Grâce à l’exploitation des roches de schiste, la
production de gaz et de pétrole américaine explose. Et cause des dégâts
environnementaux en pagaille : destruction des paysages, pollution des
eaux, séismes locaux, voie migratoire des oiseaux chamboulée, émissions de
méthane...
- Washington
(États-Unis), correspondance
En quelques années, les États-Unis sont devenus les
rois du pétrole. L’Energy Information Administration (EIA) table
sur une moyenne de 12,45 millions de barils produits par jour en 2019 et 13,38
en 2020. « La production américaine de pétrole est 2,5 fois plus
importante qu’en 2008 », calcule
Daniel Yergin, de la société de consulting IHS. Si bien que le pays
est devenu le premier producteur mondial, devant la Russie et l’Arabie
saoudite. D’ici quelques années, il devrait même devenir exportateur net.
La production de gaz naturel a elle aussi connu son
plus haut niveau en 2018, en hausse de 11% par rapport à 2017, elle-même déjà
une année record, selon
l’EIA. Le sous-secrétaire d’État à l’énergie a d’ailleurs trouvé un nouveau
nom pour désigner cette ressource qui a vocation à s’exporter : le « freedom gas » (« gaz de la
liberté »). Selon la Commission européenne, les exportations de gaz
naturel liquide américain vers l’Europe ont augmenté
de 272 % depuis juillet 2018.
Les paysages de plusieurs États américains ont été
défigurés par les forages
À l’origine de ce phénomène, le boom de
l’exploitation des roches de schiste depuis une quinzaine d’années. Le gaz de
schiste a par exemple représenté 67 %
de la production de gaz naturel sec en 2017. Et l’EIA prédit que le
pétrole et le gaz de schiste fourniront encore la moitié des ressources énergétiques en 2050. Les apôtres
de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste arguent qu’elle permet
d’obtenir une énergie plus propre que le pétrole conventionnel ou le charbon
tout en investissant pendant ce temps-là dans les énergies vertes. Les
défenseurs de l’environnement dénoncent, eux, ses conséquences
ravageuses : destruction des paysages, pollution des eaux, séismes locaux,
émission de gaz à effet de serre… Ce nouvel eldorado a, aussi, un coût pour la
santé (cancers, naissances prématurées, impacts sur le système nerveux et
respiratoire…) puisque 17 millions d’Américains vivent désormais à moins de 1,6 kilomètre d’un puits de gaz ou de pétrole.
En Pennsylvanie, comme dans d’autres États, les forages trouent les forêts, les plaines ou les terres agricoles.
Entre 2000 et 2012, c’est l’équivalent de plus
de la moitié du pâturage annuel sur les terres publiques gérées par le Bureau
de gestion du territoire américain (Bureau
of Land Management) qui a disparu. Sur les terres agricoles, la perte est
équivalente à 120,2 millions de boisseaux de blé, soit environ 6 % du blé
produit en 2013 dans le Midwest. Les auteurs ont également estimé les
conséquences sur la vie sauvage : voies migratoires chamboulées,
comportement et mortalité de la faune modifiés, plantes invasives encouragées à
s’implanter.
Autre coût environnemental : la pollution des
eaux, engendrée par la technique utilisée depuis la fin des années 1990 pour
extraire le pétrole et le gaz de schiste, appelée fracturation hydraulique
(ou fracking). Pour briser la roche enfouie sous terre, il faut une
quantité phénoménale d’eau et de produits chimiques injectés à forte pression.
Le pompage sur place de cette ressource ou son importation depuis des lacs ou
des rivières d’autres États menace les réserves d’eau potable.
Des fuites
risquent de polluer les nappes phréatiques, et le stockage des eaux usées ainsi
que leur transport sont eux aussi des sources de pollution potentielle. Le
problème n’a fait qu’évoluer avec le temps. Une étude publiée dans Sciences
Advances a conclu que les entreprises de forage ont utilisé 770 % d’eau
supplémentaire par puits entre 2011 et 2016. Conséquence : une
augmentation de 1 440 % d’eaux usées toxiques relâchées.
Le stockage et le transport des eaux usées, utilisées pour fracturer la roche, sont des sources de pollution potentielle.
En décembre 2016, l’Agence de protection de
l’environnement américaine (EPA) elle-même avait admis que la fracturation
hydraulique pouvait mener à polluer les ressources en eau potable. « De
nombreux chemins de contamination sont désormais prouvés, et les cas observés à
travers le pays montrent que ces conséquences sont communes et inévitables »,
indique un rapport publié en 2018 par deux organisations de
professionnels de santé (Concerned Health Professionals of NY et
Physicians for Social Responsability). En Pennsylvanie, un solvant utilisé lors
de la fracturation hydraulique a été retrouvé dans des puits d’eau potable
situés près d’opérations de forage. Autre exemple : des chercheurs ont
trouvé 19 contaminants — dont du benzene, cancérogène — dans des échantillons
d’eau prélevés près de la formation de schiste de Barnett, au Texas.
Une nuée de petits séismes au Texas proviendrait de
lignes de failles où de l’eau a été injectée
Le même rapport a compilé plusieurs études sur les
séismes locaux attribués à la fracturation hydraulique : « Une
étude de 2017 du bassin de Fort Worth a montré qu’une nuée récente de petits
séismes dans le nord du Texas provenait de lignes de failles longtemps
inactives dans des formations rocheuses profondes où de l’eau usée était
injectée ; l’activité humaine est la seule explication plausible. » Toujours
selon ce rapport, on apprend que :
« Le nombre de tremblements de terre de
magnitude 3.0 ou plus est monté en flèche en Oklahoma depuis le début du boom
de la fracturation hydraulique, avec moins de deux séismes par an avant 2009 et
plus de 900 rien qu’en 2015. »
Les émissions de méthane (95 % du gaz naturel)
sont également montrées du doigt. Ce gaz à effet de serre est en effet 25
fois plus puissant que le CO2. Or les experts estiment
qu’environ 4 % du méthane libéré lors du forage s’échappe dans
l’atmosphère. Dans la formation de schiste de Barnett, au Texas, les émissions
de méthane ont été 50 % plus importantes qu’estimées par l’EPA. La
fracturation hydraulique et les infrastructures qui l’accompagnent contribuent
à la grande majorité des émissions de méthane dans la région, note le même
rapport.
Les émissions de carbone ne sont pas en reste.
Une étude de la National Oceanic and Atmospheric Administration s’est
intéressée en 2012 aux émissions des puits de gaz du comté de Weld, au
Colorado. Les chercheurs ont conclu que ces installations produisaient l’équivalent
en carbone de un à trois millions de voitures.
Ces émissions ne devraient pas
baisser de sitôt : l’administration Trump est revenue sur les régulations environnementales mises
en place par son prédécesseur, dont plusieurs s’attaquaient aux hydrocarbures
de schiste. Sur les quelque 300 gazoducs et oléoducs en développement dans le
monde, la moitié sont en Amérique du Nord. Rien que pour les États-Unis, une
étude de Global Energy Monitor s’attend à ce que ces nouveaux
pipelines soient à l’origine de 559 millions de tonnes de CO2 par
an d’ici à 2040.
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