« La Guerre des Graines » : enquête sur une bataille souterraine et silencieuse
En 100 ans, sous les effets de l’industrialisation de
l’agriculture, les trois-quarts de la biodiversité cultivée ont disparu. Alors
que se renforce la main-mise sur les semences par une poignée de
multinationales, un vaste arsenal réglementaire limite le droit des paysans à
échanger et reproduire les semences. Le documentaire « La Guerre des
Graines », décrypte les batailles
autour de la privatisation du vivant, avec l’appui de témoignages de paysans,
d’élus, de militants, d’experts et d’industriels. Un film percutant et engagé,
vivement recommandé par la rédaction de Basta !.
« L’histoire que nous allons vous raconter est celle
d’une guerre inconnue mais qui nous menace tous, la guerre des graines. » C’est par ces mots saisissants que débute le nouveau
film de Stenka Quillet et Clément Montfort, produit par John Paul Lepers. Depuis 12 000 ans, les paysans
sèment, sélectionnent et échangent librement leurs semences. Mais cette
pratique ancestrale au fondement de l’agriculture est en péril. Dix
multinationales contrôlent aujourd’hui 75 % du marché mondial de
semences.
Leurs noms ? Monsanto (États-Unis, 26 % du marché mondial), DuPont
(États-Unis, 18 %), Syngenta (Suisse, 9 %), Limagrain (France,
5 %), suivis d’une poignée d’autres firmes allemandes, états-uniennes ou
japonaises. « Que se passera-t-il si l’industrie semencière
réussit à privatiser intégralement les semences agricoles ? » interrogent
les deux co-réalisateurs.
Refuser l’esclavage semencier
L’enquête de Stenka Quillet et Clément Montfort les a menés en
Inde, en France et en Norvège auprès de paysans qui, pour rester libres,
cherchent une alternative aux graines de l’industrie. Mais aussi dans les
couloirs du Parlement à Bruxelles où se jouent régulièrement des épisodes déterminants
de la guerre des graines. Grand témoin de ce film, la scientifique et militante
écologiste indienne Vandana
Shiva : « la guerre des graines est dans chacune des
fermes. Des fermes dans des pays comme ici, en Inde, où des paysans risquent de
perdre leur approvisionnement en graines. Mais aussi les fermes plus grandes et
conventionnelles qui n’auront plus d’autres choix que d’acheter des OGM, des
herbicides, du Roundup, et seront coincés dans un esclavage semencier. »
Tous les géants de la semence ont décliné les demandes
d’entretiens pour ce film, à l’exception d’un seul, Monsanto. La firme
américaine, qui n’a semble t-il plus rien à perdre tant son image a été écornée
ces dernières années par différents scandales, a ouvert les portes en France de
sa plus grosse usine de semences pour l’Europe. La stratégie de Monsanto se
dévoile en partie lors d’un entretien avec l’un des responsables de cette usine
située à Peyrehorade en Aquitaine.
Consciente des difficultés à développer les
plantes génétiquement modifiées en Europe sous la pression citoyenne, la firme
mise désormais sur la multiplication des droits de propriété sur les semences.
Avant de quitter le site de Monsanto, la caméra s’attarde sur des semences de
couleur rouge. Enrobées d’insecticides ou de fongicides provenant d’autres
compagnies comme Bayer ou Syngenta, ces semences rappellent que Monsanto
collabore étroitement avec plusieurs géants de l’agrochimie.
La fin de cette enquête conduit à Svalbard, un archipel de la
Norvège situé au large du Groenland. C’est là, dans un chambre forte creusée
dans la glace, qu’ont été entreposées des graines du monde entier. L’idée,
conserver un double de la biodiversité végétale de la planète. Mais la présence
d’entreprises privées, comme Syngenta, dans le financement de la gestion
quotidienne de ce coffre-fort inquiète. Surtout, rappellent les organisations
paysannes, la seule vraie conservation se fait dans les champs des paysans et
des jardiniers.
Ce qui suppose d’avoir accès et de pouvoir maintenir vivante
cette biodiversité. « La guerre des graines est dans chaque
assiette, résume Vandana Shiva. Tant que la liberté des graines
sera confisquée, alors notre nourriture le sera aussi. C’est pour cette raison
que tout le monde doit être engagé pour réclamer la libération des
graines. »
AGM
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