Digital : quand le mirage technologique rime avec destruction des emplois et de l'environnement
Sur fond d’avènement de l’écologie politique, de nombreux
secteurs économiques voient poindre de nouveaux défis dont la pertinence est
parfois sujette à caution. C’est le cas par exemple du secteur publicitaire où
le tout-digital n’est pas la panacée annoncée par certains. Explications.
Amazon, Google, Facebook et consorts voudraient faire croire
que le tout-digital s’impose comme l’ultime réponse aux défis d’aujourd’hui.
Plus propre, plus ludique, plus économique, plus ciblé, plus durable, davantage
tourné vers le bien-être des individus… Le mirage a de quoi séduire mais dans
la réalité, le tout-numérique a aussi ses limites. Et de mauvaises réponses à
de vrais problèmes.
Ce paradoxe se retrouve également chez certains défenseurs de
l’écologie, comme l’a montré la récente Convention
citoyenne pour le climat. Sur la table, de nombreux projets, concernant les
économies d’énergie, la lutte contre le gaspillage, la sécurité routière ou la
présence de la publicité. Parmi les 22 mesures préconisées pour « réduire les
incitations à la surconsommation et l’impact de la publicité », les 150
citoyens tirés au sort ont mis un secteur économique au banc des accusés :
celui de la publicité sur papier, de l’affichage aux prospectus que l’on
retrouve dans nos boîtes aux lettres. Avec comme point d’orgue, pour ces
derniers, l’entrée en vigueur début 2021 d’un autocollant « Oui Pub » destiné à remplacer
le « Stop Pub » en vigueur depuis 2004.
L’industrie du papier imprimé pointée du doigt
Ce n’est pas nouveau, les fabricants de papier et les
imprimeries ont déjà été par le passé les cibles de certains défenseurs de
l’environnement comme Greenpeace. Si leurs arguments étaient encore valables il y
a dix ou vingt ans, ce n’est pourtant plus le cas aujourd’hui grâce à la mise
en place de multiples labels (Imprim’Vert, Imprim’Luxe, etc) et certifications
(PEFC et FSC pour les forêts gérées durablement, ISO 12647, ISO 14001, etc).
Aujourd’hui, 94% du papier utilisé sont en effet issus du recyclage
ou de forêts gérées durablement, les encres utilisées sont beaucoup moins
polluantes que dans les années 80, le chlore a disparu des processus de
fabrication… « L’industrie papetière française a réalisé ces dernières
années des efforts considérables, relevait le magazine Culture Papier en 2019. Les
investissements réalisés par l’ensemble de la filière dans des procédés
industriels moins polluants ont généré une diminution de 80% des rejets dans
l’eau, une réduction de plus de 30% des consommations d’énergies, ou encore une
diminution de 50% des émissions de CO%u2082 fossiles par tonne produite. »
Mais voilà, les images d’Epinal ont la vie dure : les imprimeries
françaises ont encore mauvaise presse.
Dans le sillage des imprimeurs, c’est donc la publicité qui
trinque. Que ce soit pour l’affichage ou pour la distribution des ISA (acronyme
des imprimés sans adresse, les fameux prospectus), comme l’ont montré plusieurs des propositions de la Convention citoyenne.
On notera d’ailleurs au passage non seulement la surestimation du pouvoir de la
publicité, capable, dirait-on, de nous faire acheter n’importe quoi contre
notre volonté, mais aussi son corollaire : la condescendance avec laquelle
est considéré le consommateur, qui serait incapable de réagir rationnellement
face à la pub. De la publicité au lavage de cerveau, il n’y aurait qu’une
différence lexicale à les croire. Au programme, donc :
- « Réguler la
publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et
non-choisies à la consommation » ;
- « Interdire les
panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors
information locale et culturelle ainsi que les panneaux indiquant la
localisation d’un lieu de distribution » ;
- « Interdire le
dépôt de toute publicité dans les boîtes à lettres, à partir de janvier
2021 ».
Le digital, le faux-ami de l’environnement
L’industrie publicitaire n’aura d’autres choix que de se
tourner vers le digital pour compenser les pertes sèches qu’induisent les
mesures ci-dessus vis-à-vis des supports imprimés. Mais voilà, le monde du
digital n’est pas aussi vert que le commun des mortels pourrait le croire. Il
est même très gourmand en ressources naturelles et en énergie. Selon l’alliance
GreenIt, l’industrie numérique en 2019 a consommé 5,5% de l’électricité
mondiale et a généré 3,8% des GES (gaz à effet de serre) émis pendant cette
année-là tout autour du globe. Dans un podcast publié début 2020, Adeline Gabay, fondatrice du
département trading programmatique de Publicis et spécialiste en marketing
digital et transition écologique, va même plus loin : avec « 9% de
croissance annuelle, dans 5 ans, l’industrie du numérique pourrait représenter
à elle seule 8 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre ». Non,
le digital n’est pas vert. Loin de là même.
