Sénégal : Déchets, un casse-tête nommé Mbeubeuss
REPORTAGE.
Si la protection de l'environnement commence par la gestion des déchets,
Dakar a encore du pain sur la planche. Explication.
Mbeubeuss.
Ce nom réveille dans l'esprit de nombreux Dakarois l'image d'une montagne de
plus en plus importante de déchets, mais aussi le constat d'une faille pour ne
pas dire d'une faillite autour de la gestion des déchets dans ce beau pays
qu'est le Sénégal. Mbeubeuss, c'est une décharge qui accumule chaque jour un
peu plus les déchets de Dakar et sa région. Face aux difficultés de gestion de
l'État, les travailleurs informels et les entreprises privées ont pris le
relais.
Tout
renvoie à un film post-apocalyptique. Les rapaces tournoient au-dessus d'une
proie invisible. La vue est brouillée par les émanations des feux, des pots
d'échappement et la poussière. Derrière les fumées, des silhouettes d'hommes,
de femmes, de dizaines d'enfants et de bétail. Bienvenue à Mbeubeuss, l'une des
plus vastes d'Afrique de l'Ouest, qui concentre les déchets de la région de
Dakar et où s'affairent près de 4 000 récupérateurs.
Les
parterres d'immondices dessinent par endroits de véritables falaises. Les
déchets dégoulinent jusqu'au seuil des habitations de Malika et de Keur Massar,
les deux communes qui ceinturent l'immense décharge de Mbeubeuss qui s'étire
sur 114 hectares. Le dépotoir sauvage a été créé en 1968 sans
étude d'aménagement préalable. Initialement, ce devait être un site
d'enfouissement. Cinquante ans plus tard, les déchets s'amoncellent
jusqu'à 15 mètres de hauteur et il n'y a toujours pas de délimitation
physique. En 2015, Mbeubeuss est passée sous le contrôle de l'Unité de
coordination de la gestion des déchets solides (UCG), rattachée au ministère de
la Gouvernance locale, du Développement et de l'Aménagement du territoire.
Pourtant, la gestion de ces ordures relève surtout du secteur informel.
La lutte quotidienne des récupérateurs
Il
faut rouler un peu moins de dix minutes à travers les rebuts pour atteindre
« Yémen », la zone de déversement exploitée à ce moment de l'année
(une rotation s'opère selon les saisons). 2 200 tonnes d'ordures y sont
quotidiennement débarquées par quelque 300 camions-bennes, entraînant
un mouvement de foule systématique. Visages masqués ou couverts d'un tissu qui
ne laissent apparaître que leurs yeux, vêtements sombres et souvent déchirés,
crochet métallique à la main, les « boudiouman » (traduire
« récupérateurs » en wolof) tirent leur gagne-pain de la récolte et
du tri des déchets. Canettes, bidons de plastique, fils de fer, flacons de
verre, carcasses de pneus, tissages, perruques… Ils se saisissent de tout ce qui
peut se revendre. Le reste fera le bonheur des centaines de bovins qui paissent
sur le plancher de Mbeubeuss.
Une vue de la décharge de Mbeubeuss et des personnes qui y travaillent. © Sylvain Cherkaoui/Cosmos |
La
concurrence est rude. Chaque arrivée de camion déclenche les assauts des
crochets métalliques. Pour cause : le kilo de plastique se revend 50 francs
CFA, celui de ferraille 75, et on peut obtenir
jusqu'à 300 francs CFA pour un kilo d'aluminium. Il faut jouer des
coudes. Soda, 29 ans, s'échine à Mbeubeuss depuis plus de deux ans.
