Après le coronavirus, le rêve d'un autre monde du travail
Certains métiers pourraient sortir revalorisés de la
crise du coronavirus, d'autres disparaître, tant cet événement planétaire remet
en cause l'organisation du travail, sa valeur et son sens, estiment des
spécialistes interrogés par l'AFP.
"Je crains que l'on revienne au "business as
usual" dès que la crise sera passée mais elle va néanmoins donner des
armes à tous ceux qui réclament depuis des années un changement", dit
Dominique Méda, directrice de l'Institut de recherche en sciences sociales
(Paris Dauphine).
"Aujourd'hui la distinction est claire entre les
métiers dont nous avons un besoin vital et les autres. Cela nous fait réfléchir
à notre fonction, notre vocation dans la société. L'idée de secteurs ou métiers
essentiels va sans doute faire son chemin", ajoute-t-elle.
Un certain nombre de professions "devraient en
sortir revalorisées socialement" et même financièrement, notamment les
"soignants" et les "professions qui ont été au front",
estime-t-elle.
A contrario, elle espère "une très forte remise en
cause des secteurs et métiers exclusivement tournés vers le profit" et la
fin du "productivisme et consumérisme".
Selon un sondage Viavoice, "Coronavirus: quel
monde d'après ?", publié mercredi par Libération, 69% des Français jugent
nécessaire de "ralentir le productivisme et la recherche perpétuelle de
rentabilité" et 70% de "réduire l'influence de la finance et des
actionnaires sur la vie des entreprises".
"Il est évident que l'industrie pharmaceutique
devrait avoir comme priorité de soigner, pas de capitaliser en Bourse",
mais "je ne crois pas au grand soir, tout système ayant pour principe
d'établir des règles qui lui évitent de changer", avertit cependant Xavier
Alas Luquetas, psychothérapeute et cofondateur du cabinet Eléas, spécialisé
dans la prévention des risques psychosociaux.
Prévention, soutien
En revanche, comme toute crise, elle est
"traumatique" et amène chacun "à s'interroger sur le sens de
toute chose et celui du travail en particulier, dans un pays où il participe
tellement à l'identité de l'individu, au détriment de l'intime et de la vie
sociale, que quand ça ne va pas au travail, tout s'effondre",
souligne-t-il.
Cette crise, dit-il, va "accélérer des
changements déjà à l'oeuvre" comme la transformation
numérique. Pour autant, "le tout numérique ne pourra survivre sans une
réflexion profonde sur l'humain, la santé et la transparence des
gouvernances".
Pour Jean-Claude Delgènes, économiste et directeur
général du cabinet de prévention des risques professionnels Technologia, cette
situation inédite, où "il est question de mort", va conduire à
"revaloriser tous les métiers de la prévention, de l'anticipation",
comme "ceux de la santé et de la sécurité" qui "seront portés
par ceux du numérique".
"C'est une leçon de choses pour tous les
Français. Il faut modifier notre perception du risque et de l'avenir. On ne
pourra plus accepter de croire sur parole des responsables qui n'y ont pas
réfléchi. Tout le monde aura en tête qu'on n'était pas prêt",
tranche-t-il, évoquant le manque de masques, tests et respirateurs, et la
"grande difficulté des entreprises à maintenir des plans de continuité
d'activité (PCA)".
Pour ce spécialiste des crises sanitaires et sociales
au travail, certains métiers "retrouveront une grande aura". Ceux
"à vocation auront un plus grand avenir que ceux alimentaires,
subis".
Crise écologique
"On risque d'avoir des faillites en chaîne avec
une lame de fond qui emportera les plus fragiles mais, indépendamment de toute
notion d'activité, un des critères déterminants pour la survie des entreprises
sera la manière dont elles auront été soutenues et auront soutenu leurs
salariés", estime M. Alas Luquetas.
Une fois la crise passée, les organisations de travail
et les institutions "devront offrir d'autres valeurs, éthiques",
prédit-il.
Pour Dominique Méda, comme pour ses homologues,
l'expérience du confinement et
du ralentissement considérable de l'activité humaine est un "coup de
semonce (qui) nous incite de toute urgence à prendre la mesure de la crise
écologique" et à "rompre, au moins partiellement, avec la
globalisation telle qu'elle existe".
Il faut "changer radicalement de paradigme",
dit-elle. "Que nos gouvernants décident d'autres modalités de production,
respectueuses de l'environnement", abonde M. Delgènes.
Cette crise est un "électrochoc qui montre que
nous sommes tous liés dans la vulnérabilité", dit M. Alas Luquetas.
"Il peut provoquer une prise de conscience planétaire, comme aucune COP (conférence
internationale au sommet sur le climat, NDLR) n'a réussi à le faire".
AGM
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