Niger: des éleveurs touaregs se reconvertissent dans l’agriculture
Au
coeur du désert hostile du nord du Niger, Moussa Ama, un pasteur touareg,
drague les sillons charriant l’eau vers de verdoyantes touffes d’oignons, de
pommes de terre et de luzerne.
Dans
un nuage de poussière, à quelques centaines de mètres, des hommes et des femmes
armés de pelles et de houes labourent le sol pour y semer du blé.
Cinq
mille familles d’éleveurs, dont le bétail a été décimé par la sécheresse ou les
inondations ces dernières années, se sont reconvertis en agriculteurs, dans le
cadre du projet Irhazer, à une soixantaine de km à l’ouest d’Agadez, la grande
ville du nord du Niger.
Lancé
en 2015, ce projet est financé par le groupe français Orano (ex-Areva), qui
exploite l’uranium depuis 50 ans dans cette région, dans le cadre d’un accord
de développement économique avec le gouvernement nigérien.
Depuis
une dizaine d’années, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes, mais
aussi, dans cette zone désertique, les inondations, en raison des changements
climatiques.
«
C’est un grand défi lancé au désert. Le sol est argileux et rocailleux, ce n’était
pas évident d’y faire germer quelque chose », explique à l’AFP Goumour
Warzagane, un responsable du projet Irhazer.
Ce
projet vise à rendre arables 750 hectares de terres stériles, pour y produire
céréales, tubercules et fourrage, afin d’assurer la subsistance de 35.000
habitants. Orano a déjà injecté la moitié des 11 milliards de francs CFA (16,7
millions d’euros) prévus pour ce projet de 2015 à 2020.
«
L’objectif est d’assurer l’autosuffisance alimentaire pour la population et le
bétail », a affirmé le ministre nigérien de l’Agriculture Albadé Abouba, lors
d’une visite du site début novembre.
Blé, luzerne et moringa
Irhazer
est aussi « dédié à la réduction de l’émigration ». Il « doit occuper les
jeunes, sinon ils vont s’occuper d’eux-mêmes en migrant, en devenant des
bandits-coupeurs de routes ou des jihadistes en herbe », prévient M. Abouba,
ex-ministre de la Sécurité.
En
quatre ans, plus de 530 tonnes de luzerne et 107 tonnes de blé ont été
récoltées. Ces deux produits, dont la tonne se négocie entre 250 et 300.000
FCFA (entre 380 et 450 euros) sur les marchés, étaient auparavant hors de
portée de ces éleveurs très pauvres. Le blé est consommé par les producteurs
sous forme de couscous, de pain ou de pâtes, et ce qui reste est vendu.
«
La luzerne est surtout cultivée ici parce qu’on est en zone d’élevage et elle
est très riche en protéines. Quand les animaux la consomment, on a de la bonne
viande et beaucoup de lait », essentiel au repas des nomades, explique Bila
Sabit, un autre responsable du projet.
Pourtant
« on disait qu’il était impossible de faire travailler la terre par des
éleveurs », souligne-t-il.
«
Les rendements sont bons, comparables à ceux des pays maghrébins disposant de
techniques plus avancées », selon une étude d’Orano.
Ahmed
Ouba, un sexagénaire, doit se hisser sur la pointe des pieds pour arracher des
feuilles de moringa, un arbre résistant à la sécheresse et réputé dans toute
l’Afrique de l’Ouest pour ses vertus nutritionnelles et médicinales, également
cultivé dans le cadre du projet Irhazer. « Si quelqu’un n’a pas assez de sang
dans son corps, s’il n’a pas d’appétit, il suffit qu’il mange ces feuilles bouillies
ou avale leur décoction pour se remettre », assure-t-il. Le moringa se vend
autour de 500 FCFA (0,75 euros) le kilo.
Impitoyable désert
«
C’est une vraie révolution: si l’élevage tombe en panne, nous avons désormais
l’agriculture comme deuxième chance pour survivre », estime Agali Mahaman, un
producteur, la bouche pleine de tabac à chiquer. « C’est une question de vie ou
de mort: le désert est impitoyable ! ».
Grâce
au projet Irhazer, la situation des éleveurs-agriculteurs s’est améliorée: ils
se nourrissent mieux, ils ont plus d’argent pour payer la scolarité des
enfants, ou ne sont plus obligés de vendre leurs quelques bêtes.
«
Avec le peu d’argent tiré de la vente des récoltes, nous achetons aux enfants
des fournitures scolaires. Et les plus grands ne migrent plus en Algérie et en
Libye », se réjouit Fatima Rhissa, une exploitante d’une quarantaine d’années.
«
Mais notre grand souci c’est le manque crucial d’eau pour irriguer les
pépinières », se lamente Mme Rhissa.
«
Dans quelques mois, la température atteindra 50 degrés à l’ombre. Il faut
trouver un système d’irrigation approprié pour réduire au maximum l’évaporation
et l’infiltration de l’eau », abonde le ministre de l’Agriculture Albadé
Abouba.
Les
quatre forages qui fournissent actuellement l’eau ne suffisent plus. Il faut en
construire de nouveaux, et il faut importer de nouvelles techniques
d’irrigation comme le goutte-à-goutte pour réguler l’eau qui s’évapore
rapidement à cause de la chaleur.
Pour
renouer avec leur ancienne activité, les exploitants demandent la création d’un
volet pastoral, afin d’obtenir des aides pour acheter des chèvres et des
moutons. En 2009, 40.000 têtes de bétail avaient été décimées par les
inondations dans la région d’Agadez.
Ultime
défi, après 2020, Orano cessera son financement. Le projet Irhazer devra voler
de ses propres ailes, grâce aux « redevances » versés par les exploitants après
la vente de leurs récoltes, qui sont déposées sur un compte bancaire.
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