Ratification De La Convention Pour La Protection Des Obtentions Végétales (Upov) : Quel Intérêt Pour L’Etat Béninois ? - Africa Green Magazine

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Ratification De La Convention Pour La Protection Des Obtentions Végétales (Upov) : Quel Intérêt Pour L’Etat Béninois ?

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Des soixante-quatorze (74) pays membres selon le point en 2016, l’Afrique du Sud et le Kenya sont les seuls pays africains à adhérer à la Convention internationale de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov). Mais ces deux pays ont souscrit à l’acte 1968, plus ou moins approuvé. Le Bénin, membre de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi), reste le seul pays africain à décider de ratifier la Convention mais en souscrivant à l’acte révisé de 1991, rejeté par plusieurs pays et organisations paysannes. Mais la pilule a du mal à passer au Palais des Gouverneurs (Assemblée nationale) depuis 2018 et les organisations paysannes restent mobilisées contre ce qu’elles appellent “le brevetage des semences locales“. Pourquoi tant de polémiques autour de la Convention Upov ? Que craignent les organisations paysannes ? Quel est alors l’intérêt de l’Etat béninois à opter pour la ratification d’un instrument tant décrié ? Enquête !



En effet, tout a commencé le mercredi, 1er février 2017 lorsque le gouvernement béninois, en séance du Conseil des ministres, a procédé à l’adoption du projet de décret portant transmission à l’Assemblée Nationale, pour autorisation de ratification de l’Acte de 1991 de la Convention internationale par les obtentions végétales. 

Selon le gouvernement, le Bénin étant membre de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), le pays se doit d’adhérer à la convention Upov à laquelle l’Oapi y a souscrit.  Il est à souligner que l’Union pour la Protection des obtentions végétales a pour mission d’établir et de promouvoir un système efficace de protection des obtentions végétales en vue d’encourager l’amélioration des plantes, la création de nouvelles variétés végétales améliorées. 

Mais le bout du tunnel n’était point encore à portée de main. Inscrit à l’ordre du jour en plénière à l’Assemblée nationale le lundi, 30 avril 2018, l’examen du projet de loi ne connaîtra pas une issue favorable. Fortement mobilisées, plusieurs organisations de la Société civile actives dans le secteur agricole dont Synergies paysannes et Jinukun, réunies au sein de la Convergence des luttes pour la terre, l’eau et les semences ont manifesté pour faire échec à une adhésion précipitée du Bénin à la Convention Upov. 

L’examen du projet a été reporté sine die. Mais le dossier était encore loin d’être définitivement rangé. Au petit matin du 11 février 2019 soit environ un an après, c’est le jeune député Guy Mitokpè qui donne l’alerte sur sa page facebook. Le projet de ratification de la Convention était à nouveau inscrit à l’ordre du jour au Parlement. Cette fois également, le projet n’a pu être débattu.  La seule évidence est qu’une fois encore, les organisations paysannes ont tempêté, fait du vacarme pour s’opposer à la ratification de ladite Convention. Mais pourquoi tant de polémiques autour de la Convention Upov ?

“Non à la privatisation des semences“ : le combat est engagé !


 Contactée, la Directrice du Laboratoire de Génétique Ecologique/Département de Génétique et des Biotechnologies de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université d’Abomey-Calavi, Jeanne Gaston Zoundjiekpon, Professeur titulaire de Génétique et amélioration des plantes nous explique les raisons motivant l’opposition des organisations paysannes à la ratification de la Convention Upov par le Bénin. « L’UPOV est une organisation intergouvernementale qui travaille pour la privatisation des semences, partout dans le monde. 

L’UPOV reconnaît des Droits de Propriété Intellectuelle sur les semences améliorées, et les paysans n’auront plus la possibilité de conserver les semences issues de ces variétés, ou de les échanger entre eux. Mais comme vous le savez, pour créer une Obtention Végétale ou variété améliorée d’une plante, l’on part toujours d’une plante qui existait avant, où une variété locale ou une espèce existant dans les écosystèmes naturels. 

