Le gaspillage alimentaire au Maroc, un ”fléau” ignoré
Depuis
le vendredi 2 août, des discussions sur le gaspillage alimentaire sont menées
par le GIEC, le groupe d’experts de l’ONU sur le climat, à Genève. Entre 25% et
30% de la nourriture produite chaque année dans le monde serait gaspillée selon
eux. Mais qu’en est-il du Maroc ?
Dans les pays de la région MENA, Moyen-Orient et
Afrique du Nord, environ 250kg d’aliments sont gaspillés chaque année par
personne. Selon un rapport de
la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
paru en 2015, l’équivalent d’un tiers des ressources alimentaires de la région
partent ainsi à la poubelle.
Selon un premier brouillon du rapport rédigé par le
GIEC, 1,3 milliard de tonnes de denrées alimentaires seraient perdues chaque
année dans le monde. Un désastre en constante augmentation depuis 1970, qui
sera décrit dans le rapport complet des experts, prévu pour le 8 août. La FAO
estime les pertes mondiales à un total de 1 000 milliards de dollars par an. Ce
gaspillage équivaudrait également à 8% des émissions de gaz à effet de serre.
Mais selon la FAO, ce ne sont pas les ménages qui
gâchent le plus, mais bien les différentes étapes de l’agriculture. “Le
produit est gaspillé avant même d’avoir atteint le consommateur”, explique
Mamoun Ghellab, créateur de l’association marocaine Zero Zbel.
Un gaspillage à deux niveaux
Ces chiffres alarmants sont la conséquence d’une
consommation irresponsable de la part des ménages, mais aussi d’une mauvaise
organisation des professionnels agricoles. “Il y a différentes chaînes de
valeur : au niveau du champ, puis du marché, et ensuite la consommation des
ménages et des restaurants. On se focalise beaucoup sur le gaspillage
personnel, mais il y a aussi une vraie problématique dans l’agriculture”,
expliqueMamoun Ghellab. Il cite
notamment la crise des clémentines de décembre 2018, au cours de
laquelle 50.000 tonnes de fruits ont
été détruits. La production était alors trop importante par rapport au
marché des agrumes. Pour une semaine de travail d’un agriculteur, 3 jours en
moyenne sont dédiés à ne produire que des aliments qui seront ensuite jetés,
estime la FAO pour la région MENA.
“Dans une région où plus de 50% de notre
nourriture est importée et où on lutte contre le manque d’eau et le changement
climatique, gaspiller n’a pas de sens”, reprend Mamoun Ghellab. Selon la
FAO, c’est en effet presque la moitié des fruits et légumes qui seraient gâchés
dans la région. Au Maroc, selon une étude du Haut Commissariat au Plan parue en
2012, 34,5% du budget des familles est dépensé en nourriture, mais un tiers
serait gaspillé.
Comme le souligne Mamoun Ghellab, 10 % du budget des
foyers en moyenne est consacré au gaspillage alimentaire. “Le problème
touche des éléments très symboliques au Maroc. On a une surproduction de pain
sec, les familles en achètent trop. On entame, on jette, alors que ce sont des
céréales importées à l’aide de subventions qui permettent au Maroc d’avoir du
pain”, déplore le président de Zero Zbel. Selon le rapport de la FAO, les
foyers gaspillent entre 32% et 34% de ce qu’ils consomment. “Il s’agit d’un
fléau dans notre société. Culturellement, nous avons l’habitude d’acheter en
grande quantité. Mais ensuite, ça reste 3 semaines au frigo et on jette”,
constate Bouazza El Kharrati, à la tête de l’Association Marocaine de
Protection et d’Orientation du Consommateur (AMPOC) et membre du conseil de la
concurrence.
Que fait le gouvernement ?
Fin juillet, la Direction des études et des
prévisions financières (DEPF) a
dressé un bilan du Plan Maroc Vert et du secteur de l’agriculture,
chapeauté par Aziz Akhannouch. Il dénonçait “la faible organisation de
certaines filières” et exposait un bilan contrasté du Plan Maroc Vert (PMV)
lancé en 2008. “Depuis la mise en oeuvre du PMV, le secteur agricole s’est
inscrit dans un processus vertueux de transformation structurelle. Les
performances jusque-là enregistrées par ce secteur sont encourageantes et
laissent augurer des perspectives favorables pourvu que la dynamique enclenchée
soit poursuivie et accélérée”, expliquait le rapport, mais sans mentionner
les pertes ou le gaspillage alimentaire.
“Il n’y a aucune ligne ni référence budgétaire au
gaspillage dans la consommation dans le PMV, et on a jamais vu une seule mesure
gouvernementale sur ce problème”, s’exaspère El Kharrati. Ce dernier
affirme avoir proposé plusieurs mesures de sensibilisations à Mohamed Louafa en
2015, qui sont restées sans réponses. Parmi ces recommandations : la diffusion
de spots télévisés pour lutter contre le gaspillage.
La même année, le ministère de l’Agriculture demande
pourtant à l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, d’étudier
l’importance et les solutions aux “pertes alimentaires et au gaspillage”
dans le Royaume. Cité
par La Vie Eco à l’époque, le ministère affirmait que
cette étude servirait à développer “une vision et des orientations stratégiques
qui vont être déclinées en plan d’action pour attaquer cette problématique,
afin de diviser de moitié les pertes et gaspillage d’ici 2024”. Censé durer
une année complète à partir du 10 juin 2015, les résultats de ce projet, mené
en collaboration avec la FAO, restent introuvables. Sollicités par TelQuel pour
comprendre les mesures actuellement mises en oeuvre contre le gaspillage, le
ministère de l’Agriculture et celui de la Santé n’ont pas répondu.
Source : telquel.ma
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