« Le travail est dur parfois quand les camions arrivent, les hommes ne
lâchent rien, il faut se bagarrer avec eux. Sinon, on n'a rien », confie
Soda. Des trouvailles dont elle garnit son grand sac en plastique tissé la
jeune femme tire autour de 15 000 francs CFA par semaine. Alioune,
lunettes polarisantes vissées sur le nez et gants « squelette »
troués, récupérateur lui aussi, renchérit : « C'est un métier
difficile, on travaille dans la fumée et la poussière. On est ici parce qu'on
n'a pas le choix. Si on le pouvait, on serait ailleurs. Mais ailleurs, il n'y a
pas de travail. »
Si
peu que certains viennent de loin pour travailler à Mbeubeuss. C'est le cas de
Daouda, originaire de Bambey, à 120 kilomètres de Dakar. Il travaille
sept jours sur sept, de 7 à 18 heures, et loue une chambre
à Malika, ne rentrant dans son village que pour la Tabaski et les grandes
occasions. Ces sacrifices lui rapportent autour de 5 000 francs CFA par
jour, de quoi nourrir sa famille restée au village.
Une chaîne de valeur dont l'État reste absent
Avec
près de 2 000 employés, contre plus du double du côté des travailleurs
informels, l'UCG fait face à de nombreux enjeux. L'Unité fait appel
à 18 concessionnaires privés pour la collecte et le transport des
poubelles de l'ensemble de la région de Dakar. Sur place, elle est en charge de
la pesée et l'orientation des camions-bennes. Mais aussi de la sécurité sur la
décharge qui ne dispose d'aucune structure physique pour en restreindre les
points d'entrée. « Nous ne sommes que cinq personnes à la sécurité et
faisons des gardes de 24 heures », précise Libasse, employé par
l'UCG. Avec des moyens de surveillance limités, Mbeubeuss est régulièrement le
théâtre d'incendies volontaires, déclenchés notamment pour faire fondre des
matériaux. Incontrôlés, ces feux font, au mieux, perdre la marchandise des
récupérateurs. Mais certains se sont avérés fatals, comme ce fut le cas
le 22 décembre 2016, quand un incendie a fait deux morts.
Vue générale de la décharge de Mbeubeuss dans la banlieue de Dakar. L © Sylvain Cherkaoui/Cosmos |
S'ils
sont les plus nombreux à Mbeubeuss, les récupérateurs ne sont pas les seuls à
tirer profit de l'exploitation des déchets ménagers. Deux entreprises privées,
chinoises, sont installées en bordure de la décharge et vivent de la
revalorisation des objets récupérés. Un nouveau site de tri et de valorisation
des déchets devrait voir le jour d'ici à juin 2018. L'initiative, privée elle
aussi, est portée par 14 associés, dont certains sont des employés de
l'UCG, ainsi que l'homme d'affaires suisse Patrick Roussillon. « Dakar et
sa banlieue représentent 80 % des déchets du Sénégal. Il s'agira d'abord
de mettre en place des conteneurs de tri dans les quartiers de Dakar et de
racheter les ordures aux camions à la place de l'UCG », fait valoir ce
dernier. Dans l'équation, on peine encore à trouver l'État sénégalais.
Pourtant, l'Unité mène actuellement une étude de faisabilité et un recensement
des acteurs de la décharge pour une restructuration de celle-ci.
Avec
un appui de la Banque mondiale estimé à 100 millions de francs CFA,
l'Unité souhaite créer un centre de tri et monter une clôture. L'unique moyen
de contrôler les accès et de lutter notamment contre le travail des enfants à
Mbeubeuss. Pour autant, une fois le site réorganisé, le travail des
récupérateurs restera informel, donc sans perspective de sécurité sociale ou
d'équipement fourni. « L'UCG ne peut pas équiper tout le monde »,
admet Lamine Kebe, coordonnateur de l'UCG à Dakar.
« Mbeubeuss
est une bombe écologique et une nuisance pour les communes alentour,
reconnaît-il, mais on ne peut pas la fermer, nous n'avons aucun autre endroit
où la transférer. » S'il promet une transformation progressive de
Mbeubeuss, le Sénégal a le besoin urgent d'une politique étatique effective en
matière de gestion et de valorisation des déchets. Pour ses travailleurs, mais
aussi pour l'environnement du pays dont l'un des volets du Plan Sénégal
émergent (PSE) ambitionne de faire de Dakar l'une des capitales les plus propres
d'Afrique.
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