On ne peut donc pas privatiser une semence comme s’il s’agit d’un produit industriel créé de toute pièce. Si le Bénin adhérait à l’UPOV, l’une des conséquences, c’est la disparition des variétés paysannes traditionnelles de chez nous et l’érosion de notre biodiversité ou ressources phytogénétiques. Ce qui serait tout de même dommageable pour notre agriculture », a-t-elle justifié au cours d’un entretien exclusif accordé à votre journal. 

Quant aux organisations de la Société civile actives dans le secteur agricole dont Synergies paysannes et Jinukun, réunies au sein de la Convergence des luttes pour la terre, l’eau et les semences, elles dénoncent, à travers ladite Convention, le brevetage des semences locales par des multinationales et les individus les plus nantis, la perte de certaines semences locales et l’invasion des organismes génétiquement modifiés (Ogm). 

Une loi qui, selon Synergies paysannes, va conduire à la perte des droits et libertés de choix des paysans et paysannes du Bénin sur leurs propres semences, les rendant ainsi dépendants des détenteurs des brevets sur leurs semences. Si les organisations paysannes restent unanimes quant à la nécessité de rejeter la Convention, de son côté, le gouvernement semble également imperturbable et déterminé à ratifier cet instrument international qu’il juge indispensable pour l’essor de l’agriculture béninoise.

Quel intérêt pour l’Etat béninois ?

En réalité, c’est la question qui trottine dans la tête des béninois au regard de la polémique qui ne cesse de s’enfler autour de la ratification de la Convention Upov. Pourquoi le gouvernement béninois tient-il si tant à adhérer à la convention ? Difficile d’entendre la version des cadres du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche dans ce dossier jugé sensible par le Directeur général de l’Institut national de recherche agricole du Bénin (Inrab), Adolphe Adjanohoun. Joint au téléphone, ce dernier a estimé qu’il est inutile de verser dans la polémique en se prononçant sur ce dossier. 

A l’en croire, des réflexions sont en cours pour parfaire le projet en tenant compte des points, objet de polémique. Malheureusement, le mail, à lui, envoyé pour un entretien à ce sujet n’a pas connu de suite. Toutes les démarches entreprises également pour échanger avec un cadre du ministère de l’agriculture sont restées vaines. Contacté à plusieurs reprises, le point focal communication n’a pu grand-chose. 

Par contre, le Directeur du Fonds national du développement agricole (Fnda), Olivier Vigan, rencontré, atteste de la nécessité pour le Bénin de ratifier cette convention pour une agriculture beaucoup plus compétitive. Et se prononçant sur la position tranchée des organisations paysannes, il estime que le vrai combat en faveur des paysans ne se mène pas et ces derniers, selon ses dires, ignorent tout du contenu de la Convention. Mais le Prof Jeanne Zoundjiekpon pense connaître l’intérêt du gouvernement béninois. « C’est de favoriser les entreprises semencières et d’attirer les investisseurs dans notre pays. 

Mais comme vous l’avez vu, cela va se faire au détriment des producteurs et paysans à la base » nous a-t-elle confié. Et au cours d’une conférence publique organisée le vendredi, 15 février 2019 à Cotonou par la Convergence globale des luttes pour la terre et l’eau- Ouest-africaine (Cglte-Oa), le Directeur des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, Bienvenu Houngbédji, évoque comme avantages pour le Bénin à adhérer à la convention, la création de nouvelles variétés permettant aux agriculteurs de relever des défis économiques et environnementaux et l’augmentation des revenus des agriculteurs et producteurs. 

A l’en croire, le gouvernement n’est pas dans un esprit négatif. Quant à Marius Sinha, cadre du Ministère de l’agriculture, il estime qu’il serait judicieux que les organisations paysannes apportent leurs amendements au projet. Cependant, dans le compte rendu du Conseil des ministres du 1er février 2017, le gouvernement béninois a fait savoir qu’avec l’adhésion à l’Acte de 1991 de cette Convention, le Bénin pourra désormais participer aux travaux des organes de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et tirer avantage de cet instrument juridique. 