Selon elle, les data centers sont responsables de 53% de
l’impact écologique du digital, les 47% restant venant de la production et de
la distribution du matériel informatique. Une industrie lancée dans une course
en avant vers la 5G qui, selon Adeline Gabay, n’a plus de sens à l’heure de la
crise climatique car la 5G sera très gourmande en énergie. Les transferts de
données toujours plus importants auront un impact direct toujours plus néfaste
sur la planète. Un impact gigantesque qui se retrouve aussi à chacun des
cinq maillons de la chaîne, comme le souligne l’ADEME (Agence de l'environnement
et de la maîtrise de l'énergie) : à la conception des supports, à
l’extraction des métaux rares non renouvelables, à la fabrication des appareils
numériques, au moment de leur utilisation et puis lors de leur recyclage en fin
de vie. Qui dit 5G, dit renouvellement des terminaux digitaux comme les
téléphones ou les tablettes et production de masse. En résumé, là où le
prospectus abandonné sur la voie publique constitue une petite pollution bien
visible, le digital oppose une pollution massive mais masquée, insidieuse et
difficile à réguler. D’autant que cette pollution globale est souvent
délocalisée et « diluée » dans la consommation énergétique mondiale.
La question de la « délocalisation technologique » n’est d’ailleurs
pas sans conséquence sur l’emploi.
Des milliers d’emplois menacés
Si l’impact à moyen et long terme du digital sur la planète
est aujourd’hui clairement identifié, l’impact à court terme sur l’industrie
publicitaire française est lui aussi tout aussi préoccupant. Et en premier lieu
sur le marché de l’emploi. Remplacer l’imprimé par le digital n’est pas une
solution durable.
Sur le terrain, la dématérialisation de
la communication inquiète de nombreux professionnels, comme ceux réunis au sein
de l’UNIIC (Union national des industries de l’impression et de la
communication) : «Nous ne saurions souligner les impasses
environnementales vers lesquelles peuvent paradoxalement mener une cabale
contre des produits imprimés à la fois mal définis et injustement amalgamés les
uns aux autres, dans un contexte général de dématérialisation de la
communication. » L’UNIIC voit aussi d’un mauvais œil le futur dispositif
du « Oui pub », très contraignant : « L’UNIIC ne manquera
pas de rappeler les répercussions sévères qu’aurait la généralisation d’un tel
dispositif – celui de la normalisation du Oui Pub – sur la filière graphique
dans son entier, tant en termes d’emplois que d’activité économique.»
La menace qui plane aujourd’hui sur l’industrie publicitaire
et les imprimés traditionnels n’est pas virtuelle, elle. Des dizaines de
milliers d’emplois sont sur la sellette, comme le soulignait en avril dernier
Christophe Lartigue, président du GMI (Groupement des métiers de l’imprimerie),
dans une lettre ouverte au président de la République : « La grande
majorité des sociétés [du secteur] sont des TPE, des microentreprises déjà
fragilisées par une économie difficile, un secteur en crise, parce que trop
concurrentiel, nécessitant des investissements importants pour produire des
documents de qualité, toujours plus vite, toujours plus
beaux. Aujourd’hui, toute notre filière est en danger. » Une filière
qui fait vivre quelque 150 000 salariés et indépendants en France.
Dans le domaine publicitaire comme dans l’ensemble de
l’industrie de la communication, le glissement de l’imprimé vers le digital
aura donc des conséquences directes à très court terme. Par exemple, l’étude
2019 Pathways to Digital Enablement a pointé du doigt l’automatisation des tâches et la délocalisation des emplois vers
les Etats-Unis et vers les pays émergents où les géants américains du numérique
sont installés à moindre coût. Amazon, Google, Facebook et consorts s’évertuent
à faire croire que le tout-digital s’impose comme l’ultime réponse aux défis
d’aujourd’hui. En fait, c’est plutôt le contraire : le passage à une
économie de plus en plus digitalisée risque bien de constituer le défi
écologique et sociétal du 21ème siècle.
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