l'explosion du parc de
voitures et des besoins de la pétrochimie ;
- gaz naturel, de 3,8 à 7,4%, sous l'effet d'une politique très
volontariste de remplacer le charbon par un combustible moins polluant
dans toutes les zones urbaines ;
- nucléaire, de 0,7 à 2,0% ; hydraulique, de 6,4 à 8,3% ; autres
renouvelables, de 0,6 à 4,3%, toutes évolutions résultant d'une
réorientation du parc de production électrique.
3. Une production d'électricité de moins en moins carbonée
Mise à part celle de la thermoélectricité pétrole,
constituée principalement de moteurs diesel, qui n’a pas changé, toutes les
productions d’électricité à partir de filières peu ou non carbonées ont été
considérablement accrues. De loin la plus importante, l’hydroélectricité n’a
pas élargi sa part de 16,9% mais elle s’est développé au rythme annuel
moyen de 6,8%. Les autres filières ont fait beaucoup mieux avec des
taux de croissance de 14% pour le thermique gaz, de 19% pour le nucléaire, de
30% pour l’éolien et d’environ 100% pour le solaire. Résultat, la part de ces
quatre filières saute de 1,8 à 3,1%, de 1,8 à 4,1%, de 1,0 à 5,1% et de
quasiment rien à 2,5%. Reste la thermoélectricité alimentée au charbon qui n’a
pas perdu sa prééminence, mais qui a régressé de 74,6% en 2010 à
66,5% en 2018. Une restructuration de cette ampleur, sur une aussi courte
période, a impliqué un renouvellement rapide du parc de production (Tableau 1).
Tableau 1: Evolution du parc de production d'électricité
GW
|
Total
|
Thermique
|
Hydro
|
Nucléaire
|
Eolien
|
Solaire
|
Autres
|
2010
|
1000
|
735
|
219
|
5
|
31
|
1
|
9
|
2018
|
1901
|
1147
|
350
|
45
|
185
|
150
|
24
|
Variation
|
90%
|
56%
|
60%
|
x9
|
x6
|
x150
|
x3
|
" Autres" recouvrent la biomasse et la
géothermie. Les données sont arrondies.
La composante hydroélectrique, après
l'achèvement du barrage de Sanxia (Les Trois Gorges), sur le Yangzi-Jiang, dont
les 26 générateurs de 700 MW chacun fournissent une capacité additionnelle de
18,2 GW, de nouveaux grands aménagements ont été entrepris sur les fleuves
Jinsha et Lancang (Mekong).
Ralenti par les réorganisations qui ont suivi la
catastrophe de Fukushima au Japon en 2011, le programme de construction de
réacteurs est reparti. Les 45 GW de 2018 seront portés à 53 en 2020, dans la
perspective d'une contribution proche de 10% de l'électricité produite en 2040.
Avec le couplage au réseau du deuxième EPR franco-chinois le 23 juin 2019, la
"génération 3" s'impose, assortie de nombreux développements en
direction des réacteurs de petite taille, des réacteurs rapides, de
l'enrichissement, du traitement des déchets et même de la fusion, dans le cadre
d'ITER.
La multiplication par six des capacités de
production éolienne est encore plus spectaculaire puisqu'elle place la Chine à
la première place dans le monde. Pourra-t-elle aller au delà des 400 GW
envisagés par l'AIE dans ses scénarios ? Mi-2019, la trajectoire a été freinée,
suite aux difficultés que constitue, outre son intermittence, une
localisation très éloignée des centres de consommation d'électricité (Mongolie
Intérieure, Gansu, Xinjiang). Ses tenants comptent cependant sur l'extension en
cours des réseaux en très haut voltage et de l'éolien offshore, proche des
grandes villes de la côte (Figure 6).
Fig. 6: Un champ
d"éoliennes en Chine. Source : taylorandayumi [CC
BY 2.0
Reste l'énergie solaire photovoltaïque dont
l'essor a été encore plus fulgurant. Son véritable décollage, après 2010, est
largement dû au Clean Development Mechanism (CDM) mis en place par le Protocole
de Kyoto. Dans un pays dont les 2/3 du territoire bénéficient de 2000 journées
ensoleillées par an, les programmes de construction financés par l'Etat à
hauteur de 50-70% ont débouché en quelques années sur 150 GW installés. Comme
pour l'éolien cependant intermittence et éloignement des sites ont contraint à
un coup de frein jusqu'à ce que le développement des réseaux rende le solaire
plus attractif aux yeux des compagnies électriques.
Les obstacles qu'il reste à franchir
Il ne fait guère de doute que la présidence de Xi
Jinping restera associée à l’inflexion des trajectoires énergétiques
chinoises en direction d’un développement moins agressif pour
l’environnement local et planétaire. L'enrichissement et l'urbanisation
désormais très poussée de la société chinoise y est évidemment pour beaucoup,
mais les progrès n'auraient pas été aussi rapides sans une vigoureuse politique
des autorités nationales en faveur d'autres sources d'énergie que le charbon.
Ce dernier n'a cependant pas disparu. Presque 4 Gt
continuent d'être extraites annuellement d'un sous-sol, toujours riche, surtout
dans les provinces de l'Ouest encore peu exploitées. Outre la sidérurgie et les
cimenteries, ce minerai continue à alimenter environ 1 000 GW qui ont les
faveurs de nombreuses compagnies électriques et de certaines autorités
provinciales. Qui plus est, la construction de ces centrales est l'un des
fleurons des investisseurs chinois engagés dans les 240 projets des 25 pays que
traverse la China's Belt and Road Initiative. Pour leur défense, les industries
charbonnières et électromécaniques soulignent qu'elles ne construisent que de
l'ultra super-critique très performant et qu'elles consacrent d'importants
crédits au développement du charbon propre, dont le carbon capture and
storage (CCS).
En 2040, la Chine n'aura vraisemblablement pas
divisé ses émissions de CO2 par trois, mais il est peu douteux
qu'elle va poursuivre ses efforts en faveur d'un développement plus durable
avec d'autant plus de chance de succès qu'elle compte sur ses avancées
technologiques (voiture électrique ou hybride rechargeable, par exemple) pour
prendre la tête de l'économie mondiale. Par là, elle détient quelques clés
décisives dans la lutte contre le changement climatique.
Source: echosciences-grenoble
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