Il est évoqué l’accès à des variétés performantes sélectionnées à l’étranger, des possibilités accrues en matière d’amélioration de la production et d’exportation de produits, le renforcement de la coopération entre agriculteurs… Seulement ces arguments sont encore loin de convaincre. Invitée à la cérémonie de lancement de l’ouvrage du français Serge Hamon intitulé : L’Odyssée des plantes sauvages et cultivées – Révolutions d’hier et défis de demain, Prof Jeanne Zoundjiekpon découvre que ce n’est pas qu’au Bénin que les organisations paysannes rejettent la Convention. « A la page 182 de ce livre, l’auteur écrit :  (…..) Il est à noter que, aujourd’hui, la plupart des organisations paysannes rejettent le système de l’UPOV, comme de nombreux pays en développement  où les agriculteurs continuent souvent à produire eux–mêmes leurs semences……Vous voyez clairement que ce n’est pas seulement au Bénin que les organisations paysannes rejettent l’UPOV. 

Et actuellement en France, la Confédération paysanne travaille activement à la recherche des semences paysannes disparues de leur territoire. Puis à la page 183, l’auteur poursuit ……La protection intellectuelle de l’innovation devint, dans le domaine végétal, un outil de spoliation par quelques grandes entreprises d’un patrimoine ancestral et commun…..C’est sans commentaire » précise-t-elle. C’est plus qu’une évidence : les deux parties ne pourraient accorder leurs violons sur la question.

Des préalables avant toute adhésion ou abandonner ?

Si les raisons sous-tendant la position des organisations paysannes ne manquent pas de pertinence, le gouvernement semble plus que convaincu de la nécessité de l’option de ratification. Et si on apportait des amendements pour tenter d’extirper, les points à polémique ? 

Pour le Prof Jeanne Zoundjiekpon, il n’est point question d’adhérer à la Convention Upov, et par conséquent, il n’y a pas de préalables. « L’Etat béninois a adhéré à l’Organisation Mondiale du Commerce, et l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle stipule en son article 27(3)b qu’un Etat membre …….peut adopter un système sui generis….c’est-à-dire un système juridique propre à son pays. 

Si l’Etat béninois estime qu’il faut adopter un système juridique pour protéger nos variétés améliorées, je suggère l’organisation d’une assise nationale des intellectuels traditionnels (Vrais responsables paysans détenteurs des connaissances paysannes endogènes et les vrais tradithérapeutes) et modernes (généticiens, agronomes – sélectionneurs, anthropologues, juristes) spécialistes de la question semencière. 

Les échanges devraient permettre à une équipe pluridisciplinaire composée de toutes les parties prenantes, de proposer un cadre juridique national, puis sous–régional, car la biodiversité n’a pas de frontières et le Bénin appartient à des organisations sous–régionales comme l’Uemoa, la Cedeao et le Cilss, chacune avec une stratégie agricole. 
C’est la seule voie pour obliger l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle qui a adhéré à l’UPOV et oblige maintenant les pays membres à y adhérer individuellement, de comprendre que son adhésion va contre les intérêts de la majorité des paysans africains » tranche la généticienne, Prof Zoundjiekpon. Mais déjà, au cours de leurs manifestations en 2018, les organisations paysannes avaient émis le vœu que le Bénin adhère à la Convention mais en prenant des garde-fous. 

Ces organisations préconisent notamment la mise en place d’un comité semence ; la prise d’un certain nombre  de dispositions de décrets et arrêtés pour compléter les cadres réglementaire et légal dans le secteur au Bénin et l’élaboration d’un tableau qui renseigne sur les avantages, les inconvénients, les menaces et les opportunités de cette convention pour le Bénin. 

Un dossier sensible concernant le patrimoine semencier du Bénin qui mérite d’être étudié avec minutie. Considérée comme une loi des pays industrialisés, la convention Upov (91), négociée il y a plus de 20 ans par les pays industrialisés s’est traduite par un dramatique appauvrissement de la biodiversité sous nos latitudes, selon des organisations tanzaniennes. Les réalités des pays du Sud, avec leur agriculture paysanne, ne sont absolument pas prises en compte. 
Et  le projet de l’OAPI viserait à autoriser les obtenteurs et les semenciers à disposer seuls de «leurs» variétés. Une mesure qui entraverait considérablement les droits traditionnels des paysans pratiquant une agriculture familiale à réutiliser, échanger et vendre les semences issues de leurs propres récoltes. Face au fait, que gagnerait le Bénin à adhérer à un tel instrument international ?

Par Aziz BADAROU

Source: matinlibre.com

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